Hanoï (VNA) - Le nón a fait son apparition dans des mythes qui remontent à l’aube de la nation vietnamienne il y a plus de trois mille ans. Les feuilles de latanier constituent les matières premières nécessaires à la fabrication de ce chapeau conique.
Dans les flots de passagers déversées par les avions sur un aéroport international, on reconnaît sans peine une Vietnamienne à son áo dài (longue tunique traditionnelle vietnamienne) et son nón (chapeau conique en feuilles de latanier). La longue tunique et le chapeau conique sont presque devenus l’emblème du Vietnam ces dernières décennies grâce aux images diffusées par la TV : jeunes étudiantes de Huê (Centre) ou de Saïgon manifestant contre les Américains, danse des chapeaux coniques à des festivals à l’étranger, files de jeunes Vietnamiennes aux championnats sportifs mondiaux, mode féminine. Le mot nón désigne en général un chapeau traditionnel, souvent en feuilles, qui ne colle pas aux cheveux. Le mot mu est appliqué aux chapeaux qui collent aux cheveux, à l’exception des turbans.
Le nón dans des mythes…
Le chapeau nón a fait son apparition dans des mythes qui remontent à l’aube de la nation vietnamienne il y a plus de trois mille ans. Une légende rapporte que le Génie de Gióng, garçonnet inerte de trois ans devenu brusquement géant, a enfourché un cheval de fer pour chasser les hordes venues du Nord. Il portait une armure et un chapeau conique en fer.
Selon une autre légende, une belle princesse fit amarrer un jour sa nef sur la berge d’un fleuve pour prendre un bain sous une tente improvisée. L’eau qu’elle se versa sur le corps découvrit sous le sable le jeune Chu Dông Tu, si pauvre et si pieux qu’il avait enseveli son père avec le seul vêtement qu’il avait, un pagne. Scellés par le destin, ils devinrent mari et femme. Ils finirent par suivre la voie de Bouddha. Un soir, ils furent surpris par la nuit dans un endroit désert. Chu Dông Tu planta un bâton magique dans le sol et le coiffa d’un chapeau de feuilles magique. Un palais d’émeraude émergea aussitôt pour héberger le couple.
Le chapeau nón a fait son entrée dans le culte médiumnique très populaire des Déesses Mères (Tho Mâu). Dans leurs temples, des chapeaux coniques de toutes les couleurs pendent au-dessus des autels, rappelant des histoires miraculeuses. À l’âge de 7 ans, nous avons retrouvé le chapeau de feuilles dans notre manuel de lecture "Quôc van giáo khoa thu". Maintenant que nous avons des cheveux blancs, certaines phrases du texte "Le petit gardien de buffle" hantent encore notre mémoire : "Qui a osé dire que c’est malheureux d’avoir à garder un buffle ? Non, quel bonheur que de garder un buffle. Je porte sur la tête un méchant chapeau de feuilles qui me protège comme un parasol…", etc.
Le chapeau de feuilles, au Vietnam comme dans d’autres pays du Sud-Est asiatique, est le produit du climat tropical. Il constitue un outil parfait pour se protéger contre les rayons incendiaires du soleil d’été et les pluies diluviennes de la saison humide. Les matières premières, feuilles de latanier et bambou, abondent dans la plaine et la montagne. Le nón est présent dans la vie quotidienne, les travaux et les jours, en temps de paix comme en temps de guerre, dans toutes les classes sociales.
Le nón accompagne la paysanne :
"Le pluie parsème de ses gouttes le champ de mûriers
Coiffée d’un nón, elle tient dans son bras le panier".
(Troi mua lác đác ruông dâu
Cái nón đôi đâu, cái thúng cap tay).
… et des chansons populaires
Dans beaucoup d’autres chansons populaires, le nón évoque l’amour féminin, tendre, secret et fidèle :
"Ta coupe d’amour, mon ami, enivre comme l’alcool,
Mon chapeau d’amour, je ne cesse de le porter
Sur ma tête, en temps de pluie ou de soleil".
(Chén tình là chén say sua,
Nón tình em đôi, nang mua trên đâu)
Une femme sans mari se comparait à un chapeau sans jugulaire :
"Elle oscille sur ses pieds, pareille à un chapeau sans jugulaire ;
À une barque sans gouvernail, femme sans mari".
(Chòng chành nhu nón không quai
Nhu thuyên không lái, nhu ai không chông).
Le chapeau féminin est plat et rond (diamètre : environ 1 m), muni d’une jugulaire en rotin (nón quai thao). Il est l’accessoire indispensable des chanteuses de Lim, région célèbre pas les joutes de chant quan ho entre groupes féminins et masculins. On se souvient que cette coiffure est évoquée avec beaucoup de charme dans un poème de Nguyên Nhuoc Pháp (1914-1939) sur le pèlerinage à la pagode des Parfums de la fille d’un lettré, qui rêve d’amour.
La gamme des nón est très large. Le chapeau conique de Huê cache un poème quand on l’examine devant un fond de vive lumière. Le nón chóp est un chapeau conique d’homme à sommet métallique. Le nón Chuông, fabriqué au village éponyme, à Hà Tây, en banlieue de Hanoï, est décoré à l’intérieur de fleurs en papier, sur les flancs de dentelles en couleur. Le nón dâu en bambou, à sommet métallique, est une coiffure de soldat d’autrefois.
Le chapeau de bonze est fait de feuilles grossières, le nón son est laqué, le nón de mandarin est en plumes…
Excellent pour se protéger des intempéries, le nón se prête à tous les usages. Il sert de toit pour la petite marchande de légumes dans un marché en plein air, de panier pour la ménagère allant faire ses provisions, d’éventail pour le laboureur derrière son buffle, de flotteur sur lequel on met les vêtements quand on traverse une rivière… Des centaines de milliers de volontaires civils ont porté le nón pour haler les canons à Diên Biên Phu (Nord) ou tailler la piste Hô Chi Minh.
Si paradoxal que cela puisse paraître, au moment où le nón vietnamien s’exporte et est connu à l’étranger, sa production diminue. Les citadins vietnamiens l’ont troqué contre les chapeaux occidentaux depuis les années 1920-1930. Le même changement est en train d’affecter le nón féminin en ville et même dans une partie de la campagne. Il faut sauver notre couvre-chef traditionnel et les villages spécialisés depuis des siècles dans sa confection. -CVN/VNA