Hanoï (VNA) – Dans l’effervescence nocturne des espaces culturels alternatifs à Hanoï, un projet artistique baptisé « Ái Long Địa » ouvre une passerelle audacieuse entre traditions ancestrales et expressions contemporaines. Porté par le collectif de jeunes créatifs Entropy, ce projet expérimental ne se contente pas d’« habiller le passé » : il ambitionne de faire revivre le patrimoine culturel vietnamien au cœur du quotidien moderne, notamment auprès de la jeunesse.
« Nous croyons que la culture n’est pas faite pour être figée dans un musée, mais pour être vécue, ressentie, partagée », affirme Trân Khanh Linh, fondatrice du projet.
Quand la tradition investit les espaces « non traditionnels »
Le nom « Ái Long Địa » – que l’on peut interpréter comme « aimer la terre du dragon » – exprime un amour profond pour la patrie et pour les valeurs culturelles qui ont façonné l’âme vietnamienne. Ce projet ose investir des lieux considérés comme étrangers au patrimoine : bars, clubs, scènes multimédias…
Dans ces espaces atypiques, les trích đoạn du théâtre classique tuồng, les gongs des Hauts Plateaux ou les sons plaintifs du đàn bầu (monocorde) rencontrent musique électronique, lumières contemporaines et danse urbaine. Le passé et le présent ne s’opposent plus : ils coexistent, s’interpénètrent, créant une expérience sensorielle inédite.
Un patrimoine remis en mouvement
Depuis son lancement en 2024, « Ái Long Địa » a organisé trois représentations artistiques, chacune explorant un élément du patrimoine culturel vietnamien :
La première soirée a mis à l’honneur le đàn bầu, emblème musical du Vietnam, dans une performance émotive et immersive de l’artiste Âu Thị Hà Anh, en dialogue avec des sonorités électroniques. La deuxième a transporté le public dans l’univers des gongs du Tây Nguyên, inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, recréant un espace rituel dans une ambiance visuelle et sonore contemporaine. La dernière a surpris par une relecture novatrice du tuồng, théâtre classique ancien. Deux scènes du célèbre opéra Ôn Đình chém Tá ont été mises en scène par l’Artiste émérite Trân Van Long, intégrant performance traditionnelle, musique électro et lumières inspirées des arts populaires.
« Se produire dans un club était un vrai défi », confie le metteur en scène. « Mais ce fut une révélation : loin de dénaturer le tuồng, ce cadre nouveau l’a rendu plus accessible, plus vivant. Ce que font ces jeunes n’est pas seulement de l’expérimentation artistique – c’est une remise en question du regard social porté sur notre patrimoine. »
Un dialogue universel au-delà des mots
Le projet a conquis bien au-delà des cercles artistiques. De nombreux jeunes Vietnamiens, ainsi que des spectateurs étrangers, ont exprimé leur émotion devant cette forme de narration croisée.
James, touriste britannique, confie : « Je connaissais le tuồng par les livres, mais cette expérience a surpassé tout ce que j’imaginais. Même sans comprendre les paroles, j’ai ressenti la puissance des gestes, des regards, du jeu d’acteur. C’est une manière extrêmement pertinente de faire découvrir la culture vietnamienne au public international. »
Pour Lê Vũ Thùy Linh, spectatrice hanoïenne, cette performance a été une révélation. Touchée par le spectacle, elle est rentrée chez elle pour chercher des vidéos de tuồng sur YouTube, lire des articles sur cet art, et se demander : « Pourquoi ai-je attendu si longtemps pour découvrir cela ? Peut-être parce que le tuồng n’a jamais été présenté dans des lieux que nous, les jeunes, fréquentons. »
Une autre façon de raconter le Vietnam
Loin de se proclamer projet de conservation, « Ái Long Địa » se veut un espace de dialogue vivant avec le patrimoine. Chaque représentation est une tentative sincère de remettre la tradition en mouvement – non pour l’effacer, mais pour lui insuffler un nouveau souffle.
Le journaliste et dramaturge Mai Van Lang, fin connaisseur des arts traditionnels, salue l’initiative : « Ils ont trouvé une voie pour rapprocher l’art populaire du public d’aujourd’hui. En regardant les artistes impliqués, je suis convaincu qu’il s’agit d’un projet d’un niveau artistique élevé. J’espère qu’en renouvelant les formes, ils préserveront l’essence et l’âme vietnamienne. »
Le collectif Entropy prévoit de poursuivre cette aventure avec d’autres formes d’art comme le chèo (art musical et théâtral typique dudelta du fleuve Rouge), le xẩm (chant des aveugles), le cải lương (théâtre classique rénové) ou encore les expressions populaires des régions montagneuses. À travers cela, ils espèrent raconter une autre histoire du Vietnam : celle d’un pays ancré dans ses traditions, mais résolument créatif et tourné vers l’avenir. - VNA