Débordé de travail, Me William Bourdon - qui défend Mme Tran To Nga dansle procès contre 26 firmes américaines au Tribunal de grande instanced’Evry - n’a pas pu nous recevoir personnellement, nous les journalistesde l’AVI. Il a délégué ce travail à un collaborateur qui nous a reçuset nous a expliqués les raisons qui les ont conduits, Me William Bourdonet ses collaborateurs, à poursuivre ce combat juridique dans la quêtede justice pour les victimes vietnamiennes de l’agent orange. Voicil’interview en intégralité.
Pourquoi le maître WilliamBourdon et ses collaborateurs ont décidé de plaider pour Mme Tran ToNga, une victime de l’agent orange ?
D’abord, c’est unechance pour toutes les victimes de l’agent orange d’avoir Mme Nga,parce qu’étant donné qu’elle est de nationalité française, cela nouspermet de porter le litige devant le juge français et de faire valoir uncertain nombre de prétentions qui ont vocation à créer unejurisprudence en faveur non seulement de Mme Nga, mais également detoutes les victimes.
L’enjeu est de faire reconnaîtrepar une juridiction française qu’il existe un lien de cause à effet, unlien de causalité entre l’exposition à l’agent orange aux épandages del’armée américaine et toutes les pathologies qui ont été développées àla fois par les militaires américains mais aussi et surtout par lesVietnamiens sur place qui étaient présents spécialement sur les zonesd’épandage. C’est ce lien entre cette décision d’épandage et pathologiesfutures et transgénérationelles qui est l’enjeu de ce litige.
C’est pour cela que nous allons nous battre pour cette lutte historiqueafin de faire reconnaître par une juridiction. Nous avons choisi dedéfendre le cas de Mme Nga à la fois pour elle et pour toutes lesvictimes pour qu’enfin ces dernières aient une jurisprudence favorableaprès plusieurs essais qui ont échoué.
Dans un procèsqui implique les avocats venus de deux systèmes juridiques, voyez-vousdes difficultés pour le déroulement du procès et notamment lesplaidoiries ?
Les difficultés sont celles d’un dossierpar nature complexe, international, avec plusieurs pays en jeu : leVietnam, les Etats-Unis, la France ; puis, c’est devant les jugesfrançais qu’on porte l’action, le litige. C’est complexe, mais toutcela, ce sont des questions classiques de droit international privé, deloi applicable, de responsabilité civile et il y a des questions decompétence juridictionnelle. Mais, c’est la nationalité de Mme Nga quinous donne la réponse, le juge français est compétent pour connaître lelitige.
Il y a une autre question qui est celle de laloi applicable. Il s’agit de savoir quel droit (français, vietnamien ouaméricain) doit être appliqué au litige. Ce sera tout l’enjeu des débatsdevant le juge français au cours de la procédure de mise en état, oùl'on débattra pour savoir quelle est la loi applicable. Cependant, il y ades règles et des raisonnements qui nous permettent de penser que cesera la loi française…, parce qu’une faute ayant entrainé un préjudice,c’est-à-dire celui qui l’a commise, doit réparer l’ensemble despréjudices subis. Nous estimons que les fautifs sont aujourd’huil’ensemble des sociétés qui ont produit et fourni l’agent orange àl’armée américaine.
En tout cas, c’est ce que nousentendons faire valoir et entendons reconnaître par la juridictionfrançaise. Oui, il y a des débats complexes, mais nous avons les armes,les outils pour les traiter devant les juges français.
Jusqu’à maintenant, les tribunaux américains refusent toujours dereconnaître le lien entre l’herbicide que l’armée américaine avaitépandu au Vietnam et les maladies que subissent les victimes de l’agentorange. Pensez-vous que les preuves juridiques et scientifiques que vousavez sont assez solides pour accuser les firmes américaines ?
Oui, nous pensons avoir effectivement les preuves nécessaires etsuffisantes pour les succès de nos prétentions devant le juge français, àla fois scientifiques et techniques. En tout cas, c’est ce que nouscroyons et que nous allons défendre devant le juge français.
