Un couple centenaire qui défie la Camarde
« Mes parents s’aiment infiniment. Jamais ils ne se disputent. Aujourd’hui encore, ils éprouvent une affection ardente l’un pour l’autre», observe M me Huynh Thi Hoa, 71 ans, la seconde cadette du couple centenaire. Ce couple dirige une grande famille de près d’une centaine de membres : 4 enfants (2 fils et 2 filles), 12 petits-enfants, 43 arrière-petits-enfants, et récemment un bébé de la 5e génération, avec autant de gendres et brus bien sûr.
La maison du couple doyen se situe au bout d’une
ruelle asphaltée de 500 m le long de laquelle les maisons de ses
descendants ont été bâties successivement. Il y avait là autrefois un
vaste jardin de bétel appartenant aux parents de M me Lanh.
Le
vieux couple ne manque de rien, tant sur le plan matériel qu’affectif,
grâce à la dévotion de ses descendants. Même si cette année, leur santé
semble se fragiliser - tous deux n’étant plus en mesure de marcher ni de
voir clairement -, leur lucidité est bel et bien celle de leurs plus
beaux jours. Chaque matin, comme ils le font depuis de très longues
années, ils partent en promenade, même si maintenant, c’est en fauteuil
roulant. La vénérable mémé aime «réciter» des poèmes et raconter des
contes de fée à ses petits descendants. Et rien ne la rend plus heureuse
que d’accueillir des visiteurs.
Un amour qui en a rendu jaloux plus d’un !
«
Maman, papa, un journaliste vient vous voir !», annonce Hoa. Le visage
ridé de Mme Lanh s’illumine, et elle fait d’emblée apporter une tasse
de thé au visiteur. Portant un costume en soie de couleur rose, sa
chevelure toute blanche tenue par un chignon, la vieille dame s’installe
confortablement dans son fauteuil roulant. Avec ses traits fins et son
teint vermeil, elle fait beaucoup plus jeune que son âge.
Avec un large sourire découvrant sa bouche édentée, la centenaire évoque
sa rencontre avec son homme. « En ce temps-là, Lac avait 28 ans. Ce
gars robuste savait tout faire : jardinage, travaux champêtres, pêche,
composition de remèdes médicinaux traditionnels à distribuer aux voisins
malades… Et il parlait un petit peu le français et le chinois. Il était
orphelin et pauvre, mais sa polyvalence et son caractère, si doux,
m’ont fait chavirer !».
Le mariage d’une belle fille de bonne
famille avec un «campagnard» - qui n’était pas ce qu’on peut appeler «un
tombeur» et pauvre qui plus est - a attisé la jalousie d’un bon nombre
d’adolescents du village. Mais les deux jeunes époux n’en avaient cure,
leur bonheur donnant naissance à quatre enfants en l’espace de seulement
quatre ans. M. Lac ajoute : « En se mariant avec moi, Lanh a été
confronté à d’énormes problèmes. La vie était difficile, elle a dû
travailler durement, la journée au champ et la nuit sur sa machine à
coudre. Mais, Dieu merci, nous avons traversé côte à côte toutes ces
épreuves. Et nous sommes encore ensemble aujourd’hui !».
En se
remémorant ces temps difficiles, M me Lanh est fière de dire que ses
enfants fréquentaient tous les bancs de l’école, même pendant la guerre.
« Parmi les quatre, ma fille Hoa était la plus studieuse. Elle a obtenu
un diplôme universitaire de l’Ecole des fonctionnaires sociaux»,
révèle-t-elle. Selon ses voisins, cette grande famille « vit de manière
très solidaire et est en bons termes avec tout le monde» . Les
«bisaïeuls Lac et Lanh» ont toujours cherché à initier leurs descendants
aux sentiments de charité et d’attachement. Ils se sont même portés
volontaires pour offrir des parcelles de leur terre, afin de faire la
route qui les relie au reste de la ville.
À deux doigts du trépas
Mais
l’histoire de ce vieux couple ne s’arrête pas là. L’année 1998 a bien
failli être pour eux la dernière, tous deux étant tombés grandement
malades : M. Lac s’est fait diagnostiquer une tumeur cancéreuse aux
lombes, et M me Lanh une au rectum. Hospitalisée après avoir sombré
dans le coma, Mme Lanh s’apprêtait à subir une opération selon la
prescription des médecins, qui ont cependant conseillé à la famille de
préparer ses funérailles.
Mais, juste avant d’être amenée dans la
salle d’opération, M me Lanh s’est réveillée. Ses premiers mots ont
été : « Où suis-je ?». Apprenant alors qu’elle était à l’hôpital, prête
à entrer au bloc opératoire, la dame de 93 ans a ordonné à ses enfants
de la ramener à la maison. Sans espoir de guérison, la famille a
finalement accepté son « dernier vœu pour qu’elle puisse pousser son
dernier soupir chez elle».
Et là, miracle : la grande mémé a
peu à peu surmonté la maladie, reprenant chaque jour des forces grâce à
des remèdes orientaux traditionnels. Et de vivre en bonne forme
jusqu’aujourd’hui. Quant au vénérable pépé, à la nouvelle de son épouse
qui a vaincu la Mort, il semblait lui aussi reprendre du « poil de la
bête». Il a lui aussi exigé de rentrer « pour pouvoir être aux côtés de
sa bien aimée ». Comme dans un conte de fée, la maladie normalement
mortelle du vieil amoureux s’en est allée définitivement.
La clé de
leur longévité ? : « C’est tout simple : aliments cuits à l’eau - et non
à l’huile -, légumes, fruits, poissons… Mais la chose la plus
importante, c’est de vivre en paix et en harmonie entourés de
l’affection de ses descendants », conclut joliment Hoa.
Attestation : Dans le livret d’état civil du foyer de ce couple figurent ces inscriptions précises : Époux : Huynh Van Lac, né en 1901. Épouse : Nguyên Thi Lanh, née en 1905. Domicile : N°99/1A, groupe 1, rue Nguyên Van Qua, quartier de Dông Hung Thuân, 12e arrondissement, Hô Chi Minh-Ville. - AVI