À Truong Son, des tissus qui poussent dans les arbres
Les Hà Lang sont une ethnie minoritaire de la
cordillère de Truong Son, que l’on trouve surtout dans le village de Dak
On, commune de Dak Long, district de Dak Glei, province de Kon Tum
(hauts plateaux du Centre). Autrefois, cette ethnie vivait en forêt,
loin du monde civilisé. Ces conditions l’ont obligé à tirer de son
environnement tous les produits nécessaires à la vie quotidienne,
vêtements compris.
« Pendant des centaines d’années, les Hà
Lang ont tressé l’écorce pour se faire des vêtements. Ces habits solides
nous ont aidé à nous protéger de la pluie, du vent et aussi des coups
lors des combats contre les ennemis» , explique A Xen, patriarche du
village de Dak On.
Ce groupe ethnique ne porte plus ces habits
mais les conserve comme des biens précieux. Actuellement, 12 pièces sont
préservées au sein de la communauté qui les considère comme un trésor,
un héritage ancestral. Chose surprenante, plusieurs d’entre elles ont
été fabriquées il y a des siècles mais demeurent néanmoins en excellent
état.
Trois à cinq mois de tissage
Le patriarche A
Xen donne des explications détaillées sur les techniques de
fabrication. L’écorce provient d’un vieux jaquier sauvage (que les Hà
Lang appellent Ko Pong ). Les hommes vont loin en forêt pour chercher
un arbre ne donnant pas de fruit, ayant un tronc d’un diamètre de 20-30
cm. L’arbre est coupé en morceaux longs de 1 à 2 m puis écorcé. L’écorce
est laissée macérée deux mois dans l’eau. Ensuite, elle est battue,
séchée à l’ombre puis séparée en fibres. Les Hà Lang utilisent ensuite
le La Plâh , une sorte de liane sauvage, pour produire le fil. Si la
recherche du bois et le traitement des matières premières sont l’affaire
des hommes, le dernier maillon, c’est-à-dire tressage et tissage, est
dévolu aux femmes. Ces bonnes tisserandes, équipée d’une aiguille de
bois, donneront la forme à l’habit. Le travail peut durer trois à cinq
mois, et chaque pièce peut peser 2 kg.
Vêtements de fête
Parlant de cet héritage ancestral, A Xen ne cache pas sa fierté. «
Maintenant, les Hà Lang ne portent plus ces habits comme vêtements dans
le quotidien. Ils les sortent uniquement aux grandes occasions comme la
fête de la bonne moisson, la cérémonie de culte des buffles, des
représentations artistiques de gongs ou des cérémonies d’inauguration de
la maison commune », dit-il, les mains ouvrant légèrement le sac
contenant ces 12 vêtements «sacrés».
Les Hà Lang ne peuvent plus
en fabriquer de nouveaux, en raison de la difficulté pour se procurer
les matières premières. Prenant un vieux vêtement dans ses mains, A Xen
confie tristement : « Notre village compte une centaine de familles avec
515 personnes, mais personne ne peut tisser ce vêtement. Il y a un an,
le vieillard Y Dia a été en forêt pour chercher les arbres Ko Pong et La
Plâh mais après trois mois, il est revenu dépité. Il n’en avait trouvé
aucun ! »
Outre la rareté des matières premières, l’autre problème est que les Hà Lang ont plus ou moins oublié les techniques de fabrication. Les jeunes ne s’intéressent guère à cette tradition, et préfèrent porter des T-shirt colorés. Y Dia, l’un des meilleurs tisserands, vient de décéder. « Ce savoir-faire va disparaître, et nous en sommes bien tristes », soupire A Xen. Les Hà Lang souhaitent préserver à tout prix ces 12 derniers vêtements. Ils ont refusé à maintes reprises des propositions alléchantes de collectionneurs d’antiquités venus de loin pour les acheter. Pas question de vendre son âme… - VNA