Hanoï (VNA) - Phan Thành Viêt s’est fait connaître pour ses vidéos dans lesquelles il analyse et commente les matchs d’échecs vietnamiens de haut niveau. Son accent du Centre, son vocabulaire littéraire ainsi que son humour ont fini par séduire les internautes.
Le co tuong, jeu d’échecs des Vietnamiens, est depuis longtemps très populaire dans le pays. En se promenant, on peut facilement observer de petits rassemblements dans les parcs de quartier : des Vietnamiens de tous âges sont passionnés par chaque mouvement tactique des joueurs sur le petit échiquier carré.
Alors que le pays va de l’avant et s’établit dans l’ère numérique, la communauté des amateurs d’échecs traditionnels du Vietnam trouve également sa place dans la sphère virtuelle. Sur cette scène nouvellement établie, le "Vit Ú co tuong" sonne déjà comme un nom familier.
Plus de 250.000 abonnés
Avec plusieurs centaines de vidéos mises en ligne, l’auteur de "Vit Ú co tuong" a su charmer ses abonnés, dont le nombre record s’élève à 250.000, grâce à sa voix seulement, sans divulguer aucune information personnelle.
Ironiquement, l’identité énigmatique que l’auteur s’est efforcé de préserver a été dévoilée dans le numéro de mai de l’hebdomadaire Tuôi Tre Cuôi Tuân (Jeunesse du week-end), publié par le journal Tuôi Tre (Jeunesse), suite à une maladresse de son propre frère.
En effet, alors qu’il était interviewé par Tuôi Tre Cuôi Tuân après avoir reçu le prestigieux prix de la Société mathématique européenne (SME), le mathématicien Phan Thành Nam a montré une photo de famille dans laquelle il a présenté son frère comme étant un collègue mathématicien et également l’auteur d’une chaîne YouTube florissante sur le jeu d’échecs traditionnel chez les Vietnamiens.
Il a ensuite révélé le nom de Phan Thành Viêt, jeune enseignant travaillant à la Faculté de mathématiques et de statistiques de l’université Tôn Duc Thang à Hô Chi Minh-Ville.
Viêt possède en fait un profil académique similaire à celui de son frère Nam, même s’il avoue que sa "passion pour les mathématiques est moins poussée" que celle de son frère.
Après avoir obtenu son diplôme de mathématiques et informatique à l’Université des sciences naturelles de Hô Chi Minh-Ville, Viêt a reçu une bourse pour étudier en France. À la fin de ses études doctorales à l’Institut national des sciences appliquées de Rennes (INSA Rennes), Viêt a choisi de rentrer au Vietnam plutôt que d’enseigner dans une école renommée d’Europe comme le fait son frère (celui-ci travaillant actuellement à l’université allemande Louis-et-Maximilien de Munich).
Un choix fondé en partie sur la famille, mais aussi sur son amour du pays. Selon Viêt, parmi les petites choses propres au Vietnam qu’il n’a pas pu retrouver dans le mode de vie européen, le jeu d’échecs traditionnel occupe une place centrale.
"En ne considérant que la recherche, rester en Europe aurait été un meilleur pari pour moi car on y trouve une communauté de passionnés de mathématiques avec lesquels on peut échanger tous les jours", a-t-il confié.
"Mais je suis un peu hédoniste et j’ai vu ma vie en France se rapprocher de celle d’un moine. J’allais étudier de jour, je ramenais ensuite des problèmes de mathématiques à la maison et les résolvais le soir, c’était la même routine tous les jours", a-t-il expliqué.
C’est dans ce contexte que "Vit Ú co tuong" est né, simplement comme une façon de s’évader de sa vie universitaire morne.
À l’époque, Viêt était un pionnier des vidéos éducatives et des commentaires de parties d’échecs vietnamiens sur YouTube.
"Mes compétences sont en réalité moyennes, j’ai donc principalement basé mes premières vidéos sur des stratégies pour débutants", a-t-il avoué.
