Héron-sitters, envers et contre tous
Mme
Vu Thi Khiêm, propriétaire du «jardin de hérons» de Hai Luu (district
Lâp Trach, province de Vinh Phuc) a beaucoup contribué à la protection
de ces oiseaux. Elle les considère un peu comme «ses enfants» et se
surnomme d’ailleurs leur «maman».
Auparavant, ces
«hérons» (ce vocable regroupe principalement aigrettes, garzettes et
crabiers chinois, qui forment le gros des troupes des échassiers blancs
des rizières, mais aussi, plus rares, aigrettes intermédiaires, hérons
garde-bœufs, hérons bihoreaux...) étaient fréquents dans la commune.
Jusqu’à ce que les gens du coin se mettent à les chasser de manière
méthodique, avec tous les moyens possibles et imaginables. Mme Kiêm a
alors décidé de les protéger, comme le lui avait demandé son père, un
«héros mort pour la Patrie».
Et pourtant, Mme Kiêm a
bien d’autres chats à fouetter. Depuis le décès de son fils aîné, c’est
en effet elle qui s’occupe de ses quatre petits-enfants, sa belle-fille
les ayant abandonnés. Ses conditions financières sont loin d’être
reluisantes. Pourtant, elle est décidée à accomplir la mission confiée
par son père jusqu’au bout. Un jour, on lui a proposé des milliards de
dôngs pour acheter son terrain, une somme rondelette qui lui aurait
permis de mettre à l’abri du besoin toute sa famille. Mais elle a
refusé. Pas question d’abandonner à leur sort ses petits protégés. «Je
suis heureuse de protéger la nature», avoue-t-elle. Heureusement, elle
reçoit le soutien de ses voisins et aussi des autorités locales. Depuis
quelques années en effet, le Comité populaire de la commune de Hai Luu
lui octroie chaque mois une petite rente pour l’encourager.
Comme Mme Khiêm, Dang Dinh Quyên, domicilié à la commune Tân Phuc,
district Dào My, province de Bac Giang (Nord), rencontre beaucoup de
difficultés dans la protection des hérons qui ont élu domicile dans sa
propriété.
Beaucoup de personnes de son entourage
lui disent qu’il ferait bien mieux de vendre son terrain et d’«empocher
le pactole». «Oui, mais, mes hérons, que deviendraient-ils?»,
s’interroge-t-il, la gorge nouée.
Protéger «ses»
15.000 échassiers n’est pas une sinécure. La plus grande a été de
repousser les ardeurs des porteurs de fusils. Un jour, l’un d’entre eux
lui a même tiré dessus ! M. Quyên est triste car il ne peut pas protéger
ses hérons lorsqu’ils partent glaner leur nourriture dans les rizières.
Les viandards sont légions dans la région. Ses quatre enfants et sa
femme ne le soutiennent guère - doux euphémisme. Parfois, M. Quyên
souhaiterait vendre son terrain, pas au plus offrant mais à celui qui
s’engagerait à garder le site en l’état et à protéger ses hôtes de
l’appétit des amateurs de gibier à plumes.
Il y a
quatre ans, un Saigonais lui a offert une somme rondelette pour
construire un mur autour de sa propriété. «Après 30 ans de protection
des hérons, je suis fier de pouvoir dire que je comprends ces oiseaux et
il semble qu’ils me comprennent aussi. Les propriétés de mes voisins,
qui sont pourtant accueillantes, ne les attirent pas autant que la
mienne», confie-t-il. Ce professeur à la retraite a reçu du ministère
des Ressources naturelles et de l’Environnement le «prix pour
l’environnement».
«Une campagne sans ces oiseaux
serait bien triste. Les protéger, ou au moins les laisser vivre en paix,
est le devoir de chacun», considère Dang Dinh Quyên. D’après lui, les
hérons font partie du décor et du folklore de la campagne vietnamienne.
«Ils ont le droit d’avoir une +maison+ et les hommes
n’ont pas le droit de les tuer juste pour passer le temps, comme un
loisir, comme me l’ont avoué certains», ajoute Vu Thi Khiêm. Elle
insiste : «Les oiseaux ont le droit de vivre. Regardez les voler
au-dessus des champs, c’est magnifique !».
Le cas du
«jardin de hérons» du village Dông Xuyên (district Yên Phong, province
de Bac Ninh) est un peu différent. Il n’est en effet pas installé sur un
terrain privé mais devant le dinh (maison commune). Les villageois ne
leur font pas de mal, car ils pensent qu’en les protégeant, Dieu aidera
leurs enfants à obtenir de bons résultats scolaires !
Le secrétaire de l’organisation du Parti de la commune, Nguyên Thanh
Hân, confie : «En 2006 et 2007, la moitié des hérons ont été tués. Sans
cette hécatombe, ils seraient 200.000 maintenant ! Je sais que dans
beaucoup d’autres endroits, il y a des personnes comme nous qui
protègent les hérons. C’est très bien, plus nous serons nombreux, moins
il y aura d’oiseaux tués pour être mangés diminuera. Si les hérons
venaient à disparaître, ce serait vraiment une grande perte pour nos
campagnes».
Autre héronnière protégée proche de
Hanoi : le lac An Duong (district Thanh Miên, province de Hai Duong), où
20.000 échassiers de plusieurs espèces gîtent et nichent en toute
sécurité. Dans le reste du pays, il y en a bien d’autres : à Thai Binh,
Dông Thap, Kiên Giang, An Giang, Cân Tho, Cà Mau... qui sont devenus
pour certains des sites touristiques très courus. – AVI