Encore une fois, rien n’est sûr à ce stade, parce que le juge ne s’estpas encore prononcé. Je crois que s’il y a un débat aujourd’hui, iln’est pas vraiment sur le lien de causalité entre l’exposition à ladioxine et à l’agent orange et les pathologies qui ont été développées,puisqu’il y a déjà un régime d’indemnisation des vétérans américains parle gouvernement américain et qui bénéficie à tous les soldatsaméricains exposés aux produits chimiques et qui ont développé unecertaine pathologie reconnue comme étant en lien avec une exposition àla dioxine. Donc, la difficulté n’est pas dans l’établissement de celien.
Si les victimes vietnamiennes ont échoué devant lejuge américain, en tous cas, c’est la lecture que j’en ai, la lectureque nous en avons, c’est davantage pour des raisons de procédure et dedroit que pour des raisons de faits et de preuves scientifiques, puisquela preuve du lien, à mon sens, est établie de manière solide entre lespathologies et l’exposition à l’agent orange et encore une fois, c’estce régime d’indemnisation des vétérans américains qui le prouve.
Etes-vous persuadé que ce procès peut rendre justice à Mme Nga et aux victimes de l’agent orange ?
Seul un mauvais avocat vous dirait que le succès est garanti dans cedossier. Mais nous croyons en son succès. Nous avons des prétentions quisont fondées et étayées et nous allons nous battre dans le cadre decette procédure pour répondre de manière aussi solide et argumentée quepossible aux conclusions que nous allons recevoir de la partie adverseavec tous les moyens, toute la batterie de moyens qui vont nous opposer,que ce soit la solvabilité de l’action, toutes les questions de loiapplicable, de compétence juridictionnelle et puis, au fond, sur le liende causalité et l’imputation possible de la faute aux sociétésaméricaines puisqu’un c’est l’un des enjeux de ce procès.
Les sociétés américaines sont-elles fautives ? Nous pensons que oui,parce que nous avons un certain nombre d’éléments qui démontrentqu’elles avaient connaissance de la dangerosité du produit et surtout deses conditions de fabrication au moment où elles l’ont fourni à l’arméeaméricaine, et que cette connaissance de la dangerosité les rendentresponsables d’une faute. Oui, nous avons un certain nombre de pierres,de documents et de raisonnements suffisamment solides pour faire croireaux succès des prétentions de Mme Nga devant les juges françaisaujourd’hui.
Lors des séances de mise en état du 16avril et du 18 juin prochain, le juge a convoqué les avocats desparties demandeuse et de défense. Quel est le but de ces séances detravail ? Quand Mme Nga et les représentants des firmes américainesseront-ils invités au Tribunal ?
Ces deux audiences enavril dernier et celle en juin, ce qu’on appelle des audiences de miseen état où les parties - personnes physiques et morales - ne sont pastenues d’être présentes et ne sont pas convoquées non plus, sont desprocédures à destination uniquement des avocats. Parfois même laprésence des avocats n’est pas nécessaire, c’est simplement une date àlaquelle le juge fait lui-même un point sur le dossier et voit lesdiligences qu’il a à accomplir pour l’une ou l’autre des parties pourfaire avancer la procédure.
L’audience du mois d’avrilétait une première conférence de mise en état du dossier où le juge afait le point sur l’état du dossier et a constaté non seulement lacomplexité du dossier mais également le grand nombre des partiesprésentes. Il y a effectivement 26 sociétés qui ont été assignées. A cejour, 18 ont fait appel aux services d'avocats, celles qui sontprésentes dans la procédure, et huit autres restent encore un peudormantes et silencieuses.
Pour en revenir à cesprocédures de mises en état, l’enjeu est simplement de fixer uncalendrier pour les débats, parce qu’il y a un certain nombre dequestions qui ont été abordées : la recevabilité de l’action, la loiapplicable, le fond du dossier sur le lien de causalité, la faute et lepréjudice suivi par Mme Nga. Donc, tout cela va fait l’objet d’uncalendrier qui va être fixé par le juge pour la mise en état.
C’est précisément l’objet de l’audience du 18 juin prochain. Mme Nga nesera pas présente, mais notre cabinet sera là cette fois pour fixerd’un commun accord avec tous nos confrères et le magistrat le calendrierpour les débats sur le dossier et aborder tous les sujets que je viensd’évoquer. C’est une procédure plutôt technique, juridique,d’administration de la justice. Si la présence des avocats estnécessaire, c’est que la présence des parties n’est pas encorenécessaire à ce stade.
