Hanoi, 2 septembre (VNA) - L’historien britannique Thomas Hodgkin a écrit un livre sur l’histoire du Vietnam. Selon lui, la Révolution vietnamienne d’Août 1945 revêt une importance internationale, marquant le passage de l’âge de la colonisation à celui de la décolonisation.
Le 21 avril 1982, Liz Hodgkin m’écrivait de Londres: "Mon père est mort en Grèce le 25 mars, la Fête nationale de l’indépendance grecque. Comme cela convient à un partisan de l’internationalisme, nous l’avons enterré là, dans un petit cimetière de village, joli lopin de terre à flanc de coteau pas plus grand qu’un cimetière de village vietnamien, mais l’herbe y est plus longue, avec une multitude de fleurs sauvages, narcisses, hyacinthes et émaillé d’oliviers, de cyprès et de pins".
Cette mort en Grèce me fait penser à Byron et Missolonghi, puisque l’historien Thomas Hodgkin, champion de la liberté et amoureux des cieux lointains, était byronien à sa manière. Il est né en 1910 dans une grande famille de lettrés, de savants et d’artistes dont un membre avait donné son nom à la maladie lymphogranulomatose dite de Hodgkin.
Logique de l’éthique anticolonialiste
La femme de Thomas, Dorothy Crowfoot, Prix Nobel de chimie pour ses travaux sur le B12 et la pénicilline, a visité le Vietnam en pleine guerre américaine. La mère et la fille de Thomas ont été membres de l’Association d’amitié anglo-vietnamienne.
Liz Hodgkin et sa tante Mary Cowan ont travaillé à titre bénévole à la même époque aux Éditions en langues étrangères de Hanoï.
Par quel chemin Thomas Hodgkin, Emiritus Fellow d’Oxford, est-il venu au peuple vietnamien? La logique de son éthique anticolonialiste l’y a mené.
Pendant un demi-siècle, il s’est rangé aux mouvements de libération nationale au Moyen-Orient, en Inde, surtout en Afrique. En 1962 et 1965, il a dirigé l’Institut d’études africaines à l’Université du Ghana et écrit trois livres d’histoire: Nationalisme in colonial Africa, African political parties et Nigerian perspectives. Il a enseigné aussi en Europe et en Amérique du Nord.
C’est au cours de son second voyage au Vietnam en 1974 qu’il a pris la décision d’écrire sur l’histoire du pays, bien que dès les années 1960, les événements du Vietnam l’aient "envoyé à la barricade", selon l’expression de David Marr. Le résultat de ses longues, patientes et consciencieuses recherches fut Vietnam: The Revolutionary Path (London, Mac Millan, 1981, 336 p.), œuvre de science, mais aussi de foi et d’amour.
Pour l’historien, la Révolution vietnamienne d’Août 1945 revêt une importance internationale, marquant le passage de l’âge de la colonisation à celui de la décolonisation. Il pose au point de départ les questions suivantes: comment la Révolution d’Août était-elle possible au Vietnam? Comment peut-elle s’expliquer au plan historique? Quelle était la caractéristique de cette révolution?
Hodgkin y a répondu de façon originale en analysant non seulement l’histoire contemporaine mais en remontant encore aux origines du peuple vietnamien pour en suivre l’évolution historique au cours de trois millénaires.
Concernant l’histoire contemporaine, en particulier entre 1939 et 1945, il a indiqué huit causes immédiates de la victoire de la révolution: l’établissement de bases, surtout dans les montagnes; la création de l’Armée de libération à partir des modestes troupes du Salut national; la mobilisation du peuple par le Viêt Minh (Front de l’indépendance du Vietnam) à partir de 1941; les relations étroites entre la Révolution et les minorités ethniques; la stratégie du Parti qui refusait toute collaboration avec les Japonais et autres impérialistes; l’accent étant mis sur l’éducation des cadres, les terribles conséquences de la famine de 1945 (deux millions de morts) causée par l’alliance nippo-française; le choix judicieux du moment pour déclencher l’insurrection du 19 août; le génie de Hô Chi Minh.
Une œuvre de pionnier en Occident
Explorant les sédiments du passé pour situer la Révolution dans sa toile de fond historique plurimillénaire, l’auteur a trouvé plusieurs constantes: le village traditionnel, son égalitarisme et son autonomie, une intelligentsia attachée au peuple, une conscience nationale forgée très tôt, une tradition révolutionnaire née des révoltes paysannes, le rôle joué par des lettrés confucéens patriotes, la solidarité entre les Viêt et les peuples minoritaires, l’internationalisation du Vietnam, la victoire de l’idéologie marxiste dans la pérennité, le choix de la forme de lutte pour l’indépendance, de culte des héros nationaux.
Vietnam: The Revolutionary Path fait œuvre de pionnier en Occident. Il a tenu compte des résultats des recherches d’historiens vietnamiens et des problèmes qui les avaient préoccupés pendant les trois décennies après 1945.
Par probité intellectuelle, Hodgkin a écrit dans sa préface: "Je crois en la vérité, et si mon admiration et mon amour pour les Vietnamiens m’ont conduit à des erreurs, j’espère que les lecteurs m’aideront à les corriger".
Un quart de siècle après sa publication, en dépit de nombreuses découvertes historiques faites depuis, son ouvrage offre toujours des réflexions fécondes et des références sérieuses. Je relis non sans émotion la dernière lettre qu’il m’a envoyée du Soudan trois mois avant sa mort.
"Je garde des souvenirs très heureux des moments passés avec vous à Hanoï", a-t-il souligné. Je me souviens en particulier de notre visite à la plus ancienne maison du Vieux quartier, rue du Cuivre. La pittoresque maison de briques et de bois n’est plus, remplacée par une construction en béton. - CVN/VNA