Le poète Trân Dang Khoa parle à bâtons rompus sur le foyer et le roi du foyer avec la Voix du Vietnam.
Monter au ciel à dos de buffle, de bœuf ou de cochon, c’est tropcommun. Chevaucher une carpe, c’est déjà plus noble, plus honorable.
Être roi de cuisine, ça n’a rien de trèsglorieux à première vue, et on ne voit pas pourquoi il faudrait yconsacrer ne serait-ce que quelques lignes et qui plus est sur une pageaussi prestigieuse que celle de la Voix du Vietnam. Eh bien c’estpourtant ce que nous allons faire ! Pas question de se rendre coupabled’un crime de lèse-majesté, fût-ce en cuisine !
Un roiest toujours un roi, même si son visage est barbouillé de suie et queson palais est fait de marmites ou de casseroles. Dans mon enfance, mamère me recommandait toujours de ne pas me fier aux apparences. Sageprécaution : un ange ou un Bouddha peut très bien revêtir une apparencedifforme ou hideuse ! Quant à l’inverse… Combien de personnes,brillantes au premier regard, se révèlent cruelles ou sans humanité ?
Ma maison se trouve à la campagne. Tant mieux, parce quesi les foyers campagnards - par foyer, entendons l’âtre - ont l’heureuseparticularité d’être noircis par la suie, ils n’en demeurent pas moinsle centre névralgique de toute une maisonnée. Ne dit-on pas que lorsquel’on pénètre dans une demeure, pour comprendre le maître de céans, pourvoir si sa famille vit dans le bonheur ou le malheur, dans l’aisance oula pauvreté, on a qu’à pénétrer dans sa cuisine ?
Pourles Vietnamiens, la cuisine est un endroit particulièrement important.Mieux, c’est un royaume, un royaume sur lequel règne un monarquesymbolisé par le trépied. Un trépied : trois pieds, donc, qui ont encommun d’avoir l’échine courbée, à force d’avoir supporté, toute une viedurant, des marmites remplies à ras bord et d’avoir été exposés au feu.Et attention ! Ne badinez pas avec eux, pas de sacrilèges à leur égard !Je me souviens que ma mère m’interdisait de les heurter avec letisonnier, sous peine de conséquences funestes et incalculables.
Le roi partage le même sort que ses courtisans. Il trône au milieu descendres, tout verruqueux, comme un vieux crapaud. Et pourtant son âme sedistille dans chaque grain de riz, chaque feuille de légume, chaquemorceau de poisson… transformant n’importe quel repas, même frugal, enfestin. C’est ce qui explique cette vénération dont sa Majesté faitl’objet parmi ses sujets, lesquels ont en tout cas la reconnaissance duventre. Et comme de juste, ce monarque sans égal a sa journée à lui, aucours de l’année : le 23 e jour du dernier mois lunaire. Ce jour-là,il revêt ses plus beaux atours et chevauche une carpe pour monter auciel.
Mais ce roi a un sort parfois peu enviable. Ilest toujours barbouillé de suie. Même - et surtout - pendant "sa"journée fériée, il doit toujours porter des casseroles, et notammentcette énorme marmite dans laquelle on fait chauffer le bouillon destinéau porc. Ce n’est qu’après qu’il peut chevaucher sa carpe pour s’enaller au ciel. Pour ce faire, les gens de ce bas monde lui procurentforce poissons, aussi bien vivants que morts. Vivants, ceux-cifrétillent dans un bocal déposé sur l’autel des ancêtres. Morts, ilssont en papier, teintés de jaune et voués aux flammes, ce qui en faitd’inimitables carrosses, parait-il. Allez savoir !...
C’est en tout cas un choix judicieux, que celui de la carpe. Chevaucherun poisson, c’est décidément plus noble, et puis ça permet de franchirplus aisément la porte Vu Môn pour se métamorphoser en dragon. C’est entout cas ainsi et pas autrement qu’en a décidé sa Majesté ! Qu’on se ledise !
***
Les Vietnamiens,lorsqu’ils quittent le pays, emportent avec eux beaucoup de choses, ycompris l’indispensable autel des ancêtres, et le roi du foyer.Lorsqu’il part à l’étranger, le roi du foyer est aussi très présent etplein de pouvoirs. Il n’apparaît pas sous une forme vulgaire, palpable,mais réside dans les esprits. Malheureusement, les cuisines étrangèressont souvent dépourvues de cendres. Eh bien qu’à cela ne tienne ! Le roiélit domicile dans les plats eux-mêmes. C’est sans doute ce quiexplique sur la surabondance de boutiques de denrées alimentairesvietnamiennes, dont les propriétaires n’hésitent pas à arborer uneenseigne revendiquant leurs origines régionales.
Onpeut voir des supermarchés de ce type en Russie, en Allemagne, auxÉtats-Unis … Il n’y manque rien : le riz Tam de Hai Hâu, le riz gluantprécoce du village de Vong, les galettes de riz de Thanh Tri, lespamplemousses Nam Roi, la menthe de Lang… Loué soit l’import-export quipermet ainsi aux Vietnamiens exilés de retrouver les saveurs du paysnatal, où qu’ils se trouvent !
