Vietnamplus - Près de quatre décennies après la mise en oeuvre de Renouveau (đổi mới), le secteur privé du Vietnam s’est affirmé comme un pilier fondamental de l’économie de marché à orientation socialiste. Avec plus de 940 000 entreprises enregistrées et 5 millions de ménages exerçant une activité commerciale, le secteur génère la moitié du PIB national, fournit plus de 80 % des emplois et stimule l’innovation.

Cependant, des goulets d’étranglement structurels et un paysage économique fragmenté l’empêchent encore de devenir la véritable locomotive économique qu’il pourrait être.
Une croissance freinée par des obstacles systémiques
Depuis les années 1990, le secteur privé vietnamien a connu des progrès notables, contribuant à plus de 30 % des recettes publiques et créant des entreprises d’envergure régionale et mondiale.

Mais il reste fragmenté, composé essentiellement de petites entités, sans cohésion d’ensemble. Plus de 70 % des entreprises privées sont concentrées dans le Delta du Fleuve Rouge et le Sud-Est, laissant de nombreuses provinces avec une faible densité entrepreneuriale, observe l’économiste Nguyen Dinh Cung.
Le secteur est fortement axé sur l’industrie manufacturière, la construction et le commerce de gros/détail, mais reste peu représenté dans les domaines à forte valeur ajoutée comme la technologie, la logistique, la santé ou l’éducation. La majorité des entreprises sont des micro, petites ou moyennes structures, limitées en capitaux, technologies et capacités d’innovation. La coopération avec les entreprises publiques ou étrangères reste marginale, et les visions stratégiques à long terme sont rares.

La création d’entreprise s'est dernièrement ralentit, avec un nombre de fermetures dépassant parfois celui des nouvelles inscriptions. Les cadres juridiques, truffés d’incohérences, engendrent de l’incertitude, tandis que la faible protection des actifs et de la liberté d’entreprendre décourage la prise de risque, note Nguyen Dinh Cung.
L’accès au financement constitue un point d’étranglement majeur, privant les entreprises de fonds pour la modernisation technologique ou la recherche-développement. La rareté du foncier et la pénurie de main-d'œuvre qualifiée ajoutent des difficultés supplémentaires, alors que les coûts de conformité – officiels comme informels – pèsent lourd.
Des marginaux d’hier aux poids lourds d’aujourd’hui
La montée en puissance du secteur privé n’a pas été facile. « Avant 1988, nous n’étions que des ‘con buôn’ – des petits commerçants, regardés avec suspicion », raconte Nguyen Thi Tra My, PDG du groupe PAN. La Résolution 68 est un véritable tournant qui donne une réelle légitimité juridique.
« Nous vendons toujours du poisson, des crevettes, du riz, mais cette reconnaissance change tout. Elle a ravivé notre foi », dit-elle, la qualifiant de « baume » après des années de lutte.

La cheffe d’entreprise chevronnée Nguyen Thị Nga, vice-présidente permanente de l’Association vietnamienne des entrepreneurs privés et présidente du groupe BRG, affirme que la Résolution 68 et les nouvelles politiques opportunes en la matière renforceront davantage l’esprit d’entreprise.
Nguyen Duy Hung, président du conseil d’administration de Tan Hiep Phat, appelle le Vietnam à s’inspirer des pays qui soutiennent véritablement leurs entreprises nationales. « D’autres pays ont montré l’exemple. Le Vietnam doit suivre cette voie pour enclencher un véritable changement », déclare-t-il.

Le rôle du secteur privé dans l’ascension économique du Vietnam est incontestable. Mais pour libérer pleinement son potentiel, il faut des réformes audacieuses : rationalisation des réglementations, meilleur accès au financement et au foncier, et investissement dans la main-d'œuvre qualifiée. Faute de quoi, le pays risquerait de négliger un secteur qui a déjà redéfini son paysage économique, sans encore atteindre sa pleine envergure. -VietnamPlus