Le nombre de vues a explosé de manière inattendue, ce qui l’a motivé à se lancer dans la stratégie de manière plus générale et les vidéos de commentaires de matchs de haut niveau.
Trouvant une niche sur YouTube, sa chaîne a progressivement développé une solide base de fans. Viêt réfléchit à présent à la manière de la diversifier davantage.
Mathématiques et wuxia
Outre le jeu de stratégie, Viêt est également fasciné par les romans wuxia, un style littéraire chinois mettant généralement en scène les aventures du "Chevalier errant" dans la Chine ancienne.
Il connaît par cœur tous les mouvements des arts martiaux, le lexique et les modèles de discours caractéristiques des œuvres de Jin Yong, l’auteur chinois à grand succès du genre.
En incluant ces références, Viêt a su trouver un style de commentaires bien particulier qui a charmé ses fans sur YouTube.
Son affinité pour la littérature est héritée de son père, dont la carrière dans le journalisme a marqué sa plus tendre enfance. Plus tard dans la vie, l’admiration pour son frère Nam a été un véritable moteur pour se lancer dans le chemin des mathématiques. Il a dû faire face à son lot d’obstacles durant son parcours universitaire, le plus difficile ayant été la pression financière. Ainsi, il se sent chanceux d’avoir trouvé aujourd’hui une certaine stabilité avec ses revenus de chercheur et de conférencier.
"Il est difficile d’être chercheur au Vietnam, car de nombreux emplois bien mieux rémunérés sont tentants. C’est pourquoi poursuivre la voie de la science fondamentale n’est pas donné à tout le monde", a-t-il estimé.
Bien qu’il trouve à la fois du plaisir et un apport financier dans les échecs, Viêt compte s’en tenir aux mathématiques comme carrière principale pour le moment. En repensant à ce parcours, il fait l’analogie avec les mythes du wuxia : "Je trouve ennuyeuse la façon d’enseigner les mathématiques dans les écoles publiques. Alors que nous devons résoudre des problèmes des plus difficiles, tout comme dans les romans de wuxia, nous n’apprenons que les mouvements mais ne sommes pas guidés par une force intérieure".
L’étudiant en mathématiques était pris dans cet engrenage de superficialité jusqu’à ce que Duong Minh Duc, un professeur célèbre dans l’analyse, vienne à lui à l’université pour démystifier la spécialité et le diriger vers une voie de mathématiques plus juste.
"J’étais comme Ling Ho Chong lorsqu’il a commencé à apprendre les Neuf épées de Dugu ", dit Viêt en souriant, faisant allusion à un autre conte de wuxia.
Viêt s’entraîne habituellement dans un club de xiang du 3e arrondissement de Hô Chi Minh-Ville, où il y a de nombreux gourous. Il fait preuve toujours d’humilité lorsque l’on lui pose des questions sur ses prouesses : "Je joue juste pour le plaisir".
Son travail de commentateur lui demande cependant autant de dévouement que les joueurs professionnels. Il a consacré plusieurs années à se documenter sur les histoires les plus étranges des échecs traditionnels afin d’enrichir ses commentaires.
"Le monde de ce jeu est aussi vaste que l’univers de wuxia dans les romans de Jin Yong", a-t-il estimé. Viêt met ainsi la barre haute lorsqu’il commente les matchs d’échecs. "Je dois saisir le style de jeu de chaque joueur, son histoire de vie et son alias afin de bien accompagner les matchs".
Viêt donne l’impression qu’il peut passer tout son temps à parler des histoires rocambolesques de Hu Rong Hua et Yang Guan Lin, ses gourous d’échecs chinois préférés.
L’originalité et le caractère informatif de "Vit Ú co tuong" ont rencontré un immense succès auprès de la jeune génération d’amateurs d’échecs au Vietnam, plus avertie des nouvelles technologies.
En découvrant la touche incomparable de Viêt d’incorporer les références de la littérature chinoise à ses commentaires, on ne peut plus concevoir les échecs traditionnels comme un passe-temps austère. - CVN/VNA
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