Hanoi (VNA) – Ousmane Dione, directeur national de la Banque mondiale au Vietnam, est revenu sur les facteurs de développement de l’économie du Vietnam dans une interview exclusive accordée au Courrier du Vietnam.
- En tant que directeur de la Banque mondiale au Vietnam, quelles sont les nouvelles forces motrices de la croissance économique du pays?
Le Vietnam a réalisé des progrès spectaculaires ces trois dernières décennies. Des progrès remarquables, concrets, durables et continus. Ce qui explique les performances de développement auxquelles le pays est arrivé aujourd’hui.
Le Vietnam est actuellement considéré comme un modèle de développement. En 30 ans, il est passé du statut de pays du tiers-monde à très faible revenu à celui de pays en voie de développement à revenu intermédiaire.
Quand on parle des forces motrices du développement du pays, on peut se concentrer sur quatre grands points.
Le premier est la promotion du secteur privé. Avec une croissance de plus de 7% par an, le Vietnam a besoin de plus en plus d’investissements pour continuer à nourrir sa croissance. Cela ne peut se faire uniquement par l’argent public issu du budget national ou de l’aide internationale au développement. Il y a aujourd’hui une nécessité impérieuse de promouvoir le secteur privé.
Aussi est-il important pour le gouvernement vietnamien de lever certains obstacles qui entravent les entreprises privées, via une réforme du cadre juridique pour favoriser l’environnement des affaires. En même temps, il faut que le Vietnam mette l’accent sur la réforme des entreprises étatiques en y introduisant des pratiques internationales, une bonne gouvernance, une bonne gestion, en actionnarisant certaines entreprises nationales.
Nous pensons aussi qu’il est nécessaire pour le Vietnam de continuer à améliorer l’environnement des affaires pour attirer plus d’investissements directs étrangers dans les technologies de pointe.
Le pays a attiré ces trois dernières décennies énormément d’investissements étrangers qui ont créé beaucoup d’emplois, mais généralement, il s’agit d’une main-d’œuvre bon marché.
Aujourd’hui, le Vietnam s’affirme comme un pays producteur de biens de consommation pour l’exportation, un pays spécialisé dans l’assemblage mais pas un pays à la pointe en matière de technologies. Sur ce dernier point, le Vietnam doit donc progresser.
Le deuxième moteur, c’est la percé dans le développement des infrastructures. Le pays doit investir mieux et de façon plus stratégique dans les infrastructures de base. Il faut donner la priorité à la connectivité dans les transports et aux projets d’infrastructures clés. L’accent doit être mis sur les infrastructures de transport multimodales connectées les unes aux autres. Maintenant, vous avez de grands projets tels l’autoroute Nord-Sud, la voie ferrée à grande vitesse, l’aéroport de Long Thành (province de Dông Nai, Sud). Vous avez aussi beaucoup de grands ports comme Hai Phong (Nord), Vân Phong (Centre), Cai Mep - Thi Vai (Sud). Aussi est-il nécessaire d’investir dans la logistique.
Le Vietnam doit continuer d’investir dans l’énergie car c’est un facteur crucial de la croissance économique d’un pays. Il faut aussi remplacer l’énergie fossile par les énergies renouvelables, le solaire, l’éolien, le gaz naturel…
Sans oublier d’assurer une alimentation suffisante en eau pour la production et la vie quotidienne. Le pays a enregistré beaucoup de progrès en matière de distribution d’eau potable, avec 90% de sa population qui ont désormais accès à l’eau potable.
Pourtant, il reste des défis dans l’assainissement, qui est un problème majeur en zone urbaine, dont le traitement des eaux usées. Moins de 15% des eaux usées des villes vietnamiennes sont en effet traitées.
La troisième force motrice, ce sont les ressources humaines. Il faut investir dans l’éducation et la formation, surtout dans les connaissances et les capacités liées aux évolutions du XXIe siècle. Nous pensons que le Vietnam a fait énormément de progrès en termes d’accès à l’éducation primaire et secondaire. Mais le défi auquel il doit se confronter maintenant, c’est la qualité de l’éducation. Il faut donc mettre l’accent sur la qualité et la pertinence de l’enseignement supérieur et professionnel pour répondre aux nouveaux besoins du marché du travail.
La quatrième force est la protection et la gestion du capital naturel et de l’environnement pour le développement économique.
Je veux ajouter un autre moteur, c’est le capital institutionnel qui est aujourd’hui le vecteur de tous les changements. Aussi est-il nécessaire d’avoir des institutions solides, modernes, adaptées aux défis du XXIe siècle.
- Vous venez de parler de la nécessité pour le Vietnam de progresser dans les technologies de pointe. Quel rôle aura la 4e révolution industrielle sur la croissance du pays?
Les changements technologiques rapides comme le numérique perturbent notre mode de vie et de travail. Cela change la nature de l’éducation et du travail, ainsi que toute l’économie mondiale.
Pourtant, les technologies offrent l’accès universel aux services gouvernementaux, financiers et aux marchés mondiaux.
