Il serait sans doute plus facile d’aborder le Têt sous l’angle descouleurs, plus faciles à imaginer.
Existe-t-il en effet quelqu’un quin’arrive pas à se représenter, par exemple, le vert des banh chung oule blanc des échalotes marinées, le rose des fleurs de pêcher ou lerouge des sentences parallèles ? Le cas échéant, il nous suffirait toutau plus de faire quelques clics de souris pour en obtenir une série dephotos. Mais si nous nous laissons facilement impressionner par ce quise voit, l’olfaction est en réalité bien plus forte pour ancrer nossouvenirs. Du coup, si les images multicolores du Têt ont une place dansnotre mémoire, les parfums de cette fête sont imprégnés au plus profondde notre être et nous appartiennent.
Les préparatifs
Nous sommes le 23 du dernier mois lunaire, le jour où chaque familleorganise une petite cérémonie pour dire au revoir aux trois Génies duFoyer qui retournent au Ciel soumettre leur rapport annuel à l’Empereurde Jade. À partir de ce jour, le Têt commence réellement à se fairesentir. Alors, ouvrons nos narines pour suivre le chemin des odeurs!
Et voici la première, si douce et parfumée ! Elle nous ramènevers cette enfance paisible où, le soir avec nos copains, nous jouionsau cerf-volant sur les rizières fraîchement moissonnées. C’est l’odeurde la paille brûlée, mais pas n’importe quelle paille : celle du rizgluant pur et propre qu’on brûle pour obtenir les cendres quirenouvelleront les vases d’encens.
Les préparatifs avancent :suivons, d’un foyer à l’autre, les différentes senteurs . Parmi lesplus marquées, il y a bien sûr l’ odeur piquante des échalotes qu’onépluche avant de mettre à mariner dans du sel et du sucre. Ce plat, àla saveur un tantinet âcre et acide , a une place à part dans les repasdu Têt. Il est parfait pour accompagner du porc bouilli ou en gelée. Cen’est pas un hasard s’ils figurent ensemble dans un distique célèbre :Viande grasse, échalotes marinées, sentences parallèles rouges/Mât duTêt, chapelets de pétards, gâteaux de riz verts.
Poursuivonsnotre exploration olfactive . Le restant de l’année, on peut secontenter d’acheter des compotes toutes faites au supermarché mais pourle Têt, les familles préfèrent les préparer elles-mêmes. Comme lesconfitures maison qui peuvent être élaborées à base de fruits, maisaussi de légumes (citrouillé, courgette, patate douce, carotte,gingembre…) et de graines (pois, arachides…), leurs parfums sont trèsvariés : épicé pour le gingembre, citronné avec des mandarines, fruitéavec des noix de coco… Et quel plaisir de tous se réunir autour d’un thépour savourer ces confitures dont le fumet gourmand nous met l’eau à labouche !
La veillée si attendue
Évidemment, quidit Têt, dit banh chung ! Mais il serait bien dommage de serestreindre à la seule senteur de leurs ingrédients, au simple parfum deces gâteaux qu’on peut de nos jours se procurer partout et facilement.Seuls ceux qui n’ont jamais assisté à leur préparation - à la grandeveillée de cuisson - pourraient affirmer une chose pareille.
Levrai parfum des banh chung , c’est la scène de nettoyage sous lerobinet, par les fillettes, des haricots mungo, du riz et des feuillesde dong . C’est l’image de la mère emballant ces gâteaux carrés, c’estl’ensemble des doux effluves qui se dégagent de la grande marmitebouillonnante. C’est l’affection et la chaleur qui s’exhalent desmembres de la famille réunis autour du feu, c’est l’attente etl’impatience des enfants..., c’est toute cette veillée où la tendresse,l’atmosphère de fête, le goût des retrouvailles se donnent rendez-vous .C’est ce rendez-vous qui fait son parfum, le parfum du bonheurfamilial .
Le dernier bain de l’année
Maintenant quetous les préparatifs sont achevés, c’est l’heure du lavage rituel àl’eau de coriandre. Selon la tradition, cette eau purge le corps desimpuretés et chasse la mauvaise fortune accumulée durant l’annéeécoulée. D’un point de vue médicinal, elle permet au corps de se relaxeret de se revivifier en évacuant stress et fatigue.
Les tigesde coriandre, une fois lavées, sont bouillies dans une grande marmited’eau. La vapeur en répand les effluves chaleureuses, saveur un peupiquante mais très agréable dans la froidure hivernale : on dirait unappel à la douceur et au recueillement. Après nous être lavés à l’eau decoriandre, nous aurons un esprit détendu et serein dans un corps sainet parfumé : le bien-être parfait ! Ainsi serons-nous disposés à fairele culte du réveillon et à accueillir la nouvelle année sous lesmeilleurs auspices.
Aucune senteur de produit cosmétique nepeut en effet se comparer à cette fragrance toute naturelle etpurifiante de la coriandre. D’ailleurs, cette image de la marmite d’eaude coriandre où chacun vient puiser, s’associe joliment aux moments debonheur partagés. Le fait que toute la famille s’imprègne d’un parfumunique est le reflet visible de son harmonie intérieure.
Et les autres parfums ?
Outre les effluves de pétards qui ont déjà disparu pour raison desécurité, il est impossible de parler du Têt sans évoquer la senteur defleurs, les odeurs d’encens et de papiers votifs brûlés. Certes, onles remarque à d’autres moments de l’année, mais c’est plus particulierpendant le Têt. En plus des camélias sur l’autel des ancêtres, desdahlias et des violettes dans le salon, nous avons un pêcher et unkumquat d’ornement dans la cour.
Les encens d’abord sontsoigneusement sélectionnés pour cette fête, et les familles optentsouvent pour des spirales en lieu et place des traditionnellesbaguettes. Lors de la cérémonie du réveillon, le maître de la maisonallume les encens sur l’autel des ancêtres et dans leur parfum à la foisdivin et enivrant, l’homme entouré des siens se prosterne et réciteles prières pour une nouvelle année placée sous les signes du bonheur etde la prospérité…
Mentionnons aussi l’odeur des vêtementsneufs : certains peuvent trouver un peu ridicule d’en parler encoremais, dans des contrées reculées, pour les familles pauvres, ce parfumexiste. Ainsi, avoir un habit neuf à porter le Jour de l’An constituetoujours l’un des plus beaux rêves pour les enfants.
Le Têtdure une dizaine de jours environ et, souvent, vers le septième jour dupremier mois lunaire, on descend toutes les offrandes de l’autel et onbrûle les papiers votifs. Il n’est pas exagéré de dire que cette odeurmarque la fin de cette fête. - AVI