Vie trépidante dans la "rue du train" à Hanoï après l'épidémie de COVID-19

La rue du train à Hanoi était un site méconnu sur la carte touristique du pays. Grâce à la magie des réseaux sociaux, l’endroit est devenu soudainement un phénomène médiatique.
Vie trépidante dans la "rue du train" à Hanoï après l'épidémie de COVID-19 ảnh 1Si la Thaïlande possède des voies ferrées au milieu des marchés, la Chine surprend tout le monde avec ses voies au sein d’un immeuble! Le Vietnam, lui, se distingue par une voie au cœur de certains quartiers résidentiels de sa capitale. Le chemin de fer du Nord du Vietnam a été construit par les Français au début du XXe siècle. Dans le centre de Hanoi, une voie passe au centre des quartiers résidentiels, frôlant les habitations. Dans la fameuse "rue du train", surnom de la ruelle 10 de la rue Diên Biên Phu, la vie se déroule tranquillement le long des rails; et le passage des imposantes locomotives n’importune guère le train-train quotidien des habitants.  
Vie trépidante dans la "rue du train" à Hanoï après l'épidémie de COVID-19 ảnh 2 La rue du train à Hanoi était un site méconnu sur la carte touristique du pays. Grâce à la magie des réseaux sociaux, l’endroit est devenu soudainement un phénomène médiatique. Appelé littéralement « quartier de la voie ferrée » en vietnamien, ses habitations sont en fait assez récentes. Dans les années 1970, l’État a repris le système ferroviaire initié par les Français à l’époque coloniale. Pour faciliter le travail des employés de la compagnie du chemin de fer, on leur a accordé des logements à proximité de la gare centrale. Les familles de cheminots constituaient ainsi le noyau de la communauté d’alors.
Vie trépidante dans la "rue du train" à Hanoï après l'épidémie de COVID-19 ảnh 3Au fil du temps, les foyers se sont agrandis. Toutefois, face à la crise du logement, les nouvelles générations n’ont pas réussi à trouver un nouvel emplacement et quitter ainsi le nid familial. Les habitants sont contraints de faire un peu de bricolage pour optimiser les espaces existants. C’est pourquoi les étages s’ajoutent les uns après les autres. Par la force des choses, les résidents sont habitués à la nuisance sonore et à la vétusté des infrastructures. Les deux décennies 1980-1990 ont vu un changement considérable dans la structure sociale du quartier. Les familles nombreuses des cheminots ne pouvaient plus vivre dans les espaces trop exigus et insalubres.
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Ces familles des cheminots les ont loués aux travailleurs issus de la campagne. C’est cette classe ouvrière qui compose 80% de la démographie actuelle du quartier. Par conséquent, c’est devenu un quartier-dortoir. On y trouve un large éventail de professions : collecte de quincaillerie, cordonnerie, coiffure, nettoyage de mobylette, etc. La vie est rythmée autour des rails. En journée, les chaussées sont une véritable extension spatiale des familles. En symbiose, on s’en sert pour faire la cuisine, sécher des vêtements, élever des poules, ou nettoyer des cages à oiseaux. En fin d’après-midi, toute la vie sociale se passe dehors.

Vie trépidante dans la "rue du train" à Hanoï après l'épidémie de COVID-19 ảnh 5Les enfants rentrent de l’école en traversant le passage à niveau. Issus de la campagne, la plupart des habitants du quartier conservent le mode de vie communautaire comme dans leurs villages d’origine. Les gens de la rue du train ont appris à s’adapter au danger en permanence : ils ont acquis une aptitude hors pair pour faire face à l’insécurité du lieu. Leur méthode de surveillance se base sur la collaboration collective. Dès qu’on entend le son du train au loin, tout le monde se met en état d’alerte. On regarde autour de soi pour s’assurer que personne ne traverse des voies par négligence. L’intervention anticipative des habitants remplace par défaut les barrières de sécurité.
Vie trépidante dans la "rue du train" à Hanoï après l'épidémie de COVID-19 ảnh 6À l’écart de l’effervescence de la capitale, ces gens travaillent dur pour gagner leur vie. En toute discrétion, ils mènent une vie tranquille en communauté soudée. Et puis soudainement, ce quartier populaire tant boudé par les Hanoïens est devenu un phénomène médiatique. Tout a commencé en 2017. Par hasard, les journalistes vietnamiens ont parlé de la rue du train sous un angle inédit. Ils furent surpris par le mode de vie des habitants et le décor qui nous rappelle les années 1980. Le reportage télévisé national a suscité ensuite la curiosité de National Geographic.
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À son tour, cette chaîne a réalisé un autre reportage avec une portée beaucoup plus internationale. Quelques mois plus tard, la voie ferrée était devenue une attraction touristique d’Hanoi. La chaîne CNN l’a rapidement appelée la « rue selfie ». En deux ans à peine, un endroit naguère « hors des entiers battus » devient soudainement un lieu ultra bondé. En novembre 2018, 7000 images ont été taguées avec #trainstreet sur Instagram. En octobre 2019, il y en a eu plus de 26,000 avec le même tag. Sur Tripadvisor, la rue du train arrivait en deuxième position parmi 107 attractions d’Hanoï !

