Maison ancienne, nouveau signe extérieur de richesse
Au village de Co Giao, dans la commune de Hông Vân, à Hanoi, on
cultive des plantes d’ornements depuis des générations. Certains, qui
ont fait fortune, ont dépensé des sommes folles pour acheter d’anciennes
maisons de minorités ethniques. Nguyên Van Tuân a été l’un des
pionniers. Il a déboursé 200 millions de dôngs pour acquérir sa première
maison en bois à Lang Son, à quoi se sont ajoutés les frais pour
rénover l’habitation et la conformer à des standards de vie plus
confortables, en y adjoignant par exemple des vitres. Au total, la
facture s’est élevée à 400 millions de dôngs. D’autres lui ont emboîté
le pas.
Showroom en plein air
La
demande suscitant l’offre, un «business» autour de ces vieilles bâtisses
est né. Il y a même en banlieue de Hanoi un village spécialisé dans ce
commerce lucratif : Cô Ban (Thanh Oai). Les marchands vont «chasser» les
vieilles maisons dans les provinces montagneuses de Hoà Binh, Son La,
Yên Bai, Phu Tho. Chaque maison intéressante dont les propriétaires sont
vendeurs est photographiée sous tous les angles.
Lorsqu’un client est
intéressé, ils l’amènent sur place, puis une fois le prix fixé, elle est
complètement démontée, avant d’être remontée sur le terrain du nouveau
propriétaire. Un «job» qui demande de l’énergie, il faut prospecter des
zones reculées et essuyer de nombreux refus. Car une maison c’est bien
plus qu’un lieu de vie, c’est aussi l’héritage des ancêtres (certaines
dépassent les 200 ans d’âge), où l’âme de ceux-ci plane encore. Parfois
la bâtisse n’est achetée que 20 à 30 millions de dôngs, mais revendu dix
fois plus ! Un business lucratif donc...
Dans la commune de
Diên Minh, province de Quang Nam, on ne présente pas de photos aux
acheteurs, mais les maisons elles-mêmes, qui sont alignées comme dans un
«showroom» en plein air. Certains patrons emploient des centaines de
travailleurs, chargés de dénicher les perles rares, de les démonter, de
les transporter dans la plaine, d’éventuellement les restaurer avant la
mise en vente. Mais selon l’un de ces chefs d’entreprise fortunés, Lê
Van Tang, « une maison en bois a plus de valeur quand elle est vendue
sur son lieu d’origine, là où elle a été construite ».
Il déplore
qu’avec le processus d’urbanisation, la destruction des vieilles
demeures s’accélère. Beaucoup de familles paysannes considèrent en effet
l’habitation en dur comme un progrès. On ne peut pas les blâmer. En une
dizaine d’années, Lê Van Tang a acheté un millier de maisons, qu’il a
restaurées puis vendues à des clients en quête d’une maison de campagne
originale.
Milliardaire virtuel
Parfois,
certaines en bois précieux atteignent des sommes astronomiques. Nguyên
Van Trang est l’heureux propriétaire d’une maison bâtie en 1774, et qui a
donc 234 ans. En plus d’être très ancienne, elle a comme particularité
d’être entièrement en bois de fer (ou bois lim) et de posséder 48
piliers. En 2009, une délégation malaisienne de recherche sur la culture
en Asie-Pacifique lui a proposé de l’acheter un million de dollars.
Mais M. Trang a refusé. Beaucoup dans le village l’ont pris pour un
fada. On l’affuble désormais du sobriquet de «milliardaire virtuel». Pas
sûr qu’il ait vraiment envie de passer au statut de milliardaire
réel...
Ces dernières années, nombreux ont été les paysans
pauvres à vendre leurs maisons en bois. Parfois pour une bouchée de
pain... Selon Anh Quy, un autre businessman, «ces demeures sont l’âme
de la montagne, et si elles ne sont pas protégées, elles seront toutes
remplacées par des maisons en béton ». Il tient cependant à préciser que
le marché lucratif autour de ce patrimoine n’accélère pas sa
disparition, car de toute façon la plupart des montagnards qui vendent
leur habitation avaient déjà l’intention de se bâtir une maison en dur. «
Beaucoup de celles que j’ai achetées étaient condamnées à finir en bois
de chauffage », confie Anh Quy.
Vouloir passer ses week-ends
dans une jolie maison en bois est un plaisir bien louable. À condition
que ce ne soit pas des nouveaux riches «m’as-tu-vu» et sans culture
uniquement animés par le désir de flatter leur égo démesuré et de
multiplier les signes extérieurs de richesse. - VNA