Paris (VNA) - À l'approche de la visite du président Emmanuel Macron au Vietnam, prévue du 24 au 27 mai, l'historien Pierre Journoud livre une analyse détaillée sur l'état actuel des relations franco-vietnamiennes et leur évolution depuis la signature du partenariat stratégique global entre les deux pays en octobre dernier. Cette visite, la quatrième d'un président français au Vietnam, s'inscrit dans un contexte géopolitique en pleine mutation.
Bien qu'il soit encore tôt pour faire un bilan complet du Partenariat stratégique intégral signé en octobre 2024, mais observant une intensification des échanges, le professeur Pierre Journoud, spécialisé du Vietnam contemporain, affirme toutefois qu’il s'agit d'une avancée très importante dans le processus d’accumulation de la confiance, de mise en place de mécanismes de dialogue et de coopération entre les deux pays.
Selon lui, l’un des catalyseurs ayant accéléré le processus de signature réside dans la multiplication des visites de haut niveau, notamment celles du ministre des Armées français, Sébastien Lecornu, et de la secrétaire d’État Patricia Miralles, à l’occasion du 70e anniversaire de la victoire de Diên Biên Phu.
Le professeur Journoud souligne l’impact positif que la relation politique bilatérale exerce sur les nouveaux mécanismes de dialogue entre les deux pays, en particulier dans le domaine maritime, un secteur dans lequel le Vietnam et la France ont des intérêts stratégiques clairs, tout comme la visite prochaine d'Emmanuel Macron.
Selon l'historien, de nombreux facteurs favorisent le développement des relations entre la France et le Vietnam dont notamment les facteurs politico-stratégiques. "Nos deux pays convergent sur le plan de l'analyse des grands enjeux internationaux, et en particulier du nécessaire respect du droit international, notamment maritime, mais du respect du multilatéralisme en général".
D’autre part, Pierre Journoud insiste sur la vision commune des deux pays face aux défis mondiaux, et la nécessité de défendre un multilatéralisme qui est battu en brèche par des grandes puissances. Il cite notamment les États-Unis sous l'administration de Trump et d'autres puissances régionales comme la Russie qui "luttent pour modifier cet ordre international et peut-être modifier le multilatéralisme tel qu'on le connaît".
Sur le plan économique, Pierre Journoud note qu'il existe des complémentarités de ces économies qu'il est nécessaire de peut-être mettre plus en valeur pour que les échanges commerciaux soient plus nourris, plus importants.
Au-delà des aspects politiques et économiques, l'historien évoque la dimension historique et culturelle qui unit les deux pays. "Cependant, il y a une mémoire à la fois négative, celle de la guerre, mais que nous avons soldée depuis longtemps, je pense, et une série de visites de nos dirigeants français, à Dien Bien Phu, en particulier, en a témoigné, en voulant tourner cette page du passé et se tourner vers l'avenir", a-t-il remarqué.
Pierre Journoud met également en avant l'importance de la communauté franco-vietnamienne : "Il y a aussi de nombreux Français d'origine vietnamienne, 300 000, 350 000 selon les statistiques, donc ce n'est pas négligeable du tout. Ce sont autant de relais potentiels aussi dans la relation franco-vietnamienne."
Il note également l'intérêt croissant des Français pour le Vietnam : "De plus en plus de Français se rendent aussi au Vietnam, malgré la pandémie, parce que ça avait évidemment freiné les velléités des touristes, mais il y avait une croissance du nombre de touristes français pour découvrir à leur tour ce pays."
Le nombre d'étudiants échangés entre les deux pays augmente également : "On a aussi beaucoup d'étudiants. Alors, on est parti de pas grand-chose, donc c'est vrai que là, c'est de plus en plus visible, des étudiants français qui demandent à découvrir ce pays, et pas seulement des étudiants vietnamiens, qui, assez nombreux d'ailleurs, je crois qu'ils sont 5 000 ou 6 000 en 2024".
Défis à relever
Malgré ces aspects positifs, Pierre Journoud identifie plusieurs défis auxquels les deux pays font face. Il évoque d'abord les défis globaux comme "le défi environnemental, le réchauffement climatique, la montée des eaux du niveau de la mer", particulièrement dans le delta du Mékong, "qui est quand même une préoccupation majeure pour l'économie vietnamienne et, par conséquent, pour les dirigeants vietnamiens". Il souligne que ce défi environnemental concerne également la France qui a aussi noté le niveau de la mer sur beaucoup de côtes.
L'historien évoque également "le défi de la paix dans le monde", où il se dit "frappé par l'activisme du Vietnam sur la scène régionale et internationale pour promouvoir une diplomatie de paix". Il fait un parallèle avec "la diplomatie gaullienne pendant la guerre du Vietnam qui était très active pour tenter d'abréger ce conflit".
