Hanoi (VNA) - Le culte des Déesses-Mères a fait son apparition dans la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité. Une «perle» qui a failli tomber dans l’oubli.
Ville de Nam Dinh (Nord). Dans le temple dédié à Trân Hung Dao, un généralissime de la dynastie des Trân (XIIIe – XIVe siècles), s’élèvent des mélodies de Châu van, accompagnées d’une viole à deux cordes. Des fidèles entourent une femme coiffée d’un châle rouge et vêtue d’une tunique colorée, qui chante en s’accompagnant de mouvements maniérés. Ambiance solennelle et de recueillement. La femme semble en transe, telle un médium.
Cette cérémonie de culte des Déesses-Mères, une croyance purement vietnamienne, date des IIe – IIIe siècles avant J.-C. Un rite qui prend sa source dans la coutume de culte de la Déesse du Riz et de la Déesse-Mère (époque de matriarcat). Selon les historiens, du fait que leur existence était sous la dépendance des éléments naturels, les Vietnamiens d’antan vénéraient les esprits capables de les protéger, regroupés sous le vocable de «Déesses-Mères». Celles-ci géraient chacune une sphère de l’Univers : le Ciel, la Terre, les Eaux, les Forêts et Montagnes.
Au panthéon vietnamien figurent quatre Déesses-Mères dirigeant l’Univers : celle du Ciel (Mâu thuong thiên), celle de la Terre (Mâu Dia), celle des Eaux (Mâu Thuy), celle des Forêts et Montagnes (Mâu Thuong Ngàn). Nombreuses sont les légendes qui racontent la naissance et l’existence mystérieuses de ces divinités.
Le rôle humain s’affirme
Au XVIe siècle, répondant à l’aspiration de la population d’honorer Liêu Hanh, une Vietnamienne canonisée considérée comme la «princesse du Ciel», celle-ci fit son entrée parmi les Déesses-Mères. Pour les Vietnamiens, la Déesse-Mère Liêu Hanh est l’incarnation des mondes céleste et terrestre. Ainsi, un lieu de culte des Déesses-Mères présente-t-il toujours trois trônes destinés à la Mère Liêu Hanh (au milieu), à la Mère des Eaux (à droite) et à la Mère des Forêts et Montagnes (à gauche).
Dans une certaine mesure, «l’apparition de Liêu Hanh dans le culte des Déesses-Mères a justifié une nouvelle conception des Vietnamiens selon laquelle la vie humaine devait désormais être une partie importante de l’Univers», indique le Professeur Ngô Duc Thinh, directeur du Centre d’études et de conservation de la culture religieuse du Vietnam.
Né dans le Nord du pays, le culte des Déesses-Mères a essaimé dans de nombreuses localités du Centre et du Sud. On dénombre plus de 7.000 lieux de culte, notamment dans le Nord (provinces de Lang Son, Hanoï, Nam Dinh, Thanh Hoa...). Lors des fêtes traditionnelles, les pèlerins prient pour la chance, la richesse, la paix et la prospérité. «Cela témoigne de l’influence de cette croyance sur la vie spirituelle des habitants», explique le Professeur Ngô Duc Thinh.
Selon lui, à la différence d’autres croyances religieuses qui préparent les fidèles à une vie heureuse dans l’au-delà, le culte des Déesses-Mères les pousse à s’affirmer dans leur vie terrestre. «Il s’agit d’une conception réaliste de la vie», observe le Professeur.
Le rituel de possession ou «Hâu bong»
Le culte des Déesses-Mères se caractérise par ses chants religieux et une représentation qui combine harmonieusement chant, danse, musique, costumes… On dénombre 36 airs chantés destinés respectivement aux 36 «Gia dông» (scènes religieuses). Chacune raconte une légende, un récit fabuleux ou une histoire mythique… honorant tel ou tel esprit, saint(te), divinité, héros national… Parmi ces derniers, le généralissime Trân Hung Dao, qui a maintes fois repoussé les agresseurs venus du Nord, tient une place particulière. «Le patriotisme est fortement présent dans le culte des Déesses-Mères», affirme le réalisateur Nguyên Minh Tuân, auteur d’une centaine de reportages télévisés sur le thème «Le Vietnam et le culte des Déesses-Mères».
Le rituel de possession dénommé «Hâu bong» (communiquer avec les esprits par l’entremise d’un médium) ou «Lên dông» (entrer en transe) est un élément central de ce culte. La séance a lieu souvent dans un lieu sacré, soit dans un temple propre à cette croyance (appelé Phu), soit dans un temple dédié au culte d’un génie ou d’un héros national (Dên), soit dans l’enceinte d’une pagode (Chùa). Le maître de cérémonie est un médium, appelé «Thanh dông» (littéralement «homme des esprits»), qui sera l’intercesseur entre les vivants et les esprits.
La tradition veut que les esprits puissent se substituer à l’âme du «Thanh dông». Une fois en transe, celui-ci se tranforme corps et âme en l’esprit invité, par des chants et des gestes.
Le (ou la) «Thanh dông» porte une tunique traditionnelle en soie aux couleurs criardes et un châle rouge sur la tête. Il/elle est exagérément maquillé/e, sa longue chevelure tombe sur les épaules. Une séance de «Hâu bong» se compose de plusieurs «Gia dông» (scènes chantées religieuses), jusqu’à 36, chacune étant réservée à un esprit. À chaque scène, le/la «Thanh dông» doit changer de costume et d’accessoires selon l’esprit à incarner. Et de chanter une mélodie spécifique en faisant des mouvements maniérés. Assis par terre tout autour de la «natte sacrée», les mains jointes devant la poitrine, les fidèles suivent attentivement le médium. Par l’intermédiaire de ce dernier, ils peuvent communiquer avec les esprits ou les défunts. Le rituel dure des heures, jusqu’à ce que le/la «Thanh dông» cesse d’entrer en transe. La séance se termine dans la musique et le cantique «Adieux». -CVN/VNA