Hanoi (VNA) – Tout au long de l’histoire, il fut un temps où le ngu thân, autrement dit l’áo dài (tenue traditionnelle vietnamienne) à cinq pans, n’apparaissait que lors des cérémonies. Ces dernières années, son image revient en force, et ses valeurs culturelles sont de plus en plus reconnues.
Cela fait à peine 280 ans que le seigneur Nguyên Phuc Khoat (1738-1765) a choisi, en 1744, le ngu thân comme costume régional de Dàng Trong (Cochinchine). Selon Nguyên Van Hiêu, responsable du Service de recherche et de développement de produits vestimentaires de la marque Van Thiên Y, “l’image du ngu thân vient désormais immédiatement à l’esprit de la plupart des Vietnamiens lorsqu’ils évoquent le costume traditionnel”. Pourtant, cette tenue a traversé bien des péripéties avant de retrouver sa reconnaissance actuelle.
Un siècle de vicissitudes
Originaire du village de Trach Xa, dans le district d’Ung Hoa à Hanoï, réputé pour la confection du ngu thân, l’artisan Dô Minh Tam a été témoin de l’évolution de ce métier traditionnel. Il raconte : “Pendant les années de guerre contre les Américains, en raison des difficultés économiques, chaque famille vietnamienne ne recevait qu’une quantité limitée de tissu. Pour économiser, de nombreuses familles optaient pour la couture de vêtements ordinaires ou de áo dài à deux pans, qui nécessite moins de tissu que le ngu thân , permettant ainsi de confectionner une ou deux tenues supplémentaires”.
Cependant, dans de nombreuses localités, les personnes âgées ont continué à porter le ngu thân, notamment lors de cérémonies et de fêtes. Dans les années 1990, l’áo dài à deux pans est devenu populaire, notamment grâce à l’initiative visant à encourager les élèves et étudiants à le porter à l’école. Pour suivre cette tendance et gagner leur vie, les familles de Trach Xa, y compris celle de M. Tam, ont alors commencé à coudre des áo dài modernes pour les femmes.
À la fin des années 2010, un intérêt croissant pour la restauration et la préservation des costumes traditionnels, notamment le ngu thân, a émergé parmi les chercheurs et les designers. C’est dans ce contexte que M. Tam a décidé de reprendre la confection de ce type de vêtements qu’il avait délaissé pendant 30 ans.
Efforts des artisans et stylistes dévoués
M. Tam se souvient qu’à cette époque-là, le peintre Nguyên Duc Binh, président du club “Dinh làng Viêt“ (Maison commune vietnamienne), a rassemblé plusieurs artisans capables de coudre le ngu thân pour étudier les techniques de confection. Cependant, il lui était difficile de retrouver des méthodes précises pour reproduire les modèles avec exactitude. C’est alors que M. Binh a visité le village de Trach Xa et rencontré M. Tam. Inspiré par cet échange, ce dernier s’est formé activement auprès d’artisans plus âgés, dont Nguyên Van Nhiên, qui lui a transmis avec soin les savoir-faire traditionnels.
“Quand je suis retourné à la confection de ce type de costume déjà presque tombé dans l’oubli, certains de mes amis m’ont dit que j’allais à contre-courant. Malgré cela, je suis resté fidèle à mon choix”, confie M. Tam. Grâce à cette décision audacieuse, il a contribué à promouvoir l’image du ngu thân. Il a ainsi relevé le défi lancé par Nguyên Duc Binh, en créant 28 tenues pour les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères en poste à l’étranger. À la suite de cette commande, le ngu thân vietnamien a gagné en notoriété à l’échelle mondiale.
Pour le jeune styliste Nguyên Duc Lôc, les costumes d’antan représentent une partie intégrante de la culture traditionnelle. Au Vietnam, le design des vêtements anciens constitue un “terrain fertile” encore peu exploité. Seule une poignée de chercheurs possèdent des connaissances approfondies dans ce domaine, et les études sont rares. “Ainsi, les stylistes souhaitant s’investir dans ce secteur rencontrent de nombreuses difficultés”, déplore Nguyên Duc Lôc, qui souligne que des pays comme la Chine, le Japon ou la République de Corée ont su développer considérablement leur patrimoine vestimentaire. “Dans ces pays, les costumes traditionnels sont largement intégrés à la vie quotidienne, au tourisme et au cinéma”, explique-t-il.
