La fameuse longue fable satirique en vers nôm (idéogrammes vietnamiens) Luc suc tranh công (Querelle des six animaux domestiques) ne mentionne que six animaux domestiques des campagnes : buffle, chien, cheval, chèvre, coq et porc.
Dans les écoles primaires supérieures, les élèves vietnamiens de 13 à 14 ans faisaient connaissance avec les moutons et les mœurs pastorales grâce aux Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet, écrivain du XIXe siècle qui chantait sa Provence natale avec attendrissement et humour.
Le mouton dans la littérature
Voici le retour des moutons à la plaine à la fin de la transhumance dans les montagnes : "Puis tout à coup, vers le soir, un grand cri Les voilà ! et là-bas, au lointain, nous voyons le troupeau s’avancer dans une gloire de poussière. Toute la route semble marcher avec lui"…
Le défilé, puis le remue-ménage dans la ferme. "Je vous jure, écrit Daudet, que je ne donnerais pas ce spectacle pour toutes les premières que vous avez eues à Paris".
Le récit "Les étoiles" émouvait les petits Vietnamiens par la pureté des sentiments et la fraîcheur de l’écriture. Un jeune berger mène une vie solitaire dans la montagne. Un après-midi, la jolie "demoiselle", fille du patron, vient en personne lui apporter les vivres de quinzaine. Surprise par la pluie, elle doit passer la nuit dans l’enclos des moutons. Ravi, le berger lui offre à manger.
Après lui avoir préparé sa couche, il va s’asseoir dehors, près d’un feu de bois : "Dieu m’est témoin que malgré le feu d’amour qui me brûlait le sang, aucune mauvaise pensée ne me vint… Jamais le ciel ne m’avait paru si profond, les étoiles si brillantes".
Bientôt, la demoiselle, ne pouvant fermer l’œil, vint rejoindre le berger. Ils s’asseyaient côte à côte. Il lui montra les étoiles et lui raconta leur histoire. Tout à coup, "je sentis sa tête alourdie de sommeil qui s’appuyait contre moi… Je la regardais dormir, un peu troublé au fond de mon être, mais saintement protégé par cette claire nuit qui ne m’a jamais donné que de belles pensées. Autour de nous, les étoiles continuaient leur marche silencieuse, dociles comme un grand troupeau, et par moments, je me figurais qu’une de ces étoiles, la plus fine, la plus brillante, ayant perdu sa route, était venue se poser sur mon épaule pour dormir".
Le charme bucolique des mœurs pastorales évoqué par Daudet s’est évanoui par suite de l’industrialisation de l’élevage. Les effectifs mondiaux de moutons atteignent un milliard de têtes. L’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’ex-URSS, l’Argentine se classent en tête pour le nombre de troupeaux. L’Australie produit le plus de laine, surtout pour l’exportation. Une grande partie de la production laitière vient du bassin méditerranéen.
La brebis, un animal de sacrifice
Le mouton semble avoir été domestiqué il y a 9.000 ans, dans les montagnes au Nord de l’Iran ou de l’Inde. Il va sans dire qu’il a marqué profondément les cultures des peuples éleveurs. Leur folklore, leur fonds linguistique, leurs mœurs et coutumes donnent souvent au mouton un profil caractérisé, celui de la douceur, de l’innocence, d’une candeur qui frise l’imbécillité et la passivité totale.
Selon une métaphore fréquente dans la Bible, les chrétiens sont des brebis gardées par le Pasteur (Jésus) et ses ministres.
Par contre, une vieille légende irlandaise rapporte que trois moutons noirs au pelage hérissé de pointes de fer ont foncé sur l’ennemi, semant la terreur ; ils représentent la magie.
Dans l’astrologie occidentale, le premier signe du Zodiaque est le Bélier qui correspond à l’équinoxe de printemps. Une personne née sous le signe du Bélier est censée être violente, sanguine. Chez beaucoup de peuples (Égypte, Grèce, Inde, Chine…), le bélier représente la virilité, le feu créateur, la fécondité printanière. Les Hébreux, les chrétiens et les musulmans considèrent la brebis comme l’animal de sacrifice par excellence.
Le mouton a fait son apparition au Vietnam, à Phan Rang, province de Ninh Thuân (Centre). Il m’a été donné de visiter l’année dernière cette terre aride incendiée par le soleil et battue par les vents marins. Dans le cadre de la campagne de verdissement du mont Cà Son, l’ingénieur Nguyên Xuân An avait lancé l’élevage de moutons en 1995. En dix ans, le cheptel est passé de 50 à 1.500 têtes.
M. An donne ses troupeaux (chacun de 130) à ferme à 12 foyers, chacun jouissant de 7% des bénéfices (en moyenne 30 millions de dôngs par an, revenu alléchant pour les paysans, puisque le traitement mensuel d’un fonctionnaire moyen ne dépasse pas 500.000 dôngs).
La part de l’exportation mise à part, notre consommation intérieure ne pourra augmenter que dans la mesure où les Vietnamiens se seront habitués au goût du lait et de la viande de mouton. En tout cas, l’élevage du mouton au Vietnam est un acquis positif de la mondialisation qui ne favorise en général que les pays nantis. -
Huu Ngoc/CVN/VNA