Il manie les ciseaux avec talent depuis quarante ans
Une rolls-royce
noire s’arrête dans la rue Ly Chinh Thang, 3e arrondissement de Hô Chi
Minh-Ville. Les portes s’ouvrent. Un homme, avec plus 7.000 dollars sur
lui, descend. Il marche dans la ruelle N°84 et s’arrête devant la maison
N°4, dont la porte est fermée. « Je suis là pour vous commander des
vêtements», lance-t-il.
Vo Van Ve s’avance. Il est
grand, porte des lunettes blanches, a les cheveux rasés, la voix grave
et la démarche rapide. L’artisan est considéré comme un «couturier
mythique», «le meilleur de la ville».
Un talent précoce
Il y exerce son métier depuis plus de quatre décennies. Autour de son
cou, il porte un mètre ruban dont il ne se sépare jamais.
Vo Van Ve, que les gens surnomment Haive, n’a pas fait de grandes
études. Il n’empêche qu’il a conçu les costumes pour le grand frère du
roi Norodom Sihanouk, pour le cardinal Pham Minh Mân et pour Vo Quôc
Thang, président du conseil d’administration de la compagnie par actions
Dông Tâm.
Vo Van Ve est né en 1937. De parents
vietnamiens, il a grandi au Cambodge. À 15 ans, il a été engagé chez Tân
Viêt, une des célèbres maisons de couture du Phnom Penh de l’époque. Le
patron de Tân Viêt a vite remarqué son talent et l’a nommé tailleur
principal, un poste très important.
En 1970, Vo Van Ve
et sa famille sont partis à Saigon (actuellement Hô Chi Minh-Ville) pour
gagner leur vie. Sur conseil du célèbre couturier M. Rông, il s’est
présenté à la maison de couture Chua, alors très connue à Saigon. Après
l’avoir rencontré, M. Chua lui a proposé de le payer 15.000 dôngs/mois
(à l’époque 20.000 dôngs/taël), s’il travaillait bien. Lorsqu’un client
important de la maison Chua, actif dans le domaine des pneus, s’est
présenté pour commander des vêtements, Haive s’est porté volontaire pour
lui confectionner son complet-veston. M. Chua a accepté, tout en
doutant de sa capacité à satisfaire ce consommateur exigeant. Mais Haive
a réussi à combler les attentes du client qui, lors de l’essayage, lui a
immédiatement donné une bonne-main de 5.000 dôngs.
Un
an plus tard, M. Ve a ouvert sa propre maison de couture, dont la
réputation n’est désormais plus à faire. Les clients se succèdent. Sur
demande de l’un d’entre eux, admiratif de son travail, Vo Van Ve lui a
confectionné 62 complets-vestons. «Je lui commande mes vêtements depuis
1972 et mes enfants font de même, explique Bùi Dac Hoà, 70 ans,
enseignant retraité de l’école Petrus Ky (actuellement lycée d’élite Lê
Hông Phong). J ’ai tenté d’aller dans d’autres maisons de couture, mais
je suis revenu ici ».
Style d’un artiste
Haive ne tolère aucune erreur technique. Plus que de simples vêtements,
il confectionne des tenues stylées, de haut standing. «J’apprécie
lorsque qu’un client repart avec un beau costume et se rend compte de sa
valeur». Et d’ajouter qu’un bon couturier se reconnaît à la manière
dont il travaille avec du tissu rayé.
Toute la vie de Vo
Van Ve tourne autour de la couture. On peut le considérer comme un
artiste. Parfois, il se lève à deux ou trois heures du matin pour couper
ses tissus et confectionner des vêtements. Mais quand il n’a pas
d’inspiration, il ne touche pas ses ciseaux. Lorsqu’il rencontre
quelqu’un dans la rue qui porte un costume inadapté, il lui propose de
venir dans sa boutique pour lui faire gratuitement une tenue qui lui
sied. «Je suis choqué à la vue d’un complet-veston avec des fautes
techniques».
Vo Van Ve refuse de créer des vêtements
pour les clients qui veulent lui faire baisser ses prix. Mais lorsqu’il
peut échanger avec quelqu’un sur son métier, il est au contraire prêt à
lui faire cadeau de l’habit qu’il lui a confectionné!
Tout au long de sa carrière, beaucoup de patrons ont proposé à Haive de
l’engager dans leur maison de couture. Mais il a toujours refusé. «Je
n’aime pas l’ambiance des grandes entreprises. Je préfère travailler
chez moi, à mon rythme».-CVN/VNA