L’ao dài, tunique emblématique du Vietnam, a deux versions. L’un pour les femmes, l’autre pour les hommes. Trân Van Khê (1921-2015) qui a vécu en Europe pendant plus de 50 ans, a porté l’ao dài lors de toutes ses représentations de musique traditionnelle. Plus qu’une habitude, une fierté.

On ne sait pas exactement quand l’ao dài est apparu. Ses premières versions remonteraient au XVIIIe siècle. À l’époque, le Vietnam était divisé en deux, la dynastie Trinh au Nord, où les tuniques étaient copiées sur les costumes impériaux chinois, et celle des Nguyên au Sud. En 1744, Nguyên Phuc Khoat décida de la forme du costume national. Il existait alors une version pour homme et une version pour femme.

L’ao dài pour homme, qui se porte beaucoup plus large que son homologue féminin, a deux longs pans avec des boutons-pression à droite. Il est traditionnellement accompagné d’un turban, le khan xêp. La version homme n’est désormais utilisée que dans de très rares occasions comme les mariages (seulement pour l’album photo, pas lors de la cérémonie) ou les funérailles.

Musique et tenue forment un tout

Le professeur Trân Van Khê, décédé le 24 juin dernier, disait que «l’+ao dài+ est le costume national du Vietnam. C’est même devenu un symbole du pays aux yeux des étrangers».

Ce professeur est né dans une famille d’artistes depuis quatre générations. En 1949, il a quitté son pays natal pour faire des études en France. Il est revenu au Vietnam après 55 ans à l’étranger et la visite de 67 pays pour enseigner la musique traditionnelle vietnamienne ou participer à des échanges divers sur ce thème.

Maître de musique traditionnelle vietnamienne, directeur de recherche au CNRS, professeur de musicologie à l’Université de la Sorbonne (Paris), Trân Van Khê était aussi membre honorifique du Conseil international de la musique de l’UNESCO, correspondant de l’Académie européenne des sciences, des arts et des lettres et, pour finir, membre de la Société française d’ethnomusicologie.

Chaque fois qu’il jouait de la musique traditionnelle vietnamienne, il revêtait ce costume. Sauf dans sa jeunesse où, pour gagner sa vie, il a dû se produire dans un restaurant.

«L’+ao dài+ est la forme, le son de l’instrument à cordes est le contenu. Faisant fi des quolibets, j’ai porté l’+ao dài+ lors de mes représentations de musique traditionnelle. Mes enfants aussi, chaque fois qu’ils m’accompagnaient sur scène», avait confié Trân Van Khê.

En octobre 1977, le professeur avait participé à une conférence du Conseil international de la musique de l’UNESCO à Bratislava (République tchèque), où il avait joué de la musique vietnamienne. Comme à son habitude, il portait l’ao dài khan xêp. Luu Huu Phuoc, représentant du Vietnam, lui avait alors murmuré : «Dans les pays occidentaux, on a le droit de choisir n’importe quel vêtement de représentation. Mais au Vietnam, lorsque vous portez cet habit, on vous prend pour un péquenot».

Trân Van Khê avait simplement répondu : «Ce n’est pas l’habit qui fait le péquenot, mais la mentalité. Quand l’instrumentiste porte le vêtement traditionnel, sa musique est plus incisive, elle touche plus le public». L’artiste n’a jamais dérogé à ce principe : «Porter l’+ao dai khan xêp+ pour jouer d’un instrument à cordes».

Fier de porter l’habit national

En juin 1958, à l’amphithéâtre de Paris, l’UNESCO avait organisé un programme de musique classique Orient-Occident. Le professeur de musique Yehudi Menuhin, qui jouait du Bach au violon, portait un costume avec un nœud papillon blanc. Ravi Shankar portait la tenue traditionnelle indienne pour jouer du sitar. Le Japonais Yuize Shinichi, le kimono noir. Trân Van Khê a été invité à interpréter de la musique traditionnelle vietnamienne. «Imaginez à quel point je me serais senti honteux si je n’avais pas porté l’+ao dài khan xêp+. Impensable!», avait-il raconté.

En 1979, l’Université de Perth (Australie) l’a invité à enseigner la musique traditionnelle vietnamienne durant trois semaines. «La première séance verra la présence de la direction de l’université, de tous les professeurs et étudiants. Je pense que si vous revêtez l’habit traditionnel, cette séance sera plus solennelle», avait proposé Sir Franck Callaway, organisateur du cours de formation. Et Trân Van Khê de s’exclamer : «Avec grand plaisir !». Le jour J, les participants accueillirent avec enthousiasme ce professeur en ao dài khan xêp.

«Les spectateurs viennent bien habillés pour écouter de la musique. L’artiste aussi. être mal fagoté, c’est manquer de respect pour le public, et pour soi-même», avait partagé le Professeur nonagénaire. Un grand monsieur est parti rejoindre le paradis des artistes !

Quelques titres décernés au Professeur Trân Van Khê :
1949 : Prix de l’instrument à cordes traditionnel au Festival de la jeunesse et des étudiants à Budapest.
1975 : Docteur honoris causa en musique, de l’Université d’Ottawa (Canada).
1981 : Prix de la musique, du Conseil international de la musique de l’UNESCO.
1991 : Ordre des arts et des lettres du ministère français de la Culture et de l’Information.
1998 : Médaille pour la culture nationale du ministère vietnamien de la Culture (actuellement ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme).
1999 : Ordre du Travail de 1re classe de l’État vietnamien.
2005 : Prix Dào Tân du Centre d’étude et de préservation de la culture nationale.
2011 : Prix Phan Châu Trinh pour les études musicales. – VNA