«La chique de bétel est le préambule de toute conversation», dit unadage vietnamien. Mieux qu’ailleurs, le village de Phu Lê, dans labanlieue de Hanoi, préserve à merveille cette coutume millénaire.
Àla différence d’autres villages du delta du fleuve Rouge agrémentés detouffes de bambou, le village de Phu Lê, dans le district de Thach Thât,ville de Hanoi, «fait le coquet» avec ses rangées d’aréquiers. Ils’agit d’un palmier à tige élancée dont les fruits, appelés «noixd’arec», poussent en grappes. Dans ce village agricole, chaque maison aau moins quelques aréquiers et une tonnelle de bétel. Une feuille debétel, un quartier d’arec et un tout petit peu de chaux vive, celasuffit pour faire cette fameuse chique de bétel qu’adorent les gens, lespersonnes âgées notamment.
Un «chewing-gum» millénaire
Chiquerdu bétel est une tradition millénaire des Vietnamiens, quelque chose àla fois de sacrée et de normal. Sacrée, parce qu’elle est immanquablelors des mariages et fêtes. Selon la tradition, un plateau de bétel etd’arec fait partie des cadeaux de la famille du marié à celle de lamariée. Lors des fêtes ou des réunions du village, les chiques de bételdoivent être préparées pour tout le monde. La chique de bétel est«consommée» par n’importe qui, n’importe quand et n’importe où.
Denos jours, la coutume de chiquer du bétel se limite aux campagnes. Etseules les vieilles femmes chiquent encore. Mais au village de Phu Lê,la quasi-totalité des villageois, hommes et femmes, vieux et jeunes,mastiquent ce «chewing-gum». «Je ne peux pas compter combien de fois jechique du bétel dans la journée. Chaque jour, à peine sortie du lit,j’aime bien prendre une ou deux chiques avant le petit déjeuner», confieMme Triêu Thi Liên, 72 ans. Et d’avouer qu’elle a eu unequasi-dépendance au bétel. «J’ai commencé à l’âge de dix ans, car àl’époque je préparais la chique de ma grand-mère et de ma mère»,sourit-elle, laissant voir une dentition toute noire. Se laquer lesdents en noir constitue aussi une coutume sûrement aussi ancienne quecelle de chiquer du bétel. «Grâce à cela, j’ai toujours eu une dentitionsolide, sans caries»!, affirme la septuagénaire. Son mari et ses sixfilles et fils sont eux aussi «accro» au bétel.
Saveur ensorcelante
Chaquejour, à la tombée de la nuit, la maison de Mme Liên devient un deslieux de rendez-vous des vieillards du village. Autour d’une tasse dethé, ils devisent et partagent ensemble des chiques de bétel.
PourMme Nguyên Thi Thinh, 75 ans, le bétel est non seulement unamuse-gueule, mais aussi est «très bon pour la santé». «J’ai l’habitudede mâcher du bétel depuis une soixantaine d’années. Cela me réchauffe,notamment en hiver», avoue-t-elle. Selon elle, la séduction de la chiquede bétel réside dans sa saveur due à la combinaison parfaite entre sestrois «composants». Si le bétel est amer, la noix d’arec sent douce etla chaux, âcre. Mais, faites attention : cette saveur si ensorcelantepour ses adeptes est susceptible d’étourdir les «profanes».
Lapréparation de la chique de bétel est différente d’une région àl’autre. À la Fête annuelle du quan ho (chant alterné) à Lim, provincede Bac Ninh, se déroule tout d’abord la cérémonie d’offre du bétel. Leschanteuses en costume traditionnel offrent aux visiteurs des chiques debétel en forme d’ailes de phénix qu’elles ont préparées minutieusement. ÀPhu Lê, la préparation est toute simple : on ne fait qu’enrouler lafeuille de bétel sur un quartier d’arec, à quoi on ajoute un peu dechaux vive, pour former un «cocon».
Depuis toujours,jamais la femme de Phu Lê ne quitte sa maison sans son étui de «cocons».«Je peux m’abstenir de manger, mais pas de chiquer», avoue une fille.De plus «ce chewing-gum a un effet adorable : il rend les joues plusroses, les lèvres plus vermeils», ajoute une autre.
C’estpeut-être pour cette raison que la corbeille de mariage à Phu Lê n’estpas comme ailleurs : obligatoirement, elle contient deux milles noixd’arec et autant de feuilles de bétel (au lieu de deux cents ailleurs).«Cela permet à tous les villageois de chiquer durant les cérémonies demariage», affirme Nguyên Xuân Nho, chef du village. Selon lui, c’est parla chique de bétel offerte que l’on exprime ses sentiments :l’hospitalité pour les visiteurs, l’amitié pour ses connaissances, lerespect pour les personnes âgées, l’amour pour son aimé(e) etl’admiration pour ceux qui ont dû talent. Une tradition locale veutqu’une fois diplômé, le candidat originaire de Phu Lê se voie offrir lesmeilleures chiques de bétel préparées par les villageois.
Levillage compte deux docteurs, une dizaine d’agrégés et près de 300licenciés universitaires, ce qui est assez exceptionnel pour une petitelocalité rurale. -VNA