Hanoi (VNA) - L’Association française pour l’expertise de l’agent orange et des perturbateurs endocriniens a été créée il y a deux ans à Montpellier. Elle consacre une part majeure de son activité à l’étude des conséquences de la dioxine sur les dernières générations de malades vietnamiens.

Pendant les années de la guerre américaine, le Vietnam a été soumis à la plus grave des attaques chimiques du XXe siècle. Les épandages aériens par les États-Unis de défoliants, en particulier l’agent orange qui contenait des niveaux exceptionnellement élevés de dioxine, ont eu des conséquences environnementales et sanitaires dramatiques.
Aujourd’hui, les Vietnamiens en subissent encore les effets délétères. C’est précisément ce qui a motivé la création de l’Association française pour l’expertise de l’agent orange et des perturbateurs endocriniens (AFAPE) par des experts hospitalo-universitaires en santé environnementale, des historiens et des citoyens vietnamiens et français désireux de s’engager en faveur des victimes vietnamiennes.
S’unir pour agir au chevet des victimes
Présentant au Courrier du Vietnam l’histoire de l’association, son secrétaire général Pierre Journoud, Professeur d’histoire contemporaine et responsable des coopérations avec le Vietnam à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, a précisé que l’AFAPE était née en septembre 2017 à l’issue d’une table ronde organisée à Montpellier par la Dr. Owhadi-Richardson, présidente-fondatrice d’AD@lY, au sujet des effets de la dioxine sur la santé humaine, de l’utilisation des pesticides à des fins militaires par l’armée américaine pendant la guerre au Vietnam.
"Spécialiste mondial des perturbateurs endocriniens et Professeur d’endocrinologie pédiatrique, Charles Sultan a proposé de créer une association sur l’agent orange", précise-t-il. "Cette idée de relier passé, présent et avenir, en approfondissant l’étude de la guerre chimique au Vietnam pour prévenir de nouveaux scandales sanitaires produits par les perturbateurs endocriniens, en France et partout dans le monde, a séduit l’historien et observateur attentif des relations franco-vietnamiennes que je suis", ajoute-t-il.
L’AFAPE dont Charles Sultan, Professeur Émérite d’endocrinologie pédiatrique à la Faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, est devenu président, s’engage dans des actions concrètes dès sa création. Les 24 et 25 mai 2018, s’est tenu à Montpellier le premier colloque “Les perturbateurs endocriniens: des tragédies d’hier à celles de demain”, avec le soutien de la Maison des sciences de l’homme à Montpellier (MSH-Sud), des universités montpelliéraines, de l’ambassade du Vietnam en France et de l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange/dioxine (VAVA).

Encouragés par l’intérêt suscité par ce colloque, l’AFAPE a répondu par la suite à un premier appel à projets publics, lancé en l’occurrence par la MSH-Sud sur la thématique "Santé-environnement". Le programme scientifique que la MSH-Sud a accepté de soutenir sur deux ans (2019-2021) présente une "approche interdisciplinaire des conséquences de la pollution environnementale par l’agent orange et les herbicides utilisés par les agriculteurs dans la péninsule indochinoise" (PAGOPI, selon l’acronyme).
Selon Pierre Journoud, copilote du programme, par les quantités et la nature des agents chimiques utilisés au Vietnam (mais aussi, dans une bien moindre mesure, au Cambodge et au Laos), dont 65% d’agent orange, comme par l’ampleur du bilan humain et écologique, cette tragédie sans précédent dans l’histoire des guerres continue à produire des effets néfastes sur les écosystèmes et les êtres humains. Les conséquences de la dioxine sont depuis longtemps soupçonnées de se transmettre de génération en génération. Il est devenu d’autant plus urgent d’en démontrer les mécanismes biologiques, biochimiques ou génomiques, que l’utilisation des pesticides dans le monde agricole s’est généralisée dans cette région déjà martyre.