Mon ami russe IvanNovitsky qui partage ma chambre a le regard étonné. "Pourquoi êtes-voussi compliqués, me dit-il, ce n’est qu’un repas et vous faites despréparatifs pendant des heures. Avec tout le travail qu’il y a à faireen une journée, il n’en reste pourtant pas beaucoup, du temps !" Ehquoi, la cuisine n’est elle pas une besogne digne d’intérêt ?
Que puis-je dire à mon ami blond aux yeux bleus ? Peu importe lesexplications que je lui donnerai, il ne sera certainement pas en mesurede les comprendre. Les étrangers mangent simplement. En dehors de lasoupe, les autres plats sont souvent froids, chez eux. Ils se contententsouvent de nourriture achetée en boutique, prête à être consommée,quand ils n’optent pas pour un établissement dit de restauration rapideoù l’on ne prend même pas la peine de s’asseoir, tout pressé que l’onest d’en finir.
Et encore ! Il y a ceux qui n’ontpas même le temps d’entrer dans ces restaurants et qui marchent enmangeant. Pour les étrangers, le manger et le boire consistentsimplement en une fourniture d’énergie pour avoir la force detravailler. Pour les Vietnamiens, c’est autre chose. La restauration ades fois l’allure d’un rite. On goûte les plats, on les savoure… C’estun véritable art de vivre auquel pas mal de chercheurs ont consacrés detravaux. Un art, oui ! Un art qui fait que les plats ne sont plus dudomaine du vulgaire, qu’ils accèdent même à une certaine part despiritualité.
C’est pourquoi les repas des Vietnamiensparaissent souvent compliqués. Des fois, les ingrédients se résument àdes œufs et à des légumes mais les préparatifs sont extrêmementminutieux. Les Vietnamiens consomment chaud. Tout doit être chaud. Lesplats dégagent des volutes de fumée. Notre ami russe Ivan Novitskysemble enthousiasmé. Avec un peu de curiosité, il dispose sur la table,des tranches de pain, de saucisses et de cornichon pour prendre sonrepas avec moi. Et ainsi le repas devient une rencontreinternationale.
Voyez-vous cette table, avec ses deuxunivers bien distincts ? Ivan Novitsky sourit. "Moi avec l’assiette, lafourchette et le couteau, remarque-t-il. Toi le bol et les baguettes"."Eh bien - notre ami baisse sa voix comme pour murmurer -, les baguettessont elles le symbole du bâton dont on se sert pour faire des trous ymettant des semences ? J’ai vu un documentaire fait par des Suédois surle Vietnam. Dans le film il y a un homme qui chante tout en faisant destrous avec un bâton." "N’allez pas penser ça, les Vietnamiens ne sontpas les seuls à utiliser les baguettes. C’est là le raisonnementsimpliste de certains gens instruits". "Ce n’est pas du raisonnement.Tout ce qui existe a sa raison d’être. La fourchette sur mon assiette,elle a la forme d’une lance pour la chasse. Les Russes aiment la chasse.En général, les Occidentaux aiment la chasse. Ils sont habitués àmanger de la viande. Vous, vous préférez les légumes. Les baguettes sontplus commodes pour prendre les légumes. Personne n’utilise les couteauxet fourchettes pour prendre les légumes".
Ivan medemande de lui apprendre à manier les baguettes. Il est si gauche queles aliments s’éparpillent sur toute la table. Et pourtant, après unmois d’apprentissage, il abandonne la fourchette et le couteau, leurpréférant une paire de baguettes un peu épaisses qu’il a confectionnéelui-même. Puis Ivan se rend au supermarché asiatique. Il ramène des lotsde mets vietnamiens et me demande de les cuisiner. Et il met la main àla pâte. "Les plats vietnamiens sont très bons, mais c’est comme unedrogue ! Maintenant je ne peux plus manger russe. Trop fade ! À l’avenirj’ouvrirai une boutique de mets vietnamiens. En fait les Vietnamiensaiment beaucoup les sensations fortes. Il suffit de songer aux pétardsqu’ils font exploser à toute occasion. C’est pareil pour les plats. Ilsdoivent avoir une saveur forte, vigoureuse. Lorsque l’on passe àproximité d’une maison habitée par un Vietnamien, on respire des odeursde cuisine caractéristiques !"
Lorsque je retournedans mon pays, je célèbre mon départ par un repas exclusivementvietnamien auquel bien entendu, participe Ivan. "Alors demain turetournes chez toi. Tu rentres chez toi, mais il reste un Vietnamienici". En disant ça, il pose une main sur sa poitrine velue et agite sesbaguettes de l’autre.
Eh oui ! Le roi du foyern’est pas un roi, c’est un empereur, qui règne même sur des Occidentauxaux yeux bleus. Qui dira encore qu’il ne trône qu’au milieu des cendreset que sa cour n’est faite que de cendres ? - VNA

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