Les lotus-roi de la pagode Phuoc Kiên
Vieille de 200 ans, la pagode de Phuoc Kiên, dans la commune de Hoa
Tân, district de Châu Thanh, province de Dông Thap, doit son originalité
au "lotus-roi" (appellation locale) qui pousse en abondance dans un
étang sis devant la porte de la pagode.
Le spectacle a
de quoi surprendre : sur la surface de l’eau flottent des dizaines
d’énormes feuilles arrondies, au bord relevé, d’un vert foncé. "La
feuille mesure presque 2 mètres de diamètre, soit dix fois plus que la
normale", précise Thich Huê Tu, 73 ans, le bonze gérant la pagode. Avec
la permission de ce dernier, un visiteur téméraire monte, puis s’assoit
en tailleur sur une feuille sans que celle-ci ne se déchire ou ne coule !
Édifiée au temps du roi Thiêu Tri, il y a presque 200
ans, la pagode Phuoc Kiên a été détruite à maintes reprises pendant les
guerres. Sa dernière reconstruction date de 50 ans, entre 1962 et 1966,
sur l’ancien emplacement entouré des "étangs de cratère de bombe" -
triste vestige de la guerre. L’air méditatif, le bonze Thich Huê Tu
relate l’origine du lotus-roi, qui fait désormais la fierté de ses
moines.
La pagode a connu il y a une vingtaine d’années
un changement étrange, qui a commencé par une grande sécheresse. Après
un an à sec, les étangs se sont remplis en un jour à la suite d’une
crue. Peu de temps après, au sein du plus grand étang situé en face de
la porte de la pagode, sont apparus quelques pieds de lotus aux grandes
fleurs blanches et aux gigantesques feuilles.
"Jamais je
n’ai vu de pareils lotus. Une variété rare mais qui prolifère dans les
étangs de la pagode", déclare le bonze. Et d’ajouter que la population
locale l’a surnommé le "lotus-roi" pour exprimer son admiration. À
présent, rien que dans le grand étang, on compte des dizaines de pieds
entourés de centaines de feuilles.
La feuille du lotus-roi, très épaisse, peut supporter sans problème une personne de 70 kg.
"Chez moi les lotus sont
abondants mais leurs feuilles ne dépassent pas la taille d’un chapeau
conique". Le bonze Thich Huê Tu raconte qu’il y a quelques années, la
pagode a reçu des scientifiques venus de la ville de Cân Tho (delta du
Mékong). Dans le but d’étudier cette curiosité végétale, ils ont demandé
la permission de la multiplier et de la cultiver dans d’autres
endroits. Malgré de multiples tests, ils n’ont jamais réussi. "Il semble
que les étangs de cratère de bombe de la pagode de Phuoc Kiên soient
l’unique site à lotus-roi au Vietnam", observent des experts.
Selon eux, cette espèce spectaculaire est "introuvable ailleurs dans
l’Asie du Sud-Est". Des études laissent savoir qu’il existe aussi en
Afrique et en Amérique du Sud de grands lotus, mais qui appartiennent
certainement à une autre espèce. Car ceux de Phuoc Kiên ont des feuilles
aux couleurs bien différentes.
L’apparition insolite du
lotus-roi à la pagode de Phuoc Kiên a provoqué des discussions animées
parmi les scientifiques. Certains estiment qu’il provient d’une
"mutation génétique", à la suite d’un changement de milieu. Néanmoins,
le "mutant" devrait perdre au fil du temps son caractère dominant pour
retourner à l’état originel en seulement quelques générations. Or,
depuis vingt ans (équivalant à des dizaines de générations), le
lotus-roi reste pareil à lui même, pour ne pas dire que ses feuilles ont
tendance à s’agrandir.
La fleur du lotus-roi n’est pas,
elle, moins admirable. Elle s’épanouit au petit matin et change de
couleur au fur et à mesure de la journée. Blanche à l’aube, elle vire
peu à peu au rose claire vers midi, puis au rose foncé dans
l’après-midi, avant d’être violacée au crépuscule. Le lendemain, la
fleur reprend sa couleur blanche. Et ainsi de suite pendant quatre ou
cinq jours, avant qu’elle ne se fane. En forme de grand bol, le
réceptacle floral du lotus-roi contient des dizaines de grains ovales et
beaucoup plus grands que ceux du lotus habituel.
C’est
en ces termes que le bonze Thich Huê Tu évoque la feuille du lotus-roi.
Selon lui, ce n’est pas un hasard si le lotus-roi est apparu à cette
pagode où, pendant la guerre, lors d’un bombardement américain, 34
bonzes et fidèles bouddhistes de la pagode de Phuoc Kiên ont été tués.
Après avoir atteint le salut, ces âmes ont voulu retourner à leur
pagode, et c’est sur ces feuilles de lotus qu’elles s’assoient pour
méditer. "D’où ce message de Bouddha : pour ceux dévoués au bouddhisme,
la feuille du lotus-roi servira de barque pour les amener au Nirvana",
dit-il. -VNA