Hanoï (VNA) - Selonles experts du secteur de l’art contemporain, ce dernier n’est pasencore apprécié à sa juste valeur par les plus hautes instancespolitiques. En témoigne le manque d’archivage et de numérisation desœuvres dans ce domaine. À l’heure du développement de l’industrieculturelle, ils appellent à une plus grande valorisation des œuvresd’art contemporain.
La collectionneuse Natalia Kraevskaia, également épouse du peintre VuDân Tân (1946-2009), et propriétaire du Salon artistique Natasha àHanoï, est connue des peintres depuis des décennies. Elle est préoccupéepar le fait que les données sur l'art contemporain vietnamien nedisposent actuellement pas de grandes archives.
"Le Salon Natasha compte actuellement 8.300 dossiers d'artcontemporain, dont 4.992 avec références en ligne. Ma collection a étécréée en 1990, complètement sans parrainage. Les archives contiennentbeaucoup de photos, de profils d'artistes, de manifestes artistiques,d'interviews vidéo, etc. Mais ce n’est qu’une toute petite collection",a déclaré Natalia Kraevskaia lors de la conférence internationale surla vietnamologie qui s'est tenue à Hanoï à la fin de l'année 2021.
Lacune de l'histoire culturelle
Les propos de Natalia vont dans le même sens que les déclarations duchercheur en art Vu Huy Thông (Académie des Beaux-Arts du Vietnam) quiconstate que dans le monde de l’art, les techniques d’archivages restenttrès traditionnelles. En effet, faute d’information en ligne sur lesœuvres, il a l’habitude de prendre lui-même des photos et des notes àchaque fois qu’il se rend à des expositions. Il a amassé une sommeimpressionnante d’informations sur les œuvres, ce qui l’a poussérécemment à les soumettre à l'Académie nationale des Beaux-Arts où iltravaille.
"Je me spécialise dans l'installation ou les arts de la scène. Nousavons également des documents de Hô Chi Minh-Ville, de Huê provenant denos missions ou de dons d'artistes", a déclaré Vu Huy Thông.Cependant, il a fait savoir que ces travaux de collecte et denumérisation des données ne sont en aucun cas rémunérés, reposantprincipalement sur les efforts personnels de chacun.
Kraevskaia a estimé qu'en raison du manque d’archivage, de nombreuxdocuments et œuvres d'art ont été endommagés au fil du temps. À causedes faibles conditions économiques du Vietnam avant et après le Dôi Moi,les faibles revenus, l'accès limité à la technologie, il n'y a donc pasde documentation sur de nombreuses œuvres d'art, documents culturels ethistoriques. "Nous devrions reconnaître l'importance de lanumérisation des documents historiques et des œuvres d'art. De nombreuxévénements contemporains du Vietnam peuvent être mentionnés depuis 1990,des problèmes culturels et historiques peuvent être enregistrés. L'artdu Vietnam a un besoin urgent d'être collecté et archivé par latechnologie numérique", a-t- elle déclaré.
Néanmoins, toujours selon cette collectionneuse d’origine russe, ilexiste ailleurs des archives numériques sur l'art vietnamien à l'époquedu Dôi Moi. Elle cite par exemple les archives de labibliothèque numérique d'Asie du Sud-Est à l'Université de NorthernIllinois, aux États-Unis. Il existe également des bases de données auBlue Space Art Center - un espace culturel indépendant à Hô ChiMinh-Ville dirigé par Mme Trân Thi Huynh Nga, la veuve du peintre Trân Trung Tin.
Nécessité d’une nouvelle vision
Natalia Kraevskaia a partagé : "En ce qui concerne l'artcontemporain du Vietnam, il y a une réelle urgence dans l'archivage, enparticulier dans l'archivage des œuvres post-Dôi Moi. Le stockage del'art par le procédé numérique est relativement faible, il est doncnécessaire de créer un centre d'archives". Elle a précisé aussi quel’archivage des dossiers artistiques doit être effectué dans différentsformats tels que des images, des fichiers numériques et analogiques,afin que les documents archivés soient originaux, authentiques etfiables. Tout ceci créera des archives importantes qui serviront dematières historiques pour les générations futures. En ce qui concerneles autres pays d’Asie, elle constate que même s'il y en a peu, il y aquand même des archives, par exemple celles d'art à Fukuoka au Japon, lasalle du musée M à Hong Kong, etc.
Mme Kraevskaia a déclaré que "dans les temps à venir,nous aurons de nombreuses options de stockage numérique. Cet archivagedoit être fait de manière à non seulement mettre en valeur lescollections, mais aussi les hiérarchiser, en faisant des fichesintroductives sur le contexte par exemple".
Le Docteur Bùi Hoài Son, membre de la Commission chargée de la cultureet de l'éducation de l'Assemblée nationale, a déclaré de son côté : "nousn'avons pas correctement apprécié le rôle et la position de l'artcontemporain jusque-là, alors qu'il est le visage de l'art du Vietnamd’aujourd’hui. Nous manquons de musées d'art contemporain. Nous avonsencore un état d'esprit qui considère que ce qui est précieux vient dela cristallisation des valeurs du passé. C'est aussi vrai, mais passeulement. On le voit, pour beaucoup de pays, l'art contemporain estleur visage artistique, et pas seulement une histoire d'art traditionnelou de patrimoine culturel".
Bùi Hoài Son estime qu'il est nécessaire d'avoir une nouvelle réflexionsur la protection, l'exploitation et l'usage de l'art contemporain. "Quandon veut développer l'industrie culturelle, l'art contemporain est unevraie mine d'or. Nous exploitons la tradition alliée aux valeurs del'époque pour créer de nouveaux produits. Les leçons de la République deCorée ou du Japon, de la Chine, voire de la Thaïlande sont là pour nousaider. Là où l'art contemporain est bien exploité, l'industrieculturelle se développe", a-t-il précisé.
Selon Bùi Hoài Son, il est nécessaire de numériser tout d’abord lesoeuvres d’art contemporain, puis d'archiver et de former un musée d'artcontemporain, un référentiel de données sur l'art contemporain.
"Nous avons besoin d’une nouvelle approche qui ne repose pas sur laresponsabilité de chaque unité. Par exemple, aujourd’hui, pour l'artvidéo, le Département du cinéma pense qu'il appartient au Départementdes arts du spectacle, et le Département des arts du spectacle dit qu'ilappartient au côté cinéma. Par conséquent, nous avons besoin d'unenouvelle réflexion sur l'exploitation et la protection de l'artcontemporain", a souligné le Dr. Bùi Hoài Son. -CVN/VNA