Hanoi (VNA) - La baie de Ha Long est pour le Vietnam ce que la Tour Eiffel est pour la France : un site incontournable, dont on rêve d’accéder au moins une fois dans sa vie. Ne serait-ce que pour voir comment c’est en vrai !
Alors, je profite de ce début de mois de juin qui annonce déjà les beaux jours de l’été pour vous conduire à la découverte d’une des merveilles du monde loin des clichés et des images convenues. Comme la Vérité sortant du puits, la baie majestueuse n’est autant séduisante qu’en son état naturel. Rien de mieux que de l’aborder avec humilité, avant de la prendre à bras le corps pour s’y plonger jusqu’à l’étourdissement.
Et pour cela, je vous offre de fuir les fleuves de touristes qui se précipitent à pleins cars dans la ville d’où la baie tire son nom : Ha Long. Entrons-y par la petite porte, celle du sud, au large de l’île de Cát Bà, moins fréquentée, mais tout aussi étonnante. Sac de voyage en mains, l’aventure peut commencer…
Train d’enfer
Et c’est bien à l’aventure que l’on part ! Car la belle se fait mériter, et y accéder relève parfois de l’expédition la plus mouvementée. Bien sûr, nous pourrions prendre une voiture et filer sur la route nationale 5, jusqu’à Hai Phòng. Hormis les aléas du transport routier, le trajet en deviendrait presque fade au regard du voyage ferroviaire. Car c’est justement ce moyen de déplacement que je vous propose pour suivre le fleuve Rouge jusqu’à son embouchure, avant d’atteindre l’île de Cát Bà. Et déjà, notre capacité d’adaptation est mise à rude épreuve.
Tout d’abord, selon l’heure, il faut choisir la bonne gare de départ. Vous êtes matutinal ? Le train de 06h00 est parfait pour vous. Il vous permet d’être à pied d’œuvre en fin de matinée pour profiter d’une belle après-midi de croisière dans la baie.
Vous aimez prolonger le petit déjeuner en lisant votre journal ? Prenez le train de 09h00, et vous serez sur l’île de Cát Bà en milieu d’après-midi, pour naviguer au crépuscule.
Mais attention, le train de 06h00 et celui de 09h00 ne partent pas de la même gare. Je me souviens de ce jour où, ignorant tout de ces arcanes logistiques, j’arrivai à 08h30 à la gare Trân Quý Cáp, juste derrière la grande gare de Hanoi, pour prendre mon billet de train. Un peu surpris de ne voir personne devant le guichet vitré, je pensais que mon ange gardien avait dégagé le chemin pour moi, et je demandai poliment à la préposée un «vé tàu Hai Phòng ghê mêm máy lanh», ce qui équivaut à demander un siège en première classe, avec climatisation. Siège mou, en comparaison des sièges en bois des autres classes.
Avec ce sourire qui caractérise l’extrême politesse des Vietnamiens, même dans les situations les plus tendues, la jeune femme derrière sa vitre m’objecte qu’il lui est impossible de me délivrer l’indispensable titre de voyage, car le train de 09h00, contrairement à celui de 06h00, ne part pas de cette gare, mais de la gare Long Biên, à environ 20 minutes en taxi de l’endroit où je me trouve !
Pas le temps de dire au revoir, de remercier de toutes ces choses qui créent du lien social. Pour l’heure, c’est l’instinct de survie qui prédomine : ramasser le sac de voyage, courir comme un dératé jusqu’au premier taxi qui somnole devant la sortie, se précipiter à l’intérieur sous l’œil ahuri du chauffeur, en lui intimant de se rendre le plus vite possible à cette fichue gare qui aurait pu se trouver plus près tout de même.
Heureusement, je suis tombé sur un as du volant qui, au mépris de toutes les règles de bienséance routière, parvient à m’amener à bon port, ou plutôt à bonne gare, en un temps record.
Pas regarder à la dépense, «gardez la monnaie», courir encore sur la rampe d’accès à la gare qui, comme pour compliquer les choses, est inaccessible en voiture. S’écrouler sur le guichet en piétinant les retardataires pour quémander son billet et, sans reprendre haleine, se précipiter sur le quai au moment où les portes vont se refermer.
