Chez les Bahnar, si le fameux rông est le théâtre des activités communautaires des vivants, la maison funéraire reste bien évidemment la demeure des morts. « Maison funéraire » ! Brrr, ça fait froid dans le dos ! Eh bien non, pas chez les Bahnar, en tous cas, qui entretiennent un rapport apaisé avec le monde de l’au-delà....

Pour la plupart des ethnies minoritaires du Tây Nguyên, et a fortiori pour les Bahnar, la mort est synonyme de renaissance dans un autre monde. Mais cette renaissance n’est pas immédiate. Il y a donc une période de transition au cours de laquelle l’âme du défunt hante encore ce bas-monde. Mieux encore, cette âme a des besoins d’ici-bas : manger, se vêtir, se divertir.... auquel il est de bon ton de satisfaire.

Une vieille coutume veut qu’après avoir inhumé l’un des leurs, les Bahnar construisent une petite maison funéraire sur sa tombe pour le protéger de la pluie et du soleil. A l’intérieur, ils déposent des objets lui ayant appartenus. Quelques années s’écoulent ainsi, avant que la famille du défunt reconstruise un autre édifice, beaucoup plus imposant, cerné d’une clôture. Mais cette clôture est elle-même garnie de statuettes en bois, représentant des humains ou des animaux, qui deviennent ainsi pour le défunt des compagnons d’outre-tombe.

« Pour les Bahnar, la mort est un changement d’état, c’est le passage du mobile à l’immobile, nous dit Dinh Tien Hai, peintre de son état. Le défunt doit donc être accompagné d’une partie de ses biens. Et puis, lorsqu’a lieu la cérémonie d’abandon de la tombe, on sculpte ces statuettes qui accompagnent le mort dans l’éternité ».

Difficile de dresser un inventaire de ces statuettes. Elles n’obéissent à aucune règle, à aucun standard. Les artisans qui les sculptent donnent libre cours à leur imagination et ne s’embarrassent d’aucune contrainte. Le résultat n’en demeure pas moins saisissant, d’une troublante humanité... Pour simples qu’elles sont, les formes sont extraordinairement suggestives... Foin de pudibonderie, cette statuaire rustique nous expose de jeunes couples enlacés ou des seins nus sans que personne ne trouve à y redire. Ce n’est d’ailleurs pas de l’érotisme à proprement parler, mais bien une représentation simple et sans fard du cycle de la vie : naissance, maturité, reproduction, vieillissement et recommencement...

« Il serait bien difficile de créer des objets aussi vivants ! On sent que les artisans qui ont fait ces statuettes y ont mis bien plus que du savoir-faire. C’est certainement pour ça qu’elles sont si belles ! » indique Dinh Tien Hai. Belles, c’est vrai, et ô combien émouvantes, ces statuettes nous renseignent, mieux qu’une épitaphe, sur la personnalité du défunt.

"Les statuettes des maisons funéraires sont vraiment emblématiques de ces communautés minoritaires des Hauts Plateaux du Centre", dit Luong Thanh Son, directrice du Musée d’ethnographie de Dak Lak. "J’ai remarqué que les gens du nord de la province préfèrent les représentations humaines, tandis que ceux du sud prévilégient plutôt les représentations animales ».

Véritables chefs d’oeuvres, ces statues sont le témoignage d’une créativité spirituelle, d’une spiritualité créative – comme on voudra – qui est la marque des Bahnar. -VOV/VNA