Ces karatékas paysans mettent les idées reçues au tapis
Un jour de fin 2005, Thêm
conduit sa fille au dojo du maître Lê Minh Khôi, et demande d’y inscrire
sa fille. Demande acceptée. C’est ainsi que la mère se retrouve
plusieurs fois par semaine au bord du tatami, observant d’un œil
intéressé les entraînements. Et puis un jour, elle interpelle le maître
Khôi et lui demande : « Moi aussi, j’aimerais pratiquer, mais j’ai peur
d’être un peu trop vieille, qu’en pensez-vous ? ». Regardant la femme de
42 ans, le maître Khôi est un peu interloqué: « Pourquoi voulez-vous
apprendre le karaté, ici il n’y a que des enfants et adolescents!».
Thêm lui répond du tac au tac : « J’ai une histoire personnelle
compliquée, maître, laissez-moi apprendre s’il vous plaît». À ce
moment, le maître pense que la quadragénaire manigance une vengeance
contre quelqu’un mais, curieusement, l’accepte dans son dojo!
Sept ans plus tard, Lê Minh Khôi se souvient encore de cette première
rencontre : « Compte tenu des motivations douteuses, j’aurais dû
refuser. Mais le karaté est pour tous. Refuser, c’était contraire à
l’esprit de ce sport».
Comme Thêm, beaucoup de paysans du
district de Bao Lâm se sont mis au karaté, en dépit d’un âge avancé et
d’un passé de non sportif. Certains se sont décidés en voyant Thêm sur
le tatami. Planteurs de café, riziculteurs ou éleveurs le jour, ils
enfilent leur kimono le soir.
Dans le dojo de maître
Khôi, le plus vieux pratiquant a 52 ans. Il s’y est mis pour faire
comme ses enfants et petits-enfants. « Quand je leur disais d’être
studieux à l’école, ils ne m’écoutaient pas. Alors j’ai décidé de venir
au dojo pour renforcer mon aura. Maintenant, ils m’écoutent !».
Le karaté, une école de vie et de savoir-vivre
Histoire d’épater la galerie, le maître Khôi prend deux chaînes de 5
kg et enserre le cou d’un de ses élèves. Quatre karatékas tiennent les
quatre extrémités, et tirent, d’abord légèrement puis de plus en plus
fort. La personne au centre doit contracter toutes les parties de son
corps pour résister. À ce petit jeu, Thêm est l’une des plus fortes. La
presque quinquagénaire considère qu’elle a beaucoup changé en sept ans. «
Avant j’avais assez mauvais caractère, je m’emportais facilement, et
alors plus rien ne m’arrêtais. Maintenant, ce n’est plus le cas, même
mon mari est surpris !», confie-t-elle. « J’ai d’ailleurs envie de lui
apprendre le karaté dès que possible», ajoute-t-elle.
Khôi a tenu à présenter un élève de 21 ans, Hoà, qu’il qualifie de
«pratiquant spécial». «C’est un gars très doué, doux mais très percutant
dans les combats. Dans sa famille, c’est le pilier, il a beaucoup de
responsabilités. Il travaille dans une plantation de café lui aussi». Il
poursuit : « Avant, c’était un bagarreur. Il s’est mis au karaté pour
devenir une sorte de petit caïd local ». À ce moment, Hoà vient de finir
une série de coups de pied dans un sac de sable. « Maintenant, la
castagne c’est fini. Mais si on vient me chercher, c’est sûr que je
répliquerai sans états d’âme ».
« Bientôt, je vais ouvrir un
nouveau dojo, et Hoà sera l’entraîneur, confie maître Khôi. Mon but,
c’est de donner plus de confiance en eux aux gens, pour qu’ils vivent
leur vie de manière plus libre. S’ils trébuchent, ils pourront plus
facilement se relever». - AVI