Bui Tran Phuong, une intellectuelle engagee dans la Francophonie hinh anh 1De gauche à droite : Dr. Phan-Labays Trang (Université Lyon 3/2IF), Dr. Nguyên Dac Nhu- Mai (Apfa/Apfsv/Faaod), Dr. Nguyên Nga (president de N.N Joint Stock Company), et Dr. Bùi Trân Phuong (NES Education) à Bucarest. Photo: CVN/VNA

Hanoi (VNA) - Historienne vietnamienne, spécialisée dans l’histoire de la colonisation, Bùi Trân Phuong a été la première professeure à enseigner l’histoire des femmes au Vietnam.

Ma rencontre avec Bùi Trân Phuong date de notre participation à Bucarest en 2017 à la 2e conférence de la Francophonie, sur le thème "Création, innovation, entrepreneuriat, croissance et développement : les femmes s’imposent", organisée à l’initiative de  Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francophonie, sous le haut patronage de Klaus Werner Iohannis, président de la Roumanie, les présidents, ministres, parlementaires et représentants des États et gouvernements, d’organisations internationales et régionales, opérateurs de la Francophonie, membres d’organisations de la société civile et femmes entrepreneures.

Ensuite, nous avons continué à correspondre sur les programmes concernant la francophonie lors de nos voyages ici ou là. Puis nos retrouvailles ce jour du 9 mars 2023 au Collège de France où elle était invitée en tant que titulaire de la chaire Mondes francophones. Lors de sa leçon inaugurale, intitulée "Les femmes dans l’histoire du Vietnam : regard d’une historienne", plus de 300 personnes étaient venues l’écouter.

Une femme engagée

Historienne vietnamienne, spécialisée dans l’histoire de la colonisation, Bùi Trân Phuong a été la première professeure à enseigner l’histoire des femmes au Vietnam. Très active dans le monde académique, elle tisse depuis de nombreuses années des partenariats et coopérations universitaires entre la France et le Vietnam.

Née en 1950, elle enseigne depuis 1972 dans différentes universités vietnamiennes et françaises ainsi que dans des programmes développés par des universités américaines au Vietnam. Convaincue de l’intérêt d’une approche interdisciplinaire dans la recherche en sciences sociales et humaines, elle possède une maîtrise des cultures vietnamienne et française. Ses travaux portent sur l’histoire de la colonisation comme histoire partagée avec la prise en compte de l’interaction et de l’influence mutuelle entre colonisateurs et colonisés ; l’histoire des femmes et du genre ; l’histoire de l’éducation et des intellectuels ; l’histoire de la culture vietnamienne dans une optique comparatiste avec celles de la Chine et d’autres pays de l’Asie du Sud-Est.

"Une idée reçue au Vietnam est de penser qu’avant l’arrivée de l’Occident le pays était très oppressif envers les femmes. Or, le pays a une source bien plus ancienne que ces mille ans de domination et fait partie d’une civilisation sud-asiatique très variée et souvent matrilinéaire" a abordé Trân Phuong dans un entretien.  Et d'ajouter que pour simplifier, la riziculture est très répandue, et cette culture demande une main d’œuvre plus nombreuse et minutieuse que celle du blé par exemple. Elle ne peut donc se passer de la main d’œuvre féminine. Les femmes comptent alors dans la production, dans le commerce et les croyances. De plus, avec la matrilinéarité, les alliances entre grandes familles passaient par les femmes. Elles jouaient donc un rôle politique, il fallait compter avec elles, notamment dans les moments de transition, de changement de règne.

"Cela ne se perd que vers le XVe siècle, avec le monopole du confucianisme. Elles se rattrapent alors dans la culture et même l’instruction, car si le confucianisme excluait les femmes des concours, elles pouvaient être institutrices. Les femmes n’avaient donc pas le droit de se présenter aux concours, mais quelques-unes d’entre elles -les plus talentueuses et les plus persévérantes- aidaient les hommes à les préparer", a-t-elle indiqué.

Passerelle entre la France et le Vietnam

Par ailleurs, ayant participé dès l’origine au développement de l’école Hoa Sen, née en 1991 de la coopération franco-vietnamienne, Trân Phuong a apporté une contribution décisive à l’évolution exemplaire de cet établissement privé à but non lucratif d’une école Bac+2 en école supérieure en 1999, puis université en 2006. Elle a été rectrice de l’université Hoa Sen jusqu’en 2017, année où cet établissement a cessé de fonctionner à but non lucratif.

Elle a initié depuis début 2018 le Programme TEACH (Transformer les buts de l’éducation par le changement) qui accompagne les enseignants et les parents dans tout le Vietnam. De décembre 2018 à mars 2021, elle a été présidente du Conseil de l’université Thai Binh Duong à Nha Trang.

Elle a quitté ses fonctions depuis, pour se consacrer entièrement à la recherche, à l’enseignement universitaire et au travail communautaire au service de l’éducation et de l’égalité de genre au Vietnam.

Perspectives

L’émergence des premières générations d’intellectuelles vietnamiennes, dont des féministes et d’autres femmes modernes, est indissociable de la scolarisation des filles sous la colonisation.

Étaient-elles simplement de jeunes Vietnamiennes "déracinées" – terme utilisé à l’époque de la colonisation et longtemps plus tard pour critiquer non seulement ceux et celles qui parlaient français mais aussi qui avaient des comportements jugés opposés aux traditions orientales ?

En 2023, cette question taraude encore les Vietnamiennes ici et là-bas, du moins celles qui essaient de relier les deux cultures française et vietnamienne.-CVN/VNA