La Haye (VNA) - Six mois après le procès citoyen intenté au géant américain de l’agrochimie Monsanto, les juges ont rendu, mardi, un « avis consultatif » dans lequel ils demandent la reconnaissance de l’écocide en droit international.
Les conclusions du Tribunal international Monsanto sont sans appel. La compagnie américaine spécialisée dans les biotechnologies agricoles a été reconnue coupable de pratiques portant atteinte à de nombreux droits humains.
Elle était accusée de crimes contre l’Humanité et d’écocide, se voyant notamment reprocher la commercialisation de produits toxiques ayant causé la mort de milliers de personnes, comme les polychlorobiphényles (PCB), le glyphosate – utilisé dans des herbicides comme le Roundup commercialisé par la multinationale –, ou encore l’acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique, ou « agent orange », un défoliant épandu par avion par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam.
Rendu public à La Haye (Pays-Bas) mardi 18 avril après six mois de travail, cet avis « consultatif » du tribunal, présidé par Françoise Tulkens, ex-juge à la Cour européenne des droits de l’homme, n’a pas valeur au sens juridique du terme ; il n’est pas « juridiquement contraignant », ainsi que le précise le document. « Il ne fait par conséquent mention d’aucun “plaignant”, d'aucun “procureur” ni d'aucun “prévenu” au sens juridique de ces termes. »
Le Tribunal Monsanto est un procès citoyen, sans reconnaissance officielle, dont le but est d’alerter l’opinion et de faire avancer le droit. Durant deux jours du 16 au 18 octobre 2016 à La Haye, cinq magistrats professionnels d’Argentine, de Belgique, du Canada, du Mexique et du Sénégal, avaient auditionné une trentaine de témoins, d’experts, de victimes, et d’avocats. Monsanto avait refusé de « comparaître ». Six questions étaient posées au « tribunal ».
L’avis consultatif des juges ne laisse place à aucun doute quant aux agissements de Monsanto. Aux quatre premières questions relatives au respect du droit à un environnement sain, à l’alimentation, au droit à la santé et à la « liberté indispensable à la recherche scientifique », le tribunal estime que la multinationale contrevient aux réglementations et aux droits fondamentaux.
« Monsanto se livre à des pratiques qui ont de graves répercussions sur l’environnement », estiment les juges. Des activités qui affectent, selon eux, les droits des peuples autochtones et des communautés locales.
Les droits à l’alimentation et à la santé sont également bafoués. Le tribunal détaille en particulier « la commercialisation agressive de semences OGM » qui altère ces droits « en forçant des agriculteurs à adopter des modes de culture qui ne respectent pas les pratiques des cultures traditionnelles ». Les cinq juges dénoncent aussi les pratiques de Monsanto qui nuisent à la liberté de la recherche scientifique, ainsi qu’à « la liberté d’expression et au droit à l’accès à l’information ».
Sur les deux dernières questions qui lui étaient posées, le tribunal est moins affirmatif. S’agissant de la complicité de crimes de guerre, il dit ne « pas être en mesure de formuler une conclusion définitive ». Mais, reconnaissant la destruction de l’environnement ainsi que les dommages causés à la population vietnamienne, les juges avancent que l’hypothèse, selon laquelle Monsanto « a donné des moyens de faire la guerre au Vietnam », « connaissait l’utilisation qui devait être faite du produit » et « disposait des informations relatives à ses effets préjudiciables sur la santé et l’environnement », ne peut être écartée.
Autant dire que l'appréciation de ce tribunal est lourde. Il conclut d’ailleurs qu’une procédure par voie civile aurait dû être engagée et que, si le crime d’écocide venait à être inclus dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale, « au titre d’une cinquième catégorie de crimes internationaux », les juges auraient pu se prononcer sur ces actes de destruction perpétrés au Vietnam.
C’est d’ailleurs l’ultime conclusion et réponse à la dernière question posée : le crime d’écocide doit être reconnu en droit pénal international. Il permettrait de caractériser les activités de Monsanto, selon les juges.
Pour rappel, cette notion avait été évoquée, dès 1972, lors de la conférence des Nations Unies sur l’environnement, à Stockholm, dans son discours d’ouverture, par le premier ministre suédois, en évoquant la guerre du Vietnam.
Depuis, le droit de l’environnement a progressé lentement dans les législations nationales. La nature s’est même vu accorder des droits comme en 2008, en Equateur, lorsque le gouvernement a donné un statut juridique aux montagnes, aux rivières et aux terres.
Le Tribunal international Monsanto veut aller plus loin. Il estime « que le temps est venu de proposer la création d’un nouveau concept juridique pour le crime d’écocide et de l’intégrer dans une future version amendée du statut de Rome établissant la Cour pénale internationale ». Et les magistrats rappellent qu’en 2016 « Mme le procureur de la Cour pénale internationale avait annoncé qu’un point d’honneur particulier sera mis à la poursuite en justice des auteurs de crimes (…) ayant pour objectif ou pour conséquence, entre autres, la destruction de l’environnement (…) ». -VNA