L’art de la poterie Cham
Hanoï (VNA) - Pour les Cham de Ninh Thuân, la poterie est plus qu’un artisanat, c’est un art à part entière. Cette ethnie, attachée aux méthodes traditionnelles, a conservé la quintessence d’un savoir-faire vieux de plus de 800 ans.
Actuellement, la poterie Cham se pratique principalement dans deux
villages au Centre : Binh Đuc (anciennement appelé Tri Đuc) de la
province de Binh Thuân et Bàu Trúc de celle de Ninh Thuân.
Fondé à la fin du XIIe siècle, Bàu Trúc est considéré comme
l’un des plus anciens villages de céramistes d’Asie du Sud-Est où sont
encore pratiquées les techniques de production les plus traditionnelles.
Le destin y est pour beaucoup dans le développement de la poterie. La
composition des sols du village est un trésor depuis longtemps exploité
au service de cet artisanat. En effet, la rivière Quao est la source
intarissable de terre et de sable fins et souples qui font la
particularité de ses poteries.
La céramique de Bàu Trúc porte en elle une longue histoire. La légende
raconte que cet art a été inculqué tout d’abord aux femmes de la
communauté par un mandarin de l’époque. À Ninh Thuân, ce sont donc les
femmes qui en assument l’étape majeure, celle du modelage, tandis que
les hommes les assistent dans la préparation de l’argile et la cuisson.
Le métier est transmis de mère en fille.
Un travail manuel sans tour de potier
Truong Thi Gach, 80 ans, a appris le métier dès l’âge de 10 ans. "C’est
ma grand-mère qui a transmis le savoir-faire à ma mère qui me l’a
ensuite enseigné et, à mon tour, je l’inculquerai à mes enfants.
Auparavant, le métier n’était pratiqué que par les femmes et les hommes
étaient chargés de ramasser le bois pour la cuisson des céramiques. Mais
aujourd’hui, les hommes participent aussi parfois à l’étape principale", confie-t-elle.
Les poteries de Bàu Trúc sont entièrement faites à la main, ce qui les
différencie également de celles d’autres villages. La fabrication se
divise en plusieurs étapes, la plus importante étant le choix de
l’argile et son traitement car ce procédé effectué avant le modelage
détermine la qualité des produits finis. "L’argile prélevée dans la
rivière Quao est spéciale. Elle est séchée au soleil avant d’être
trempée à nouveau dans de l’eau afin de la rendre plus souple et d’en
éliminer les impuretés. Elle est alors mélangée avec du sable jaune fin
et de l’eau selon des proportions bien précises. Enfin, l’argile est
pétrie avec les pieds afin que le mélange soit souple et élastique à
souhait", explique Truong Thi Gach.
Autre particularité de la poterie de Bàu Trúc, les artisans ne
recourent pas à un tour pour modeler l’objet. En marchant à reculons,
dans le sens des aiguilles d’une montre (c’est-à-dire dans le sens
opposé du travail habituel au Vietnam, ndlr), l’artisane est en
mouvement autour du socle sur lequel repose la boule d’argile à
façonner en vase, en jarre ou en pot. Ensuite, avec une serviette et un
bol d’eau, elle affine l’objet et lui insuffle son élégance. C’est
ensuite l’habileté et l’expérience de l’artisane qui vont décider du
succès de sa création. L’attention est portée aux détails de
l’embellissement et l’incrustation des motifs. D’un marron intense, d’un
rouge foncé ou d’un noir profond, les poteries présentent des couleurs
spécifiques obtenues grâce aux techniques ancestrales de pigmentation à
base d’extraits de noix de cajou et d’autres plantes.
Après les étapes de polissage et de séchage qui durent jusqu’à une
semaine, vient la cuisson. Durant cinq à sept heures, les produits bruts
sont cuits à 900°C dans un four à ciel ouvert. Les créations sont
posées sur une couche de bois et recouvertes de paille. Cette méthode de
cuisson particulière donne aux produits une couleur qui se distingue de
celle des céramiques de Bát Tràng à Hanoï.
À Bàu Trúc, on peut admirer le talent des artisanes, véritables
magiciennes qui insufflent à leurs créations la quintessence de l’esprit
Cham. Pots, vases et statues, les poteries sont unies et ornées de
motifs décoratifs. Mais les produits les plus caractéristiques sont
certainement les vases ocres ou noirs, qui sont la symbiose des
différents éléments : l’argile de la terre, l’eau et le feu.
Un art inhérent à la culture Cham
La poterie Cham est fortement imprégnée des traits culturels de cette
ethnie du Centre. Ses produits sont généralement dévoués aux activités
quoti-diennes : jarres, cruches, marmites ou casseroles, bouilloires,
assiet-tes, vases… La majorité des motifs décoratifs sont également
inspirés de la culture Cham et représentent les rois, femmes ou
danseuses... Bien que les produits de Bàu Trúc soient simples en
apparence, ils sont porteurs d’une grande beauté par leur forme, la
méticulosité de leur processus de fabrication et les éléments liés à la
vie spirituelle de la communauté qu’ils renferment.
Pour les chercheurs, le patrimoine culturel des Cham dans lequel
s’inscrit la poterie est original et présente encore de nombreux
mystères. D’après le Pr.-Dr. Shimoka Sakaya, à la tête d’un groupe de
chercheurs japonais, "les plus anciens villages de céramistes ont
disparu à travers le monde, cependant la poterie Cham subsiste et
préserve le cachet et la beauté d’un savoir-faire vieux de plusieurs
siècles. C’est cette valeur originale qui la rend digne d’être reconnue
par l’UNESCO", souligne-t-il.
Pour sa part, le Professeur américain Leedom Lefferts, qui a passé une
vingtaine d’années à faire des recherches sur la poterie Cham, apprécie
cet art, notamment les techniques de travail à la main et de cuisson en
plein air… "Chaque produit est unique, ce qui fait la différence entre les poteries Cham et les autres écoles".
"On en trouve dans les temples du Nord-Est de la Thaïlande. Leur
présence dans les hauts lieux de culte illustre leur importance
culturelle non seulement en Thaïlande mais dans toute l’Asie du Sud-Est", affirme le Docteur thaïlandais Atthasit Sukkham.
En mars 2019, le Premier ministre Nguyên Xuân Phúc a autorisé le
ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme à élaborer un dossier
sur l’art de la poterie Cham afin de le soumettre à l’UNESCO en vue
d’une reconnaissance en tant que patrimoine culturel immatériel de
l’humanité à sauvegarder d’urgence.
D’après la Docteur Lâm Thi My Dung, de l’Institut national de la
culture, la poterie est la "clé" dans les recherches sur la culture
Cham, afin de mieux comprendre la riche vie matérielle et spirituelle de
cette communauté. - CVN/VNA