Le train est là, exhalant un souffle aussi rauque que le mien. Vite, escalader les marches en fer de la voiture 2, celle qui est inscrite sur mon ticket. Le train s’est ébranlé, je me suis affalé dans mon fauteuil. J’ai bien senti comme un moment d’hésitation de la part de mes voisins de compartiment, oscillant entre la sécurité, c’est-à-dire éloigner le plus possible les enfants et les femmes enceintes de cet étranger rouge, suant, haletant, yeux exorbités, et entre la curiosité de connaître les raisons d’un tel état.
Heureusement, c’est la seconde alternative qui a prévalu et quand j’ai pu narrer l’histoire, j’ai eu droit à l’expression de la plus profonde compassion pour mon ignorance, et aux petits soins pour moi durant tout le trajet, y compris de la part des enfants et des femmes enceintes !
En avant toute
La leçon m’a servi, et c’est pourquoi aujourd’hui, partis de la bonne gare, nous sommes tranquillement installés dans le train. Nonobstant les vibrations, oscillations, trépidations et secousses habituelles, le train doit nous amener à bon port, si toutefois un buffle ou un automobiliste distrait ne vient pas se mettre en travers de son chemin. Ce qui m’est arrivé parfois, mais ce sera le sujet d’une autre tranche de vie.
Hai Phòng, terminus, tout le monde descend. À peine sorti du train, on sent déjà comme un fond d’air marin : la baie n’est plus très loin ! Encore faut-il prendre le bateau rapide qui doit nous conduire sur l’île de Cát Bà.
Après le train, le taxi qu’une foule de chauffeurs attentionnés nous propose à la sortie de la gare. Que l’embarras du choix, mais pas celui du prix ! Juste léonin pour la courte distance entre la gare et l’embarcadère, mais pas le temps de négocier si on ne veut pas louper le bateau.
Hai Phòng est une ville charmante, agrémentée d’un mail arboré des plus romantiques, mais nous sommes là pour aller en baie, et non pas pour bayer aux corneilles sous les frondaisons municipales ! Déposés à l’embarcadère fluvial par un chauffeur de taxi satisfait de sa bonne affaire, nous sommes assaillis par une nuée de vendeurs de billets polyglottes (les vendeurs, pas les billets). Vous pouvez aussi vous diriger vers le guichet de la compagnie et y prendre des billets dont vous serez certains de l’authenticité et du prix.
Sésame en poche, il ne reste plus qu’à attendre l’arrivée du bateau rapide qui fendra les eaux jusqu’à l’île, porte d’entrée de la baie. Là encore, il faut faire preuve de patience et apprendre à maîtriser la technique de l’entonnoir. Explications !
À l’arrivée du bateau, les passagers se précipitent pour entrer par une porte étroite, d’où, bousculades, piétinements, heurts, parfois horions involontaires. Pour éviter de se trouver dans la situation du grain de sable dans un entonnoir, malmené, ballotté, écrasé, il convient de considérer une règle élémentaire de la physique des fluides. Si un obstacle vient à stopper le flux, son aval est libre, même si son amont est engorgé. En d’autres termes, si vous stoppez devant la porte en prenant la position du pilier de rugby, vous contiendrez la poussée arrière, tout en vous libérant la voie devant vous. Cela vous permettra de rentrer dignement dans le bateau sans y être propulsé.
Certes, en pareille occasion, il faut avoir bon dos. Mais, attention, la technique de l’entonnoir ne s’achève pas au moment où vous mettez le pied à bord ! L’ustensile servant à gaver les oies et les canards, il est aussi utile pour gaver un bateau qui n’a que 80 places, mais dans lequel on peut enfourner une centaine de passagers, par la magie de sièges pliants qui peuvent s’installer dans le couloir. Qu’importe, la baie mérite bien cette promiscuité, fût-elle sujette à des nausées et autres rejets intempestifs, tributs au mal de mer… Île en vue, premiers îlots en pain de sucre à l’horizon. La semaine prochaine, je vous emmène en croisière sur une jonque. Récupérez bien en attendant ! -CVN/VNA