"Incubé par l’AFAPE, PAGOPI vise donc, dans une première étape, à recueillir le plus de données scientifiques possibles sur les conséquences sanitaires et environnementales de la guerre chimique au Vietnam et au Cambodge, comme sur les effets des herbicides utilisés par les agriculteurs. Cet état des lieux permettra de concrétiser, lors d’une deuxième étape, une mission d’expertise de haut niveau chargée de rechercher des arguments scientifiques irréfutables, en particulier sur l’effet transgénérationnel de la dioxine", précise Pierre Journoud.
PAGOPI a réalisé une première mission d’information et de recueil de données en mai 2019. En une semaine bien dense, les Pr. Sultan et Journoud, accompagnés de l’ancien député Gérard Bapt, spécialiste des questions de santé-environnement, ont multiplié les visites et les réunions de travail, du delta du Mékong à Hanoi.
* Trois questions à Charles Sultan, président de l’AFAPE
- Vous êtes à l’origine de la création de l'AFAPE. Revenons alors un peu sur la raison?
Nous avons appris qu’au Vietnam, la dioxine continuait son impact non seulement chez les enfants mais aussi chez les petits enfants. Alors, invité à une table ronde il y a deux ans à Montpellier, je me suis dit pourquoi ne pas engager un projet de coopération franco-vietnamienne pour confirmer l’effet transgénérationnel de l’agent orange car le Vietnam souffre beaucoup de ses conséquences. Et au Vietnam, je trouve qu’il y a une confusion dans les symptômes de maladies causées par l’agent orange/dioxine. C’est-à-dire, il y a une surexploitation sans être quantifiée et ça pourrait nuire à la cause que vous voulez défendre. Ce que je propose, c’est de coopérer et d’analyser des données de façon scientifique à partir de registres et d’études familiales objectives. Donc, nous sommes venus avec la volonté de concrétiser scientifiquement l’effet transgénérationnel pour avoir une base de données qui sera utilisable pour le Vietnam d’abord et pour moi, en tant qu’expert de pesticides.
Au Vietnam, l’AFAPE se penche sur l’analyse épidémiologique des conséquences de la contamination par l’agent orange, le recueil de données scientifiques sur le niveau de la transmission transgénérationnelle des effets de cette contamination sur la 2e, voire la 3e génération. Elle essaie de préciser le spectre d’expression clinique de la symptomatologie, d’établir une relation de cause à effet, si possible à partir de marqueurs biologiques. L’aide à la prise en charge des enfants contaminés représente un enjeu essentiel de ce projet à travers la mise en place de cellules de soutien psychologique, fonctionnel et social. Et notre visite récente de terrain avec les rencontres directes avec les enfants victimes nous a confortés dans ce sens.
- L’AFAPE parvient-elle à une coopération avec des universités vietnamiennes pour s’engager dans l’étude sur les perturbateurs endocriniens causés par la contamination de la dioxine?
L’effet transgénérationnel des perturbateurs endocriniens constitue un challenge de grande importance. Au-delà de sa forte empreinte éthique, économique et juridique, sa démonstration scientifique au Vietnam constituerait une avancée internationale historique. Voilà pourquoi je crois que la collaboration avec des universités de médecine de Hanoi, de Hô Chi Minh-Ville et de Cân Tho, pour la mise en place d’une convention interuniversitaire, est de bon augure. Des rencontres ont eu lieu, tant au Vietnam que plus récemment à Montpellier, pour préparer cet accord.
- Lors de votre mission au Vietnam, quel regard portez-vous sur la situation de ses victimes?
Il y a des efforts remarquables consentis par les autorités. La prise en charge médicale, psychologique et sociale des enfants nous a paru être de qualité. Le personnel de soignants est très attaché à ses missions. Mais, il y a énormément de choses à faire. Par exemple, quand j’étais au village Huu Nghi (Village de l’amitié) à Hanoi, j’ai vu qu’on mélangeait les soins d’enfants contaminés par la dioxine avec ceux d’autistes ou d’enfants hyperactifs. Un autiste a besoin de se développer alors que d’autres nécessitent d’être traités et soignés différemment. Il est nécessaire de classifier les pathologies. Ce qui parait essentiel, sinon indispensable, serait de regrouper les éléments susceptibles d’assurer un diagnostic de certitude de la pathologie observée, faute de quoi toute démarche épidémiologique et physiopathologique risquerait d’être biaisée. – CVN/VNA