Six décennies après la bataille de Diên Biên Phu, la France ne doit pas oublier les leçons de l’histoire. Alain Ruscio, un historien français, a accordé une interview à l’Agence Vietnamienne d’Information à l’occasion du 60e anniversaire de cet évènement.
En 1954, le corps expéditionnaire fran-çais a subi une défaite cuisante à Diên Biên Phu. D’après vous, la France organisera-t-elle une activité commémorative ou de rappel de l’histoire à l’occasion du 60e anniversaire de cet événement ?
Pour la France officielle, pour le gouvernement français, pour les ministères et les gens qui restent dans le registre de la nostalgie coloniale, Diên Biên Phu est vraiment une défaite. Ils n’ont donc aucune raison de célébrer cet événement. Mais pour le peuple français, Diên Biên Phu est avant tout une défaite du colonialisme et non pas de la France en tant que telle. La France a mené en Indochine une guerre qui n’avait pas de fondement, pas de justification nationale. En ce qui me concerne, je considère que Diên Biên Phu est une défaite des milieux politiques et militaires français qui n’avaient rien compris aux désirs d’indépendance du peuple vietnamien, et qui ont essayé jusqu’au bout de maintenir le système colonial au prix même de la vie de plusieurs milliers de soldats français.
Donc, je pense qu’il n’y aura pas de célébration officielle, mais il y aura une réflexion, par exemple chez les historiens sur la signification de Diên Biên Phu. La conférence sur le général Giap et le 60e anniversaire de la bataille de Diên Biên Phu organisé au musée de l’Histoire vivante en est un exemple. Le récit fait par Claude Blanchemaison, ancien ambassadeur de France au Vietnam, sur ses rencontres avec le général Giap s’inscrit dans cette réflexion. Le général Giap souhaitait que le Vietnam et la France renforcent leur amitié. Il faut bien comprendre que celui qui était commandant en chef de l’Armée populaire du Vietnam lors de la bataille de Diên Biên Phu était par ailleurs très attaché à l’amitié avec la France. Cela prouve que nos deux peuples ne sont pas ennemis, ils aiment l’un et l’autre la paix et la justice.
Croyez-vous que les Français gardent encore un certain complexe vis-à-vis de ce débâcle ? Pourriez-vous nous parler du soutien du peuple français à l’égard de la lutte pour l’indépendance du peuple vietnamien ?
Pendant les années 1946-1954, la politique de la France était face à plusieurs orientations, plusieurs courants politiques. Certains voulaient rester en Indochine à tout prix. Mais la population française dans sa majorité désapprouvait les manœuvres colonialistes et éprouvait de l’amitié pour le peuple vietnamien. Il y eut dès 1948 des manifestations, des distributions de tracts, des meetings, des protestations, plus tard des grèves par exemple pour refuser de charger les armes pour les bateaux à destination de l’Indochine. Cette lutte était symbolisée par des communistes comme Henri Martin et Raymonde Dien, et aussi par des intellectuels de gauche comme Jean-Paul Sartre. Ce sont eux qui ont dénoncé le plus durement la guerre coloniale au Vietnam. Le peuple français, quant à lui, désapprouvait cette guerre.
D’après vous, quelle est la signification de la victoire de Diên Biên Phu ?
La bataille de Diên Biên Phu a été un élément déclencheur de la prise de conscience d’un grand mouvement des peuples dans le monde. Avant Diên Biên Phu, la lutte du peuple vietnamien a été observée de très près par les peuples colonisés, notamment ceux de l’empire française, à savoir, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Africains en général. Ils ont regardé le Vietnam avec beaucoup d’espoir parce qu’il leur semblait que ce qui se jouait là-bas dépassait largement les frontières du Vietnam. Diên Biên Phu a été la preuve pour ces peuples qu’il était possible de vaincre le colonialisme français, militairement ou politiquement. Cette victoire a été saluée, accueillie avec joie par les colonisés de l’empire française et reçue comme l’annonce d’une libération prochaine. Les témoignages ne manquent pas : l’insurrection en Algérie a été commencée seulement six mois après Diên Biên Phu. Cette bataille a eu une répercussion dans le monde entier.
Dans la bataille de Diên Biên Phu, qu’est-ce qui vous a impressionné le plus ?
Ce qui m’a beaucoup impressionné c’est la capacité de l’armée populaire vietnamienne de relever le défi de l’armée française, la capacité du peuple vietnamien de faire face à toutes les hypothèses, toutes les éventualités, grâce en particulier au génie d’adaptation stratégique du général Vo Nguyên Giap.
