Hanoi (VNA) - Le village de Nhi Khê, à une vingtaine de kilomètres au sud de Hanoï, présente un double intérêt pour les amateurs de la culture traditionnelle du Vietnam. Petite visite guidée.
Le village de Nhi Khê est le lieu d’origine de Nguyên Trai (1380-1442), qui compte parmi les plus belles figures de l’histoire et de la littérature vietnamienne. Il est aussi le berceau de notre travail artisanal au tour. Nhi Khê nous accueille par un portique portant les idéogrammes Bienvenue aux hâtes de choix, de larges allées pavées, un parc où trône la statue du grand homme et son temple renfermant deux objets précieux : un portrait de Nguyên Trai de vieille facture et un magnifique store séculaire en fines lamelles de bambous dont les entre-nœuds dessinent un paysage en refief.
Nguyên Trai, stratège national
C’est en ce haut lieu de mémoire qu’en 1980 a été célébré, en même temps que dans plusieurs capitales du monde, le sixième centenaire de cet éminent humaniste, en application d’une décision de l’UNESCO que son directeur général A-M M’Bow a explicité en ces termes : «Notre époque est la première de l’histoire à considérer l’ensemble des supports spirituels ou matériels, littéraires ou artistiques du monde comme un héritage indivisible qui appartient à l’humanité entière. Les poètes d’un pays en sont souvent les messagers. Ils méritent encore mieux ce titre quand, des siècles après leur mort, leur message continue à se manifester dans l’esprit des générations. C’est le rôle qui est dévolu à l’œuvre de Nguyên Trai, dans l’histoire du Vietnam. Sa voix y demeure, par excellence, celle d’un grand patriote tourmenté dans sa Patrie....»
Nguyên Trai a rendu d’inégalables services au pays en tant que stratège (âme d’une résistance victorieuse de dix ans contre l’envahisseur chinois Ming), homme politique (ministre de l’Intérieur), diplomate, écrivain (auteur de la Proclamation sur la pacification des Ngô), poète (pionnier de la poésie en langue nationale), érudit (auteur d’un Traité de géographie). Victime d’une cabale de cour à cause de sa droiture, il fut supplicié avec presque tous les membres de sa famille.
Le métier de tournage
Nhi Khê est encore le berceau des tourneurs vietnamiens. En réalité, le Saint Patron du métier, Doàn Tài, habitait plutôt le village de Khanh Vân, face au village de Nhi Khê. Doàn Tài vécut aux XVIIe-XVIIIe siècles, à l’époque où les rois Lê régnaient et les shogouns Trinh gouvernaient. L’exploitation minière prospérait alors, en même temps que les métiers artisanaux, entre autres les fameuses porcelaines du village de Bat Tràng, qui étaient vendues jusqu’au Japon.
Dans le sanctuaire secondaire de pagode de Khanh Vân, on vénère encore une statue du Saint Patron en pierre bleutée, assis devant deux instruments typiques de tourneur, également en pierre bleutée. Chaque année, les tourneurs de tout le pays se donnent rendez-vous au temple de Doàn Tài pour célébrer l’anniversaire de la mort survenue à la centième année de sa vie, comme le rappelle un dicton populaire local :
«Il a vécu complètement les cent ans de la vie humaine,
Et mourut le vingt-cinquième jour de la dixième lune».
Le métier pourtant ne nourrissait pas toujours l’artisan qui exhalait ainsi sa plainte.
«O Ciel ! Compatissez-vous à mon malheur ?
Je trime dur pour façonner au tour des boisseaux pour qu’on mesure les grains
Je fabrique les boisseaux mais ne mesure aucun grain
Plus je façonne de boisseaux, plus j’ai mal au cœur
Les gens versent et déversent les grains dans les boisseaux
Que je perds ma peine à façonner».
La famine de 1945 a enlevé plusieurs tourneurs très qualifiés. Depuis la fin de la Première guerre d’Indochine (1954), Nhi Khê a réussi peu à peu à améliorer son économie en pratiquant deux récoltes annuelles de riz et en modernisant le tournage. Chaque foyer pratique ces deux activités : l’agriculture pourvoit à la nourriture, le tournage donne l’argent pour les dépenses quotidiennes, les constructions et même l’acquisition d’objets de luxe : Honda, TV, frigidaire... Au lieu d’être mû par deux pédales en bambou, le tour, bien que rudimentaire, est électrifié, mais l’œil et la main restent essentiels. On tourne le bois, le bambou, la corne de buffle, l’ivoire, les os, les matières plastiques, les coquillages... On façonne tout, selon la commande : vases à fleurs, accessoires de machine, grains de collier, bracelets, pions d’échecs, bibelots...
Les tourneurs de Nhi Khê ont aussi contribué à la guerre nationale en livrant des millions de pièces pour grenades, sans parler de pièces pour membres artificiels. Leur produits sont déjà exportés. -CVN/VNA