Dien Bien Phu vue par un historien francais hinh anh 1L'historien Alain Ruscio.

Hanoi (VNA) - À l’occasion du 65e anniversaire de la bataille de Diên Biên Phu, l'Agence vietnamienne d'information (VNA) a interviewé l'historien Alain Ruscio pour mieux comprendre la défaite de la France, ses conséquences, ainsi que les actuels liens franco-vietnamiens.

Soixante-cinq ans après la bataille de Diên Biên Phu, en tant qu’historien ayant réalisé des études historiographiques à propos de cette guerre, comment analysez-vous la défaite de la France?

Lorsque la France coloniale a entrepris la reconquête de l’Indochine, dès septembre 1945, les partisans de la guerre étaient certains de l’écrasement du Viêt Minh (Front de l’indépendance pour le Vietnam, ndlr) en quelques semaines. Mais, ils avaient sous-estimé l’attachement du peuple vietnamien à l’indépendance. Malgré la différence des forces en présence, le gouvernement dirigé par Hô Chi Minh a mis sur pied une armée populaire, sous l’impulsion géniale de Vo Nguyên Giap, jusqu’à la bataille finale de Diên Biên Phu.

Il faut également souligner la portée internationale de Diên Biên Phu. Dans tout l’Empire français, et sans doute bien au-delà, les colonisés, les peuples soumis, ont salué cette victoire comme la leur. La preuve avait été faite qu’un peuple uni, déterminé à lutter pour son indépendance, pouvait vaincre une grande puissance occidentale.

Quelles sont vos remarques sur les conséquences dévastatrices de cette guerre sur les soldats français et leurs familles?

Tout au long de son histoire, le colonialisme a fait des millions de victimes. D’abord parmi les peuples soumis à la domination française. Mais aussi pour les soldats qui partirent aux "quatre coins du monde" pour défendre des intérêts qui n’étaient pas les leurs. La guerre d’Indochine est un exemple parfait de cette histoire. Quels intérêts français, quelles libertés pouvaient bien défendre des soldats à 12 ou 15.000 km de la France? On s’en aperçut vite dès que la guerre d’Indochine devint un des fronts de la guerre froide. Dès 1950, la France devint la représentante de l’impérialisme dans la région. Les 100.000 hommes du corps expéditionnaire, dont 20.000 Français, qui y perdirent la vie furent eux aussi des victimes de ce conflit. Quant à ceux qui survécurent, ils gardèrent longtemps des séquelles physiques et psychologiques. Encore une fois: pour quelle cause?   

La guerre d’Indochine a fait couler beaucoup d’encre. Quels furent, selon vous, les changements géopolitiques du système colonial français dans le monde, en particulier en Indochine, après la victoire de Diên Biên Phu?

Après Diên Biên Phu (mai 1954), puis Genève (juillet), la France n’avait plus d’intérêts en Extrême-Orient. Les nouveaux maîtres, les Américains, et leurs alliés, le gouvernement Ngô Dinh Diêm, le leur firent vite comprendre. Mais, de toute façon, la France entreprit vite une nouvelle guerre coloniale, en Algérie (novembre 1954). Le colonialisme français reporta alors tous ses efforts sur ce nouveau front… avec, à terme, les mêmes conséquences, l’indépendance de l’Algérie (juillet 1962).

Actuellement, la France et le Vietnam entretiennent des liens très étroits dans tous les domaines (politique, défense, économie, éducation, culture…). En 2018, les deux pays ont célébré le 45e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques et le 5e de leur partenariat stratégique. Quels sont vos avis concernant ces changements dans les relations bilatérales?

Longtemps, la politique française a gardé l’esprit de guerre froide. Seul le général de Gaulle, un temps, a sauvé l’honneur de la diplomatie française en condamnant fermement la politique américaine d’agression (discours de Phnom Penh, 1966). Mais il a bien fallu, après avril 1975, que la France comprenne que désormais le Vietnam était indépendant et unifié. Malgré bien des hésitations, le pas a enfin été franchi. Aujourd’hui, les relations entre les deux pays sont excellentes. Ceux qui, comme moi, ont agi depuis des décennies pour que la France reconnaisse les réalités du Vietnam et de l’ensemble de l’Asie du Sud-Est s’en réjouissent. -CVN/VNA