Commechaque 1 er et 15 e jours du mois lunaire, la maison de l’anciencolonel Huỳnh Phuong Bá, située rue Trung Nu Vuong (arrondissement deHai Châu, à Dà Nang), accueille de nombreuses personnes âgées. Laplupart sont des cadres retraités, l’aîné vient d’avoir 88 ans. Cetterencontre bimensuelle permet à ces seniors d’échanger leursconnaissances respectives sur le Hán Nôm, les idéogrammessino-vietnamiens.
Il y a d’abord cet homme, l’ancien colonel, 85ans. Lorsqu’il a pris sa retraite, il a décidé de consacrer une partiede son temps libre à reconstituer son arbre généalogique. Il s’est alorsrapidement confronté à un problème de taille : passé plusieursgénérations, tous les écrits étaient rédigés en Hán Nôm. « Pour allerplus loin, je n’avais pas le choix, je devais m’affranchir de monignorance et m’initier aux caractères chinois et sino-vietnamiensanciens. Les débuts ont été plus que chaotiques. J’ai parcouru toute larégion et je n’ai trouvé que trois personnes ayant l’envie et la volontéde connaître l’écriture de leurs aïeux », raconte-t-il.
Parla suite, le bouche-à-oreille a fait son chemin. Et la classe sansprofesseur a commencé à attirer de plus en plus d’étudiants. NguyênHiên, 58 ans, cherchait depuis longtemps à apprendre ces idéogrammes.Comme le colonel, il avait parcouru une grande partie de la région pourtrouver un professeur. « Je me familiarise petit à petit avec toutes lessubtilités du Hán Nôm et je commence à maîtriser les bases. J’enconnais maintenant assez pour l’enseigner également à mes enfants »,partage-t-il. Le quinquagénaire consacre parfois 3 à 5 heures de suiteau Hán Nôm.
L’association attire également des femmes. Toutes lesdeux semaines, Ngô Thi Liêu (domiciliée dans l’arrondissement de ThanhKhê) vient avec son époux. « Il faut comprendre à quel point laconnaissance de notre histoire est importante. Déchiffrer cet alphabetnous ouvre un champ incommensurable d’écrits qu’il nous était impossiblede lire avant », confie-t-elle.
Pour sa part, Phan Thi LêHà, 61 ans (district de Hoà Vang), fréquente le club depuis quatre ans.Ne sachant pas conduire la moto, elle prend le " xe ôm " (moto-taxi)pour rejoindre la route nationale, puis prend le bus sur une trentainede kilomètres. « Je suis croyante et me rends régulièrement dans lespagodes. Cependant, je ne pouvais lire les inscriptions gravées sur lesportes. D’où ma détermination à découvrir l’ancienne écriture. Ladifficulté du Hán Nôm réside dans le fait que chaque mot possèdeplusieurs significations, certains en ayant jusqu’à 30... Il s’agit d’unapprentissage rigoureux et méticuleux », partage M me Hà.
Des découvertes historiques importantes
Laclasse de Hán Nôm du colonel retraité a été fondée en 2006, librementouverte à tous ceux qui s’y intéressent. Lorsque la réunion très privéedes «vieux étudiants» a pris de l’ampleur, ces derniers ont prisl’initiative d’officialiser l’association des «amoureux du Hán Nôm», etde demander une cotisation minime de 20.000 dôngs/personne/mois pours’offrir des boissons.
Six ans après sa création, la classe aété transformée en septembre 2012 en Centre Hán Nôm de la ville de DàNang. Objectif : proposer des cours de différents niveaux, préserver lestraductions et les documents en écritures chinoises etsino-vietnamiennes anciennes, échanger, etc.
Le Centre Hán Nôm anotamment traduit et présenté des documents datant de la dynastie desNguyên (1802-1945), relatifs à la souveraineté du Vietnam sur Hoàng Sa.Il s’agit notamment de la Carte intégrale du Dai Nam unifié ( Đ ạ iNam nh ấ t th ố ng toàn đ ồ ), publié sous le règne duroi Minh Mang, avec Hoàng Sa (Paracel) et Truong Sa (Spratly)appartenant au territoire vietnamien ; et d’un document soumis au roiMinh Mang portant sur le transport de colonnes en bois en vue d’unedémarcation à Hoàng Sa. Selon le chercheur en histoire et en cultureNguyên Truong Ðàn, qui suit la classe de Hán Nôm depuis plus de deuxans, ces documents originaux constituent une base solide pour régler lesproblèmes de souveraineté maritime encore présents aujourd’hui. « Lacollecte et la traduction des documents en Hán Nôm revêtent une grandeimportance pour l’histoire nationale. Ces documents anciens ledémontrent sans ambages. Ils affirment que Hoàng Sa et Truong Saappartiennent au Vietnam et doivent être traduits pour être présentésaux générations actuelles et futures », dit-il.
Parailleurs, les «vieux étudiants» ont découvert quatre vers gravés sur letrône de la dynastie des Nguyên, qui expriment les aspirations àl’indépendance de la nation. « Aujourd’hui, ces écritures sont toujourslà, bien que peu de gens les comprennent. Cela montre que la protectionde la souveraineté est prise en considération depuis des siècles parl’État et le peuple », affirme M. Ðàn.
Récemment, le colonelretraité Huỳnh Phuong Bá a réussi à traduire du français au vietnamiendes documents publiés sur l’hebdomadaire L’Eveil économique del’Indochine par Henri Cucherousset (1879-1934), directeur et rédacteuren chef du journal de l’époque, qui avait rédigé de nombreux articlessur Hoàng Sa. « J’espère que nous pourrons contribuer à défendre lasouveraineté de Hoàng Sa et de Truong Sa », écrivait-il déjà. - VNA