Hanoi (VNA) - Grâce à son approche centrée sur la psychologie des personnages, le le film "Dia dao" (Tunnels : Soleil dans l’obscurité) dépeint avec brio la lutte pour la survie de civils patriotes, plutôt que de simples soldats luttant pour la victoire.
Selon le Dr Mai Anh Tuân de l’Université des sciences et des cultures de Hanoi, "Dia dao" représente une avancée remarquable par rapport à de nombreux films de guerre vietnamiens antérieurs.
Par sa représentation saisissante de la brutalité de la guerre – illustrée par la puissance de feu américaine, par la représentation des soldats vietnamiens comme des gens ordinaires plutôt que comme des héros, et par un style narratif plus ouvert – le réalisateur Bui Thac Chuyên a répondu aux attentes de longue date du public : un film de guerre digne de ce nom.
- Ayant suivi de près le cinéma vietnamien, comment évalueriez-vous les similitudes et les différences (en termes d’histoire, de narration, de message…) entre "Dia dao" et les films de guerre vietnamiens antérieurs ?
Dr Mai Anh Tuân : "Dia dao" a, dans une certaine mesure, atténué la frustration et les préjugés que le public ressent souvent envers les films de guerre vietnamiens.
Auparavant, pour diverses raisons, notamment des limitations techniques et technologiques, très peu de films de guerre vietnamiens étaient suffisamment "grandiose" pour impressionner le public avec des scènes de bataille intenses et à grande échelle. Même les batailles historiques importantes étaient souvent dépeintes à travers quelques scènes modestes d’explosions et de coups de feu, ce qui laissait le public perplexe.
Avec "Dia dao", les spectateurs assistent à des raids de grande envergure, à un arsenal ennemi varié et à des scènes continues et réalistes de fusillades et d’explosions. L’équipe de tournage a déployé des efforts méticuleux pour améliorer les éléments visuels et sonores des batailles.

Cela montre que le Vietnam ne peut pas produire de films de guerre captivants ; il a plutôt besoin de réalisateurs passionnés qui maîtrisent parfaitement le genre, ainsi que d’investissements majeurs en technologie et en financement.
- Comparé aux films de guerre produits par les cinéastes vietnamiens ces 10 à 15 dernières années, en quoi "Dia dao" se distingue-t-il ?
Comparé à des films comme "Vivre avec l’Histoire" (2014), "Le Revenant" (2015), "L’Odeur de l’herbe brûlée" (2011), "L’Aube rouge" (2022) et "Fleurs de pêcher, Pho et piano" (2024), "Dia dao" excelle clairement par sa maîtrise technique.
De plus, le film offre un portrait singulier des soldats. Les guérilleros ne sont pas surestimés ; ils endurent des conditions difficiles, chantent, plaisantent, se taquinent et partagent des moments d’amour et d’intimité. Même leurs sacrifices sont dépeints avec douleur et humanité brute, plutôt que d’être romancés.
"Dia dao" ne considère pas les soldats comme des héros épiques, mais comme des individus pris dans une lutte quotidienne et acharnée pour la survie. Pour eux, les tunnels de Binh An Dông représentent un champ de bataille pour l’existence avant toute idée de victoire.

- Les réactions du public après la sortie du film sont mitigées, notamment quant à l’inclusion de scènes explicites. Si certains ont salué l’intention du réalisateur, d’autres les ont trouvées inutiles, voire offensantes. Comment expliquez-vous cette réaction ?
Dans le cinéma révolutionnaire antérieur, les "scènes intimes" étaient inexistantes. Même les films de guerre vietnamiens récents ne faisaient qu’évoquer l’amour et les relations, s’aventurant rarement dans des scènes explicites comme le fait "Dia dao".
Cependant, l’important n’est pas que le film inclue des "scènes torrides", mais que ces scènes soient efficaces et cohérentes avec le scénario.
Dans "Dia dao", la scène où l’innocente Ut Kho est agressée par un camarade – ce qui entraîne une grossesse de père inconnu – est bouleversante et percutante. Elle révèle comment la guerre efface les frontières morales, ne laissant que la dure et douloureuse réalité de victimes comme Ut Kho.
Quant à la scène d’amour entre Tu Dap et Ba Huong, elle m’a semblé moins chargée émotionnellement. Bien que cela corresponde à l’évolution de leur relation, les montrer faisant l’amour au milieu d’un bombardement dans un bunker tremblant semblait quelque peu excessif.
La scène dépeint la volonté farouche de vivre des guérilleros et leur défi face à la mort – mais j’aurais préféré une approche plus subtile plutôt qu’une représentation aussi crue.
- En réalité, des sujets sensibles comme celui-ci ont déjà été abordés au cinéma, mais de manière indirecte. Par exemple, "Nga ba Dông Lôc" (Les Filles du carrefour de Dông Lôc) de Luu Trong Ninh comprenait une intrigue secondaire sur une jeune volontaire sanctionnée pour grossesse. "Dia dao" représente-t-il un cas rare où ces questions sont abordées plus ouvertement ?
Dr Mai Anh Tuan : Oui, "Nga ba Dông Lôc" (1997) dépeignait déjà des soldats avec des défauts humains, sans pour autant en faire des héros mythiques. Le réalisateur Luu Trong Ninh n’a pas cherché à les sacraliser.
"Dia dao" poursuit dans cet esprit, dépeignant des guérilleros sous une pression incessante, où la mort et la perte sont des réalités quotidiennes. Le film traite l’amour et la sexualité comme des aspects normaux de l’existence humaine en temps de guerre, plutôt que comme des sujets tabous.
Ce faisant, "Dia dao" ouvre un espace narratif plus large et plus diversifié pour le cinéma de guerre vietnamien. En réalité, les films de guerre internationaux ont depuis longtemps intégré cette complexité. Ce n’est qu’en procédant ainsi que nous pourrons saisir toute l’humanité des soldats – des individus dotés d’un monde intérieur complexe et conflictuel – et dépeindre la véritable nature de la guerre de manière plus vivante.

- La fin du film a également suscité des débats, notamment concernant la décision de Ba Huong. Pensez-vous que le film ait suffisamment développé cet aspect ?
Je pense que la fin est un choix subtil et créatif du réalisateur Bui Thac Chuyên. Elle évite de présenter une victoire nette. On y voit plutôt Tu Dap et Ba Huong survivre après un assaut brutal des forces ennemies, épuisés et meurtris.
Le film s’achève à un moment historique où la résistance du Sud contre les forces américaines était encore extrêmement féroce et incertaine.
Le public vietnamien s’attend souvent à des films de guerre conclus par des victoires éclatantes, mais "Dia dao" nous rappelle que les véritables triomphes ne sont jamais simples et s’accompagnent toujours d’immenses souffrances et de sacrifices.
En choisissant une fin ouverte, avec Tu Dap et Ba Huong survivants, le film suggère que l’esprit des tunnels perdure et que les guérilleros, même après des pertes massives, n’ont jamais déposé les armes avant la paix.
La décision de Ba Huong d’épargner le soldat américain blessé renforce ce message. Ayant été témoin direct de l’extraordinaire résilience des combattants vietnamiens, la mort de l’Américain n’aurait servi à rien.
En laissant son sort ouvert, le film met en lumière l’essence même des guérilleros : ils ne se battaient pas pour tuer, mais pour le droit de survivre. – VNA