Quiconque voyage dans les provinces montagneuses du Nord-Ouest estfasciné par le spectacle grandiose des rizières en gradins, vertesquand le riz est jeune et dorées quand il est mûr. Un paysage habituelà Lào Cai, Yên Bai, Hà Giang comme Lai Châu ou Diên Biên, qui faitpenser à de gigantesques marches pour géants. Les auteurs de cesmerveilles ne sont autres que des paysans d'ethnies minoritaires, quise sont passés le relais de génération en génération. Deux défricheurspionniers, Ho Vang Phu (à Yên Bai) et Ma A Chang (à Lào Cai) se sontremémorés leur long parcours jonché de défis et d'exploits.
À 90 ans, Ho Vang Phu respire encore la santé. Ce vieux d'ethnie H'Mônghabite une maison perchée en haut d'une montagne, du village de TrôngTông, commune de Chê Cu Nha, district de Mù Cang Chai, province de YênBai. Sa famille est prioritaire d'une "quantité innombrable" deparcelles de rizières en gradins, qui donnent chaque année jusqu'à 15tonnes de riz et plus.
"Autrefois, les H'Mông nepratiquaient pas la culture du riz aquatique, mais seulement celle surbrûlis. Il nous fallait changer de lieu souvent parce que le brûlis nepermet de pratiquer que trois ou quatre récoltes successives, et cettevie nomade était dure. Un jour, j'ai eu l'idée de créer des rizièresaquatiques capables d'être utilisées toute une vie", se souvient-il. Ils'est mis tout de suite à l'ouvrage, en dépit des sarcasmes de sesproches. Equipé d'une pioche et d'une machette, il a parcouru jouraprès jour les montagnes, cherchant des endroits peu abrupts traverséspar des ruisseaux.
Dans l'ensemble, les montagnes de Mù Cang Chai sontassez escarpées et rocailleuses. Les lopins de terre près d'une sourced'eau sont souvent étroits. Que cela ne tienne. Le paysan audacieux n'apas épargné ses efforts, nivelant le terrain, remblayant les diguettes,créant parfois des rizières minuscules "permettant à peine le passaged'un buffle", selon ses termes. La première étape est ledébroussaillage et le "désenrochement". Les gros rochers, il faut lesbrûler jusqu'à ce qu'ils éclatent. La construction des diguettes et desrigoles d'irrigation n'est pas moins ardue. "J'ai perdu des mois pouraménager une parcelle.
Dans certains cas difficiles, il m'a falluparfois un an, voire deux", révèle le vieux défricheur. Maisl'important, c'est de trouver quel est l'endroit approprié à la culturedu riz aquatique. Avec ses yeux d'expert, il peut calculer exactementla capacité d'irrigation d'un lieu. Son fils, Ho Cho Mang, ajoute avecun brin de fierté : "Les habitants de la commune de Che Cu Nha quiveulent créer une rizière viennent souvent demander l'avis de monpère".
Grâce aux rizières en gradins, les habitantsd'ethnies minoritaires de Mù Cang Chai ont pu mettre fin à leur vienomade. "Mes rizières suffisent pour nourrir ma grande famille de 50personnes", s'enorgueillit Ho Vang Phu. À l'arrivée de chaque saison derepiquage du riz, il fait abattre un porc, préparer un festin copieuxpour s'attirer les bonnes grâces des génies de la pluie, de lamontagne, du riz... À la saison des moissons, il dépose sur l'autel desbols contenant du riz nouvellement récolté ainsi que des pouletsentiers cuits à l'eau. Manière de remercier les forces occultes et lesancêtres. Et quand on lui demande s'il sait que ses rizières sontentrées dans la liste des patrimoines paysagers du pays, il agite latête et répond d'un air ébahi : "Patrimoine paysager ? Qu'est-ce quec'est que ça ?".
Ma A Chang, domicilié au village deMong Sen, district de Sa Pa, province de Lào Cai, frise les 70 ans.Petite taille, cheveux blancs, allure leste, visage souriant..., ildégage un vrai optimisme. Orphelin à l'âge de 12 ans, Ma A Chang et sessix frères et soeurs ont dû travailler dans d'autres familles, sanstoujours pouvoir manger à leur faim. Devenus adultes, ils ont cherché àdéfricher un brûlis pour leur propre compte, et mener comme les autresune vie nomade en se déplaçant de montagnes en montagnes. Une vie desplus précaires.
"Si l'on pratique la rizicultureaquatique, on ne doit plus vivre de vie nomade", a-t-il dit à sesenfants le jour où il a décidé de créer une rizière en gradins au borddu ruisseau près de sa maison. Ses premières parcelles étaient trèsétroites, sur une pente abrupte. "Peu importe, pourvu qu'elles donnentun rendement élevé et permettent une culture à longue terme", expliquele défricheur pionnier de la région. Ma A Chang est actuellementpropriétaire d'un grand nombre de rizières. Il est même devenu lespécialiste local des rizières en gradins, qui conquièrent des pentesde parfois 45 degrés. Les paysans du coin viennent souvent lui demanderdes conseils avant de se mettre à l'ouvrage. À présent, les rizières engradins couvrent d'innombrables collines à Sa Pa. Un superbe paysagequi fait la fierté des autochtones, comme de tous les Vietnamiens. -AVI