En ce qui concerne les relations bilatérales, le principal défi identifié est commercial. "Il y a encore 40 ans, à peu près, nous avions 5-6 parts de marché, pour la France en tout cas, au Vietnam. 5-6% de parts de marché. On est aujourd'hui à 0,5%. C'est dérisoire", constate Pierre Journoud avec regret en précisant : "On est même surclassé par des pays européens qui sont moins puissants que nous. Je ne parle pas de l'Allemagne, mais des Pays-Bas, par exemple, de la Belgique. Il y a quand même un déclassement de la France dans les relations économiques entre les pays européens, pour ne prendre que cela et le Vietnam, qui est frappant".
De plus, il mentionne "un déficit commercial, de la balance commerciale, de 5 milliards à peu près d'euros, je crois, en 2024… Le deuxième déficit, d'ailleurs, après la Chine, je crois, dans la région Asie-Pacifique".
Pour surmonter ces défis, l'historien suggère plusieurs pistes. Il insiste d'abord sur la nécessité de mieux faire connaître le Vietnam aux acteurs économiques et politiques français : "Il me semble que nos dirigeants politiques, mais aussi économiques, les chefs d'entreprises, etc., n'ont pas de culture sur le Vietnam. La culture, elle n'est pas seulement économique, mais elle est aussi civilisationnelle, elle est aussi politique, elle est aussi géopolitique".
Il propose un réseau de personnes intermédiaires qui connaissent bien les deux pays, qui sont actifs dans la coopération entre les deux pays, qui pourraient éclairer des chefs d'entreprise, des parlementaires, des décideurs pour faciliter les échanges.
L'historien pointe également une certaine complaisance du côté français : "Un certain nombre de Français parfois considèrent qu'au Vietnam, on se connaît bien et qu'ils vont assez facilement décrocher le contrat parce que, voilà, on a cette histoire commune, on a cette proximité, etc.". Or, "ils ne savent pas que le Vietnam est avant tout asiatique et qu'il est inséré dans un réseau de relations avec de nombreux partenaires asiatiques de l'Asie du Nord-Est, de l'Asie du Sud-Est."
Pierre Journoud ajoute : "Il faut se battre aussi quand on veut décrocher un contrat. Il faut se battre pour faire connaître nos produits, nos forces, etc. Et je pense que de ce point de vue-là, il y a encore beaucoup à faire."
La visite présidentielle, un moment clé
À propos de la prochaine visite d'Emmanuel Macron au Vietnam, Pierre Journoud la considère comme "très importante". Il rappelle qu'il s'agit du 4e Président français au Vietnam, après François Mitterrand en 1993, Jacques Chirac en 1997 et 2004, et François Hollande en 2016.
Il place cette visite dans une perspective historique, rappelant que si la visite de François Mitterrand en 1993 venait justement clore un chapitre, en ouvrir un nouveau, puisqu'on était encore dans cette histoire très proche des guerres au Vietnam, et en particulier de la guerre d'Indochine, cette visite du président Emmanuel Macron intervient dans un contexte géopolitique transformé. Aujourd'hui, le Vietnam est dans un environnement international et régional très différent. Le Vietnam a désormais "un appétit de coopération internationale, d'engagement diplomatique à l'échelle régionale, internationale, de l'ONU, etc., jusqu'à promouvoir des opérations de maintien de la paix avec, je crois qu'il y en a eu une trentaine, de participation vietnamienne à ces opérations de maintien de la paix depuis que le Vietnam est engagé dans ces opérations, depuis environ une dizaine d'années", observe-t-il.
L'historien mentionne également les changements en Europe, notamment "à cause d'un conflit qu'on est obligé d'aborder aussi, parce que c'est pour nous un conflit inquiétant, qui occupe aussi beaucoup de diplomates et d'experts. C'est la guerre russo-ukrainienne". Dans ce contexte, Pierre Journoud souligne la convergence d'intérêts stratégiques entre la France et le Vietnam : "Je pense que la visite du président français, dans la mesure où on a cette convergence d'intérêts stratégiques, notamment autour du multilatéralisme et du droit international, elle est très importante dans ce monde un peu incertain, un peu anxiogène aussi."
Il voit dans la relation franco-vietnamienne un modèle de réconciliation : "On a connu la guerre entre nos pays, vous avez connu, comme les Vietnamiens, d'autres guerres par la suite, et nous nous sommes réconciliés, je dirais, à la fin de la guerre, très vite, et ensuite dans une logique aussi d'apaisement, d'intermédiation."
Pierre Journoud conclut en mettant en avant la richesse exceptionnelle de la relation bilatérale franco-vietnamienne : "On a la chance d'avoir une relation bilatérale qui est très riche, qui concerne beaucoup de domaines, et ce n'est pas si fréquent."
Selon Pierre Journoud, cette visite présidentielle devrait permettre de "renforcer encore un peu plus ces relations et relever, bien sûr, les défis qu'on a évoqués et pallier les carences, les déficits qu'on a soulignés", laissant entrevoir un avenir prometteur pour les relations franco-vietnamiennes, malgré les défis qui subsistent, notamment sur le plan commercial. -VNA