Un moustique programmé pour lutter contre la dengue
Début avril, plus de 8.000 larves de moustiques infectées par Wolbachia , une bactérie capable de stopper la contagion de la dengue, ont été apportées aux 800 foyers vivant sur l'île de Trí Nguyên, quartier de Vinh Nguyên, ville de Nha Trang, province de Khánh Hoà (Centre).
" C'est la
première fois au Vietnam que les scientifiques testent le renouvellement
des populations de moustiques naturelles par une nouvelle incapable de
transmettre le virus de la dengue ", informe le Dr Trân Nhu Duong,
directeur adjoint de l'Institut central d'hygiène et d'épidémiologie.
Le Vietnam est le 2 e pays au monde à tester cet agent biologique,
après une étape de tests à moyenne échelle qui a d'ores et déjà été
menée dans deux villes australiennes, avec succès.
Le virus de
la dengue, qui fait partie de la famille des flavivirus, est transmis
par des moustiques du genre Aedes , le plus souvent Aedes aegypti . Il
n’existe ni vaccin, ni médicament préventif pour cette maladie qui
touche plus de 50 millions de personnes dans une centaine de pays, et
les répulsifs sont soumis à controverse. D’où l’intérêt que la
communauté scientifique porte à ce virus.
Soixante collaborateurs du projet sont tous des habitants locaux.
Wolbachia est
une bactérie intracellulaire présente naturellement chez plus de 70% des
insectes (notamment des arthropodes). De nombreux travaux scientifiques
ont montré qu’elle était capable d’avoir une influence très importante
sur les organismes qu’elle habite, voire sur ceux qui l’entourent. Elle
est notamment capable de manipuler son hôte, afin qu’il ne donne
naissance qu’à des femelles par exemple. Ainsi, " le remplacement
complet des moustiques +Aedes aegypti+ naturels par ceux infectés par
+Wolbachia+ permettra de réduire considérablement le risque de
propagation de cette épidémie ", estime le Dr Trân Nhu Duong.
C'est
la raison pour laquelle le Vietnam participe au projet d'envergure
mondiale d'étude sur l'applicabilité de moustiques porteurs de
Wolbachia pour la prévention et la lutte contre la dengue, mis à
l'essai depuis 2006 en Australie. Le projet a été approuvé par le
ministère de la Santé et accepté par la province de Khánh Hoà. Et "l'île
des moustiques" Trí Nguyên est devenu la première localité du pays à
expérimenter ce programme très spécial. " Le programme ouvrira la
possibilité de lutter efficacement contre la dengue non seulement à
Khánh Hoà, mais aussi dans l’ensemble du pays ", s’enthousiasme le Dr Lê
Huu Tho, directeur adjoint du Service provincial de la santé.
800 familles engagées dans l'expérimentation
D'après
le Dr Trân Nhu Duong, directeur adjoint de l'Institut central d'hygiène
et d'épidémiologie, le procédé de lâcher de larves de moustiques dure
trois mois. Une fois par semaine, 60 collaborateurs du projet - tous des
habitants locaux - se plient à cet exercice dans les 800 foyers. Les
moustiques infectés par Wolbachia se croiseront avec les moustiques
"indigènes". " Et l'objectif des scientifiques est qu'à l'issue de 13
semaines, Trí Nguyên ait une nouvelle population de moustiques capable
de réduire la transmission et la propagation de la dengue à l’homme ",
précise-t-il.
À moins de 15 minutes en bateau du port de Nha
Trang, Trí Nguyên est une île isolée. Sa situation géographique
particulière est, de fait, la cible des scientifiques dans la recherche
pour donner naissance aux moustiques portant une bactérie
antitransmission. " Le choix de l'île de Trí Nguyên pour la mise en
œuvre du projet d'expérimentation s’est imposé non pas nécessairement
pour son nombre élevé de moustiques, mais parce qu'elle présente des
conditions favorables : nombre restreint d'habitants, faible superficie,
isolement par rapport au continent sans en être toutefois trop éloignée
", analyse le médecin Nguyên Van Hai, directeur du Centre de médecine
préventive de Khánh Hoà.
Afin de s’assurer que la sécurité en
matière de santé publique soit garantie sur l'île, l'ensemble des 3.000
habitants locaux ont fait l'objet d'une consultation médicale générale
avant la mise en route du projet fin mars dernier. La deuxième
consultation sera effectuée lorsque le projet aura pris fin, en 2015.
Selon la feuille de route, trois mois après le premier lâcher,
les larves infectées par la bactérie Wolbachia deviendront de nouveaux
moustiques à même de se reproduire et donc de se multiplier en
"contaminant" leurs congénères sur l'île de Trí Nguyên. " Non seulement
les moustiques infectés ne transmettront plus le virus de la dengue,
mais ils transmettront la bactérie à leur progéniture, qui en fera de
même et ainsi de suite, contaminant ainsi tous les moustiques de l’île
", affirme le docteur Nguyên Van Hai.
D'après Simon Kutcher, expert au sein de l'organisation Family Health International (FHI), suite aux excellents résultats des premiers essais observés dans deux villes australiennes, le gouvernement de ce pays a décidé de multiplier les lâchers de ces larves dans cinq nouvelles localités entre 2012 et 2013. Ce programme d'expérimentation est également déployé dans d'autres pays comme la Chine ou le Brésil. Singapour s’active pour ses préparatifs.
Les chiffres de la maladie
Le Vietnam
est l'un des huit pays d'Asie à déplorer le taux le plus élevé de cas de
dengue et de décès causés par ses suites. Cette épidémie a une forte
tendance croissante ces dernières années et se propage dans le Centre et
le Sud. Chaque année, le pays enregistre 70.000-100.000 nouveaux cas,
lesquels entraînent 60-90 décès, et 100 milliards de dôngs sont
consacrés aux activités de prévention et de lutte contre ce virus, ainsi
qu'au traitement des patients.
Depuis le début de cette année,
le pays a enregistré 10.847 cas dans 40 provinces et villes, dont 10
mortels. Par rapport à la même période de 2012 (10.307 cas, dont 7
décès), le nombre de cas a augmenté de 5,2%. -VNA