Pour les habitants d’ethnies minoritaires de Bac Hà, le cheval est comme un "ami de la famille". Ce grand mammifère est, en effet, très lié à leur vie quotidienne. En plus d’être un coureur remarquable, c’est aussi une excellente bête de somme ou de trait... Tout cela explique l’existence d’un marché aux chevaux dans cette région montagneuse de l’extrême-Nord où les chemins escarpés rendent l’usage de bêtes de somme indispensable.
Organisé chaque dimanche matin, ce marché extraordinaire est un des rendez-vous hebdomadaires préférés des autochtones, des hommes surtout.
Marchandage sans ambages
À l’aube, retentissent sur les sentiers amenant au marché les clochettes attachées au cou des chevaux. Les animaux, venus des quatre coins du district, se suivent à la queue leu leu, portant sur leur dos soit des marchandises soit des personnes à califourchon, sans selle bien sûr.
À 07h30, on arrive tour à tour au lieu de rendez-vous: une vallée située près du bourg de Bac Hà. "Il me faut deux heures de marche pour venir au marché", confie Trang Seo Ky, 47 ans, d’ethnie H’mông. Il attache son cheval à un poteau puis fait un tour du marché avant de s’assoir dans une gargote pour prendre son petit déjeuner: un bol de "thang cô" (sorte de soupe aux viscères de cheval, spécialité de la haute région), accompagné d’un verre d’alcool de maïs et d’une prise de tabac (avec une pipe à eau). Avec un sourire béat, Ky retourne à son cheval, qui ne cesse de brouter.
Une centaine de chevaux, bruns ou blancs, sont éparpillés dans la vallée. Les hommes, bien plus nombreux, sont d’ethnies H’mông, Tày, Nùng, Dao, Giay, Phu La, La Chi, Hoa, Kinh… Ils viennent de diverses localités, certaines très éloignées comme Hanoï, Bac Ninh, Bac Giang, Vinh Phuc, Lang Son, Cao Bang, Hà Giang (Nord)…
Les transactions commencent souvent vers 08h00. Le marché s’anime, le brouhaha de conversations s’élève au-dessus des hommes et des bêtes. On va et vient, à la recherche de l’animal rêvé. Dans l’ensemble, les chevaux de Bac Hà sont des "modèles réduits": seulement 1,2-1,5 m au garrot et 130-170 kg. Un client s’approche du cheval de Ky, touche sa crinière, tape sur son dos et sa croupe, tire sa patte arrière, vérifie sa dentition… Quelques minutes passent. "Le cheval a un an, pèse 90 kg. Son prix:18 millions de dôngs", annonce le propriétaire. "C’est trop cher! Je vous donne 14 millions", réplique le client. Mais après quelques minutes d’âpre marchandage, l’affaire est conclue pour 15 millions de dôngs. Les deux hommes se serrent la main, manifestement satisfaits.
Empochant sa liasse de billet, Ky se met à faire un tour du marché, regardant les scènes de transactions, participant parfois aux commentaires.
Lorsqu’il trouve le cheval souhaité, le client peut le monter et faire un petit tour avec. Se déroule ensuite le marchandage, qui s’arrange toujours à l’amiable. Tout le monde a l’air content du résultat.
S’imprégner de l’ambiance et s’imbiber
Après des heures à arpenter le marché, nos compères entrent dans une gargote de "thang cô". "Ici, en plus du thang cô , la viande de cheval cuite à vapeur et l’alcool de maïs sont excellents", souligne Vu Thiêm. Le lieu est presque complet, animé par les conversations qui portent essentiellement sur les équidés que l’on entend hennir à proximité.
Ces garrottes, installées en rang dans un coin du marché, sont elles aussi une des attractivités du marché. Après une semaine de travail laborieux et après une séance de marché animée, les autochtones ont l’habitude de venir y faire ripaille, et l’alcool de maïs coule souvent à flot.
À la mi-journée, nombreux sont les clients qui repartent chancelants… Les scènes d’ivresse deviennent de plus en plus fréquentes au fil des heures: les uns dorment à même le sol, d’autres sur les genoux, d’autres encore sur la selle de leur moto… Et il est aussi habituel de voir les femmes assises à côté de leur mari, attendant patiemment qu’il retrouve ses esprits et ses forces… si possible avant que la nuit tombe.
À Bac Hà, l’élevage du bétail (chevaux, bovins, buffles) se pratique traditionnellement. Annuellement, le district fournit aux marchés de la haute région du Nord de 1.500 à 2.000 têtes, en majorité des chevaux.
Depuis toujours, le marché de Bac Hà est à la fois un lieu de commerce et de divertissement. Ces dernières années, il est même devenu une destination très attractive pour les touristes étrangers et même vietnamiens, qui ressentent parmi ces montagnards un vrai dépaysement.
Bac Hà a accueilli quelque 301.000 voyageurs en 2017, et presque le double en 2018. À visiter absolument.-CVN/VNA