Malgré ces défis, Nguyên Duc Lôc est déterminé à ressusciter le trésor des costumes d’antan, qu’ils soient royaux ou populaires. En plus de rencontrer des chercheurs, il parcourt le pays pour visiter des sites historiques et des villages de métiers traditionnels, où il échange avec des artisans. “Ces rencontres sont précieuses, car les savoirs artisanaux se transmettent oralement et ne se trouvent pas dans les livres”, souligne-t-il.
Lôc a la chance d’effectuer des recherches sur le terrain et de rencontrer des témoins historiques. Par ailleurs, il s’investit dans un processus d’auto-apprentissage en lisant de nombreux documents sur le sujet et veille à utiliser les meilleurs matériaux pour ses modèles, tandis que les artisans chargés de leur confection sont minutieux dans chaque couture et chaque motif décoratif.
Pour vivre de sa passion, Nguyên Duc Lôc a fondé la société Y Vân Hiên en 2008, une décision audacieuse pour ce jeune Hanoïen déterminé à gagner sa vie à travers la culture. Grâce à ses efforts inlassables, il a réussi à affirmer son savoir-faire et son prestige. Ses créations sont prisées lors de cérémonies importantes, ainsi que dans des films et des clips musicaux de genre historique. De nombreux clients choisissent le ngu thân signé Y Vân Hiên de Nguyên Duc Lôc pour des événements marquants.
Les arts, un canal de promotion efficace
Il est indéniable que les programmes de divertissement et les arts contribuent à faire connaître le ngu thân à un large public. Du point de vue d’un spectateur des arts théâtraux traditionnels, le musicien Truc Dông, membre du Club de quan ho (chant alterné) Muoi Nho à Hô Chi Minh-Ville, estime que les costumes traditionnels méritent d’être préservés aux côtés de l’héritage musical. Selon lui, “les arts théâtraux traditionnels jouent un rôle crucial dans la promotion et l’orientation du public sur les costumes nationaux. Si vous voulez savoir à quoi ressemble un costume national, la plupart des gens se réfèrent à ce que portent les artistes”.
Le ngu thân est également bien connu à travers des films, des clips vidéo et des émissions télévisées. Par exemple, de plus en plus de productions musicales mettent en valeur son image. D’après le chercheur Tôn Thât Minh Khôi, l’un des exemples de réussite est le clip vidéo Không thê cùng nhau suôt kiêp (On ne peut pas être ensemble pour toujours) de la jeune chanteuse Hoa Minzy.
Inspiré de l’histoire d’amour de l’empereur Bao Dai (1926-1945) et de la reine Nam Phuong (1913-1963), Hoa Minzy y incarne la reine dans un ngu thân royal, créant une véritable “fièvre” de visiter les lieux associés à l’histoire de ce couple, ainsi qu’une tendance à prendre des photos en costumes d’antan dans les monuments historiques de Huê, province de Thua Thiên Huê (Centre).
Le ngu thân apparaît également progressivement dans des films tels que Phuong Khâu du réalisateur Huynh Tuân Anh, Nguoi vo cuôi cùng (La dernière épouse) de Victor Vu, ainsi que dans les clips Choi voi (À la dérive) de Trung Quân et K-ICM, et Vong Nguyêt (Contempler la lune) de la chanteuse Hoàng Duyên. “Au cours des dix dernières années, les jeunes ont activement contribué à la renaissance de l’ao dài traditionnel. Depuis que le ngu thân a été reproduit vers 2015, de nombreux jeunes se sont engagés dans la promotion de ce costume traditionnel vietnamien”, observe Vu Duc, de la marque Great Vietnam, spécialisée dans la reproduction des costumes d’antan.
Grâce aux efforts inlassables d’artisans et jeunes passionnés par l’histoire et les précieuses valeurs culturelles de la nation, le ngu thân est devenu populaire auprès du grand public et gagne en reconnaissance avec l’espoir de pouvoir s’élever au même niveau que les costumes traditionnels d’autres pays du monde.
Un ouvrage sur l’histoire du ngu thân
Le livre “Áo dài truyên thông - Hành trinh tro lai” (Áo dài traditionnel - Le trajet du retour) vient d’être publié par la Maison d’édition Thê Gioi (Monde). Réalisé par le Club Dinh làng Viêt (Maison communale vietnamienne), cet ouvrage de 450 pages rassemble 52 articles rédigés par 47 auteurs. Il se divise en deux parties principales : À la recherche des valeurs du ngu thân et Retour aux traditions de nos ancêtres. Ce lancement coïncide avec le 280e anniversaire de l’institution du ngu thân par le seigneur Nguyên Phuc Khoat ainsi qu’avec les dix ans d’existence du Club “Dinh làng Viêt“. - CVN/VNA