Diên Biên Phu a été choisi par l’État-major de l’armée française qui voulait tendre un piège pour les adversaires. Tous les experts français, militaires ou politiques, considéraient que Diên Biên Phu était imprenable, parce que l’armée française possédait une nette supériorité en hommes et en armes, avec des centaines de canons, des milliers de cartouches, des milliers de soldats. Aucun stratège français à l’époque n’a imaginé que les porteurs vietnamiens pouvaient amener jusqu’en haut des collines des pièces d’artillerie, que l’alimentation des bộ đội (soldats) pourrait se faire par dizaine de milliers...
La quasi totalité du monde politique français et du monde gouvernemental français a sous-estimé la capacité de résistance du peuple vietnamien. Les colonialistes et leurs porte-parole pensaient qu’il suffisait de taper très fort pour écraser le peuple vietnamien. Mais, ils n’avaient pas tout simplement compris que la guerre populaire pouvait mobiliser des énergies assez grandes pour déjouer ces plans. Soixante années plus tard, c’est cela qui reste le plus marquant.
Soixante ans est une longue période qui nous permet de mieux voir ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter. Que pensez-vous de l’absurdité de la guerre et de l’importance de préserver la paix dans le monde ?
Le combat pour la paix est un combat toujours d’actualité. Il ne faut jamais accepter les guerres quelles qu’elles soient. Il y a bien sûr des guerres justes, par exemple, des guerres de libération nationale, des guerres de résistance contre le colonialisme et l’impérialisme. Dans le monde d’aujourd’hui, il y a encore des menaces, des interventions en Afghanistan, en Irak, ou des menaces d’intervention en Syrie… Nous devons tout faire pour préserver la paix dans le monde.
Concernant les relations avec le Vietnam, je peux dire que les peuples français et vietnamien n’ont jamais voulu cette guerre, que je suis très heureux de constater que 60 ans plus tard, les relations entre les deux pays, entre les deux peuples, sont excellentes. Il y a désormais le partenariat stratégique entre la France et le Vietnam. Cependant, la France doit garder la mémoire de l’histoire, en particulier, l’histoire coloniale. Dans ce sens là, Diên Biên Phu est un avertissement à toute tentative de s’ingérer dans les affaires d’autrui, il envoie en même temps un message de la paix. Il nous recommande de tout faire pour œuvrer pour les meilleures relations de demain. -VNA
En 1954, le corps expéditionnaire fran-çais a subi une défaite cuisante à Diên Biên Phu. D’après vous, la France organisera-t-elle une activité commémorative ou de rappel de l’histoire à l’occasion du 60e anniversaire de cet événement ?
Pour la France officielle, pour le gouvernement français, pour les ministères et les gens qui restent dans le registre de la nostalgie coloniale, Diên Biên Phu est vraiment une défaite. Ils n’ont donc aucune raison de célébrer cet événement. Mais pour le peuple français, Diên Biên Phu est avant tout une défaite du colonialisme et non pas de la France en tant que telle. La France a mené en Indochine une guerre qui n’avait pas de fondement, pas de justification nationale. En ce qui me concerne, je considère que Diên Biên Phu est une défaite des milieux politiques et militaires français qui n’avaient rien compris aux désirs d’indépendance du peuple vietnamien, et qui ont essayé jusqu’au bout de maintenir le système colonial au prix même de la vie de plusieurs milliers de soldats français.
Donc, je pense qu’il n’y aura pas de célébration officielle, mais il y aura une réflexion, par exemple chez les historiens sur la signification de Diên Biên Phu. La conférence sur le général Giap et le 60e anniversaire de la bataille de Diên Biên Phu organisé au musée de l’Histoire vivante en est un exemple. Le récit fait par Claude Blanchemaison, ancien ambassadeur de France au Vietnam, sur ses rencontres avec le général Giap s’inscrit dans cette réflexion. Le général Giap souhaitait que le Vietnam et la France renforcent leur amitié. Il faut bien comprendre que celui qui était commandant en chef de l’Armée populaire du Vietnam lors de la bataille de Diên Biên Phu était par ailleurs très attaché à l’amitié avec la France. Cela prouve que nos deux peuples ne sont pas ennemis, ils aiment l’un et l’autre la paix et la justice.
Croyez-vous que les Français gardent encore un certain complexe vis-à-vis de ce débâcle ? Pourriez-vous nous parler du soutien du peuple français à l’égard de la lutte pour l’indépendance du peuple vietnamien ?
