Chaque endroit au Vietnam est rattaché à une histoire. Des fables souvent plus extraordinaires les unes que les autres, des légendes, parfois mystérieuses, expriment généralement un message des ancêtres destiné aux générations futures pour qu’elles protègent la culture et le patrimoine.
La province de Khanh Hoà est connue pour abriter des tigres. Ce félin sauvage est abordé dans de nombreux documents de recherche ainsi que dans la littérature. Dans l’ouvrage Khanh Hoà - diên mao van hoa môt vùng dât (Khanh Hoa - l’aspect culturel d’un endroit), le chercheur Lê Quang Nghiêm a écrit : "Les tigres trouvent refuge dans de nombreuses localités, mais dans la province de Khanh Hoà, en particulier dans les lieux frontaliers avec les provinces de Lâm Dông, Dak Lak et Phu Yên, ils représentent depuis des siècles une menace pour la population locale".
Et pourtant, dans la pagode Suôi Ngô, nichée dans la montagne de Phuong Hoàng, commune de Vinh Phuong, on rend le culte à un tigre spécial que l’on considère comme protecteur du village.
Histoire et légende
D’après Phan Toi, octogénaire qui s’occupe de la pagode Suôi Ngô, celle-ci a été construite en 1889. Selon la légende, un homme répondant au nom de Vo Van Thê, originaire de la commune de Ninh Hoà, était un riche joaillier. Hélas un jour, ses deux enfants moururent. Effondrée, sa femme tomba grièvement malade. Vo Van Thê se mit ainsi tous les jours devant l’autel de la famille et pria les ancêtres et génies pour lui venir en aide et sauver sa femme. À la troisième nuit, il fut si épuisé qu’il s’évanouit. Dans son rêve, il rencontra un génie qui lui fît part que des médicaments capables de guérir sa femme se trouvaient dans une montagne vers le Sud. Aussitôt qu’il se réveilla, il partit chercher les médicaments suivant les recommandations du génie. Une nuit alors qu’il rêvait, après plusieurs jours de recherche, il fit la rencontre d’une fée qui lui donna les précieux médicaments. En se réveillant, il trouva à ses côtés une petite pierre qu’il rapporta chez lui. Au contact de la pierre, la femme de Vo Van Thê guérit instantanément. Il se rendît de nouveau dans la montagne où il fît construire une pagode.
Toujours d’après Phan Toi, selon la légende, à l’époque, comme la pagode était entourée de bois, de nombreux animaux sauvages erraient aux alentours. Mais c’était sans compter la présence d’un tigre qui protégeait les bonzes et visiteurs de la pagode. Il arrêtait quiconque était mal intentionné : voleurs, brigands, bêtes sauvages…
Cette légende a été relatée par le poète Quach Tân (1910-1992) dans son ouvrage intitulé Xu Trâm Huong (Pays de calambacs), comme suivant : "Un jour, après une fête organisée dans la pagode, les bonzes et visiteurs épuisés s’endormirent profondément. Dans la nuit, des voleurs s’introduisirent dans la pagode et s’emparèrent de tout ce qu’ils purent emporter. Quand tout le monde se réveilla, tous furent affolés et tentèrent de partir à la recherche des voleurs. Mais à la surprise générale, ces derniers revinrent rendre ce qu’ils avaient dérobé la veille. Un des voleurs partagea qu’un tigre les avait arrêtés et leur avait fait signe de retourner à la pagode rendre ce qui ne leur appartenait pas. Comme le tigre leur avait laissé la vie sauve, les voleurs avaient décidé de retourner à la pagode et de confesser leur crime".
Peur et respect
Il y a une vingtaine d’années, quand Phan Toi a commencé à s’occuper de la pagode, celle-ci était dans un piteux état, presque abandonnée. La statue du tigre était tombée et s’était cassée. Il se rendit à la ville de Nha Trang pour faire appel à un professionnel pour sa rénovation.
"J’ai entendu dire qu’avant 1975, il y avait parfois des groupes de tigres qui passaient devant la pagode", raconte-t-il.
Depuis son installation dans la pagode, Phan Toi a plusieurs fois témoigné de la visite de tigres. "J’avais tellement peur que je m’enfermais à double tour dans ma chambre à chaque fois que cela arrivait !", se rappelle-t-il. Et d’ajouter : "Une fois, un groupe d’une quinzaine de fidèles vint dans la pagode. À la nuit tombée, un tigre surgit de nul part et agrippa à la porte de la pagode. C’était la panique".
Le tigre est certes craint mais il est surtout respecté. "Les habitants l’appellent toujours Monsieur le Tigre. Il est notre protecteur", conclut-il.
Les tigres n’apparaissent cependant plus aux alentours de la pagode à l’heure actuelle.-CVN/VNA