Le Vietnam s’est inséré avec succès dans certaines chaînes de valeur mondiales.
Permettez-moi de suggérer au Vietnam d’exploiter des technologies révolutionnaires au service du développement. C’est une stratégie de croissance à moyen terme.
Il y a trois facteurs nécessaires pour que le pays s’adapte à la 4e révolution industrielle: technologies, institutions et hommes.
Concernant les technologies, le Vietnam doit se saisir des nouvelles solutions technologiques intégrées. Et c’est aussi le moment où un gouvernement constructif est essentiel. Le gouvernement devrait adopter une approche globale de la manière dont la technologie peut soutenir les réformes et avoir un impact sur les résultats de développement. Nous avons lancé un certain nombre de projets de coopération en matière d’e-gouvernement.
Pour les institutions, il est important que le gouvernement crée et simplifie les procédures pour promouvoir l’innovation. L’industrie 4.0 ne peut pas fonctionner avec le gouvernement 1.0.
Le gouvernement électronique en est un exemple clair. Vous pouvez numériser et publier beaucoup de données. Vous pouvez clarifier et réduire beaucoup de procédures administratives. C’est une solution efficace pour l’avenir.
Le troisième élément, c’est l’homme. Investir dans les ressources humaines est extrêmement important à l’heure actuelle pour garantir la compétence de la main-d’œuvre afin qu’elle devienne un moteur du développement futur du Vietnam.
Investir dans la recherche et le développement sera essentiel pour que le pays prenne le train de l’industrie 4.0.
“Made in Vietnam” devra être remplacé par “Conçu et développé au Vietnam”. Cela nécessite de changer les mentalités, les habitudes des gens et de nombreuses institutions. Les partenariats avec le secteur privé et les citoyens pour tirer parti de leur participation, de leur créativité et de leur innovation dans les services publics seront utiles au personnel du secteur public pour suivre le rythme du numérique.- Vos priorités sont d’accorder des aides de l’Association internationale de développement pour le renforcement du partenariat entre cette institution et les autorités vietnamiennes de niveau local et central, ainsi que d’intensifier la coopération entre le gouvernement vietnamien et ses partenaires au développement. Quels sont les résultats jusqu’à présent?
Tous les indicateurs sont dans le vert. Presque 100% des Vietnamiens sont raccordés au réseau électrique. Près de la totalité des enfants vietnamiens en âge de scolarisation vont maintenant à l’école et le score PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves de l’Organisation de coopération et de développement économiques - OCDE) montre qu’ils font bien leurs études.
Nous sommes fiers du fait que l’Association internationale de développement ait contribué à ces succès et que nous soyons un partenaire de confiance du Vietnam dans ce processus.
Nous avons intensifié la coopération avec le gouvernement aux niveaux central et local.
Au niveau central, nous soutenons diverses initiatives, notamment le gouvernement électronique, ou des idées de réformes et de développement par le biais d’un partenariat avec le Cabinet du gouvernement, ainsi que de conférences de haut niveau tel que le Forum sur la réforme et le développement. Diverses visites de haut niveau du directeur général et des vice-présidents de la Banque mondiale au Vietnam ont permis de renforcer les relations bilatérales.
Au niveau local, nous avons renforcé nos relations avec plusieurs villes et provinces et signé des accords de partenariat avec Hô Chi Minh-Ville et la province de Hà Tinh (Centre) afin de leur fournir un soutien complet, non seulement en matière de financement, mais également en matière de développement.
- Vous étiez professeur de l’Université Lyon 3, donc d’après vous, quels sont les défis pour que l’éducation catalyse la croissance au Vietnam?
En termes de capital humain, le Vietnam est bien placé. Il a obtenu des succès en matière d’éducation de base, comme en témoignent ses excellents résultats dans les évaluations internationales. De plus, il possède une jeune génération dynamique capable de s’adapter aux changements.
Le Vietnam occupe le 48e rang sur la liste des 157 pays selon le récent indice du capital humain (HCI) de la Banque mondiale, soit une position plus élevée que d’autres pays à revenu intermédiaire, même plus que de nombreux pays à revenu élevé.
Pourtant, à l’heure actuelle, seulement 8% de la population active a fait des études universitaires, ce qui est insuffisant pour réussir le saut dans l’industrie 4.0. Les travailleurs doivent être équipés de bonnes compétences pour pouvoir surfer sur cette vague.
Par conséquent, le Vietnam devrait se concentrer davantage sur l’innovation, le développement des ressources humaines et mettre en œuvre des avancées stratégiques pour que le capital humain puisse élever la valeur de l’économie. Les changements comprennent une réforme globale du système éducatif, à commencer par le système d’enseignement supérieur et de formation professionnelle. Il importe pour le pays de donner la priorité au plein emploi de la main-d’œuvre formée. Il faut promouvoir la culture numérique et le personnel du secteur public, afin de pouvoir répondre à la demande numérique émergente. – CVN/VNA