Pendant les années 1946-1954, la politique de la France était face à plusieurs orientations, plusieurs courants politiques. Certains voulaient rester en Indochine à tout prix. Mais la population française dans sa majorité désapprouvait les manœuvres colonialistes et éprouvait de l’amitié pour le peuple vietnamien. Il y eut dès 1948 des manifestations, des distributions de tracts, des meetings, des protestations, plus tard des grèves par exemple pour refuser de charger les armes pour les bateaux à destination de l’Indochine. Cette lutte était symbolisée par des communistes comme Henri Martin et Raymonde Dien, et aussi par des intellectuels de gauche comme Jean-Paul Sartre. Ce sont eux qui ont dénoncé le plus durement la guerre coloniale au Vietnam. Le peuple français, quant à lui, désapprouvait cette guerre.
D’après vous, quelle est la signification de la victoire de Diên Biên Phu ?
La bataille de Diên Biên Phu a été un élément déclencheur de la prise de conscience d’un grand mouvement des peuples dans le monde. Avant Diên Biên Phu, la lutte du peuple vietnamien a été observée de très près par les peuples colonisés, notamment ceux de l’empire française, à savoir, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Africains en général. Ils ont regardé le Vietnam avec beaucoup d’espoir parce qu’il leur semblait que ce qui se jouait là-bas dépassait largement les frontières du Vietnam. Diên Biên Phu a été la preuve pour ces peuples qu’il était possible de vaincre le colonialisme français, militairement ou politiquement. Cette victoire a été saluée, accueillie avec joie par les colonisés de l’empire française et reçue comme l’annonce d’une libération prochaine. Les témoignages ne manquent pas : l’insurrection en Algérie a été commencée seulement six mois après Diên Biên Phu. Cette bataille a eu une répercussion dans le monde entier.
Dans la bataille de Diên Biên Phu, qu’est-ce qui vous a impressionné le plus ?
Ce qui m’a beaucoup impressionné c’est la capacité de l’armée populaire vietnamienne de relever le défi de l’armée française, la capacité du peuple vietnamien de faire face à toutes les hypothèses, toutes les éventualités, grâce en particulier au génie d’adaptation stratégique du général Vo Nguyên Giap.
Diên Biên Phu a été choisi par l’État-major de l’armée française qui voulait tendre un piège pour les adversaires. Tous les experts français, militaires ou politiques, considéraient que Diên Biên Phu était imprenable, parce que l’armée française possédait une nette supériorité en hommes et en armes, avec des centaines de canons, des milliers de cartouches, des milliers de soldats. Aucun stratège français à l’époque n’a imaginé que les porteurs vietnamiens pouvaient amener jusqu’en haut des collines des pièces d’artillerie, que l’alimentation des bộ đội (soldats) pourrait se faire par dizaine de milliers...
La quasi totalité du monde politique français et du monde gouvernemental français a sous-estimé la capacité de résistance du peuple vietnamien. Les colonialistes et leurs porte-parole pensaient qu’il suffisait de taper très fort pour écraser le peuple vietnamien. Mais, ils n’avaient pas tout simplement compris que la guerre populaire pouvait mobiliser des énergies assez grandes pour déjouer ces plans. Soixante années plus tard, c’est cela qui reste le plus marquant.
Soixante ans est une longue période qui nous permet de mieux voir ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter. Que pensez-vous de l’absurdité de la guerre et de l’importance de préserver la paix dans le monde ?
Le combat pour la paix est un combat toujours d’actualité. Il ne faut jamais accepter les guerres quelles qu’elles soient. Il y a bien sûr des guerres justes, par exemple, des guerres de libération nationale, des guerres de résistance contre le colonialisme et l’impérialisme. Dans le monde d’aujourd’hui, il y a encore des menaces, des interventions en Afghanistan, en Irak, ou des menaces d’intervention en Syrie… Nous devons tout faire pour préserver la paix dans le monde.
Concernant les relations avec le Vietnam, je peux dire que les peuples français et vietnamien n’ont jamais voulu cette guerre, que je suis très heureux de constater que 60 ans plus tard, les relations entre les deux pays, entre les deux peuples, sont excellentes. Il y a désormais le partenariat stratégique entre la France et le Vietnam. Cependant, la France doit garder la mémoire de l’histoire, en particulier, l’histoire coloniale. Dans ce sens là, Diên Biên Phu est un avertissement à toute tentative de s’ingérer dans les affaires d’autrui, il envoie en même temps un message de la paix. Il nous recommande de tout faire pour œuvrer pour les meilleures relations de demain. -VNA