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  Cette "rue", de 4 à 5 mètres de large, est bordée de maisons et de magasins collés les uns contre les autres. Ce qui la rend si spéciale, c’est la vie des habitants. Ils vivent sur les rails, y font la cuisine, s’y reposent parfois, y laissent leurs enfants jouer... Ils se sont adaptés aux horaires des trains. Chaque fois que l’un d’entre eux arrive, ils se préviennent mutuellement, mettent de côté les choses proches des voies, et attendent patiemment qu’il soit passé. Une habitude quotidienne auquel tout le monde s’est adaptée. Cette rue a un côté romantique qui n’a pas échappé aux jeunes vietnamiens passionnés de photographie.

Vie trépidante dans la "rue du train" à Hanoï après l'épidémie de COVID-19 ảnh 9 Le quartier attire à la fois le public vietnamien et étranger pour les raisons assez diverses. L’ancienneté, la modernité et l’interférence des cultures européenne et asiatique en font un lieu très parcouru par les amateurs d’images originales. Pour les Vietnamiens, c’est peut-être le dernier endroit où on peut « capter » un instant du passé. Plusieurs générations ont vécu la misère des années 1980. Face à la modernité effrénée, cette période leur manque. Pour les étrangers, c’est le désir d’exotisme qui les motive. La plupart des touristes viennent des pays développés où leur vie quotidienne est biberonnée par une foule de mesures de sécurité.
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Assister à une scène anormale leur donne une sensation de liberté éphémère. Quel que soit le motif, tous les visiteurs se comportent de la même façon. Ils cherchent une expérience hors du commun et prennent beaucoup de photos selfie. Lors des « heures de pointe », on voit à peine des rails envahis par la foule. La voie ferrée se transforme littéralement en une rue piétonne. Force est de constater que tous ceux qui se posent sur les rails sont des jeunes en quête de sensation forte. Toute leur attention est portée sur le passage du train. À l’image d’un défilé de mode, l’arrivée des locomotives est attendue comme une top model. Sur les deux côtés, les spectateurs sont excités et hurlent comme s’ils voyaient Brad Pitt. 

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Le rapport entre les touristes et les locaux se réduit souvent à une simple transaction mercantile. Pour profiter de l’achalandage, tout un écosystème commercial est créé : boutique de souvenir, art, habillement. Pour plaire aux touristes, certains cafés ont tendance à dépasser les limites.  Plusieurs tables et chaises sont carrément posées en plein milieu des rails, ce qui peut mettre en danger la vie des visiteurs qui ne savent pas quand les trains vont arriver. Derrière les photos sublimes se cache une vérité nue : voyeurisme et narcissisme.  Dans un lieu aussi bondé, les visiteurs ne se côtoient pas. Les yeux rivés sur les appareils photo et smartphones, ils sont complètement dans leur bulle égocentrique. C’est un profil typique à l’ère des réseaux sociaux.

Vie trépidante dans la "rue du train" à Hanoï après l'épidémie de COVID-19 ảnh 12En octobre 2019, les cafés ont dû fermer pour assurer la sécurité sur la voie ferrée. Après plus de deux ans de fermeture en raison de l'épidémie et de l'interdiction d'enfreindre le corridor de sécurité ferroviaire, la "rue du train" a soudainement accueilli à nouveau les touristes. Les restaurants et cafés qui veulent faire des affaires doivent se conformer à la réglementation des autorités locales. Au moment de la réouverture au tourisme, le nombre de visiteurs venant dans cette rue du train augmente de jour en jour. L’attraction de cette voie ferrée urbaine vient peut-être des murs aux peintures uniques, des portes vintages, des petits arbres plantés dans des pots... 

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