Si tout se déroule à ce rythme là, ce procès va-t-il durer longtemps ?
Oui, c’est un procès qui va s’étaler dans le temps parce qu’encore unefois, l’affaire est complexe. On a un grand nombre de parties, il vafalloir du temps pour répondre aux conclusions, pour défendre ce quenous allons recevoir des parties adverses. Je vous ai dit qu’à ce jour,18 sociétés ont constitué avocats et sont présents dans la procédure.Donc, il y a autant de conclusion en défense et autant de conclusionsauxquelles il faut répondre. Tout cela va s’étaler dans le temps, aumoins sur un an, voire peut-être un an et demi ou deux ans avantaudience de plaidoiries et l’issue de la procédure.
Effectivement, les droits à la défense et la complexité du sujetimposent de prendre du temps pour qu’on puisse échanger sur les pointsdu dossier. L’audience finale de plaidoiries, là où les parties serontprésentes, là où les avocats plaideront les dossiers, l’audience la plusimportante et la plus intéressante pour vous n’aura lieuvraisemblablement pas avant 2016.
Avez-vous eu l’occasion de visiter le Vietnam et de rencontrer des victimes de l’agent orange ?
Nous, les avocats chargés du dossier, sommes allés personnellement àHanoi, rencontrer le personnel de l’Association des victimes de l’agentorange (VAVA) à Hanoi qui nous apporte son soutien dans cette procédureparce que nous nous battons non seulement pour Mme Nga, mais pour toutesles victimes vietnamiennes de l’agent orange. Lorsque nous étions àHanoi, nous avons effectué une visite d’un des villages qui est un peu àla périphérie de Hanoi et accueille des enfants atteints à diversdegrés des pathologies ayant un lien avec l’agent orange. Nous les avonsrencontrés. Ces rencontres là qui aujourd’hui nous motivent, noustouchent pour soutenir cette procédure devant les juges.
Dans les procès aux Etats-Unis, les victimes de l’agent orange -celles qui souffrent des douleurs les plus pénibles - n’ont pas puobtenir la justice. C’est toujours la raison du plus fort qui l’emporte ?
Oui, disons qu'il y a toujours des plus forts et desplus faibles dans cette procédure, indéniablement. Mais la procédureinitiée aux Etats-Unis a eu un mérite, c’est de mobiliser lesconsciences et de sensibiliser l’opinion publique américaine et aussiinternationale autour d’un vrai problème qui est celui de la gestion desconséquences à la fois environnementales et de santé publique auVietnam à cause des épandages réalisés pendant la guerre. Il y a aussiun vrai problème de prise en charge d’indemnisation.
Detoute façon, la procédure initiée aux Etats-Unis n’a pas été inutile, eton en tire encore aujourd’hui le bénéfice, même si nous, aujourd'hui enFrance, cherchons à aller plus loin devant le juge en obtenant cettefois une décision de justice qui le reconnaisse. Ce procès me motiveparticulièrement parce qu’il y a un enjeu historique et internationalimportant.
Cependant, en Europe, et en France en particulier, beaucoup de gens ne sont pas au courant ?
Il y a déjà un travail de sensibilisation qui a été fait. Donc, quandon en parle, on sait de quoi il s’agit, mais je crois que les gens nemaîtrisent pas encore toutes les conséquences concrètes, l’ampleur desconséquences pour le Vietnam et pour la population vietnamienne. Ceprocès peut-être sera l’occasion de sensibiliser encore davantage surdes problèmes liés à l’agent orange et des conséquences très concrèteset de plus en plus importantes que subit le Vietnam du fait de cetteexposition.
Nous sommes tout au début du procès, c’estpourquoi, l’opinion publique n’en est pas vraiment consciente. Mais celaviendra dans un temps avec cette procédure. Je pense effectivementqu’au moment où on aura une audience finale avec les plaidoiries,l’intérêt journalistique augmentera et les gens s’intéresseront à cesquestions.
Ce procès nous motive tous ici, non seulementMe William Bourdon mais aussi les autres collaborateurs qui travaillentsur ce dossier. C’est un combat que nous avons en commun avec lesvictimes vietnamiennes de l’agent orange. -VNA