Hanoi (VNA) – À l’écart du tumulte contemporain, le village de Phù Lang, niché sur les rives de la rivière Câu dans la province de Bac Ninh, perpétue avec discrétion un savoir-faire céramique transmis depuis près de sept siècles. Ce berceau d’artisanat séduit aujourd’hui une clientèle internationale en quête d’objets uniques, empreints d’authenticité et porteurs de ce que les artisans nomment ici, avec fierté, "le souffle de la terre".
Sous l’arche des fours traditionnels, le bois sec claque, le feu crépite et semble raconter une histoire millénaire. Alors qu’une cuisson touche à sa fin, les mains s’activent déjà autour des pièces à venir.
Derrière leur apparente simplicité, les petites figurines en argile exigent une réelle maîtrise. "Facile ! Il suffit d’en faire mille par jour et on prend le coup", lance en riant Thang, artisan expérimenté, en invitant à s’essayer à l’exercice. Mais le geste doit être juste : trop léger, la terre n’adhère pas ; trop appuyé, la forme se déforme. Tout est question d’équilibre et de sensibilité.
Après le modelage, chaque pièce est soigneusement ébarbée pour en ôter l’excédent d’argile. Le geste, vif et précis, témoigne d’une longue expérience. Vient ensuite le temps du séchage, qui peut durer plusieurs semaines, avant l’étape finale de l’émaillage et de la cuisson au bois.

Des flammes, des cendres et une patine unique
Ce qui fait le charme singulier de la céramique de Phù Lang, c’est son émail brun profond, surnommé "peau d’anguille", fruit d’un mélange subtil de cendres de bois et d’oxydes naturels.
Plus qu’un lieu de mémoire, Phù Lang est aujourd’hui une destination prisée pour des commandes hautement personnalisées émanant de partenaires internationaux. De nombreuses pièces y sont conçues sur mesure, en accord avec l’esthétique et les codes culturels propres à chaque pays, qu’il s’agisse de l’Europe, du Japon, de la Corée ou de certaines régions du Moyen-Orient.
La production "sur mesure", adaptée aux préférences des clients, permet à de nombreux artisans locaux de bénéficier d’un emploi stable et d’un niveau de vie amélioré.
Ces commandes s’accompagnent généralement de contrats d’exclusivité stricts et de cahiers des charges techniques particulièrement exigeants. Les clients ne se contentent pas de choisir un modèle : ils exigent également le respect absolu des procédés artisanaux, des matières premières à l’émaillage, jusqu’à la cuisson au bois, considérés comme partie intégrante de la valeur et de l’authenticité de chaque pièce.

Les visiteurs ne viennent pas seulement pour repartir avec un souvenir : ils viennent toucher la terre, respirer la fumée, écouter le bois crépiter dans le four, et saisir le cœur de ces instants spéciaux.
Ce qui vaut à Phù Lang la confiance de partenaires internationaux, c’est l’alliance rare de trois éléments essentiels : une terre adaptée, des artisans talentueux et un métier solidement ancré.
L’argile locale, travaillée avec dextérité par des mains expertes, donne naissance à des pièces à la fois robustes et empreintes de cette "respiration de la terre" si chère aux connaisseurs. Quant à la cuisson au bois, jugée désuète ailleurs, elle crée ici des effets uniques : coulures d’émail, marques de flammes, autant de détails que l’industrie moderne est incapable de reproduire, et qui fascinent les collectionneurs du monde entier.
Garder le feu
"Il y a toujours quelqu’un pour veiller sur les fours, mais les jeunes partent de plus en plus travailler ailleurs. Pourtant, à chaque saison, dès que le travail se fait plus léger, beaucoup reviennent au village pour faire de la céramique", confient les artisans, expliquant ainsi la diminution progressive du nombre de fours ces dernières années.
Il n’y a ni thermostat, ni minuteur. Ici, tout repose sur l’expérience et le ressenti des artisans.
Par équipes de trois ou quatre, ils se relaient pour alimenter les fours, glissant des bûches de bois sec dans la gueule incandescente. Les flammes s’élèvent aussitôt en nappes rougeoyantes. La température peut atteindre 1.000°C et doit rester stable pendant quatre jours et trois nuits, un effort constant, sans répit, où chaque regard compte.
À la lueur des flammes, au crépitement du bois, à l’odeur âcre de la fumée, les artisans devinent jusqu’où le feu a pénétré la matière.

Les coulures d’émail, appelées ici "traces de flamme", apparaissent de façon aléatoire à la sortie du four. Impossibles à reproduire à l’identique, elles confèrent à chaque pièce son caractère unique, un détail que les amateurs de céramique du monde entier recherchent avec passion.
Phù Lang n’est pas seulement un lieu de production : c’est un musée vivant de l’artisanat vietnamien, un symbole de résilience, de créativité et de passion transmis par les habitants du Kinh Bac.
Alors que de nombreuses autres traditions artisanales s’éteignent, ce village niché au bord de la rivière Câu parvient non seulement à préserver son savoir-faire, mais aussi à rayonner sur la scène internationale. Ici, ce ne sont pas les artisans qui cherchent les clients, ce sont les clients du monde entier qui viennent à eux, preuve que l’authenticité attire encore, à contre-courant de l’uniformité. – CVN/VNA