L'histoire en marche : de Gaulle et Hô Chi Minh
Le premier a quitté le monde en 1970, un an après le Président du
Vietnam. Ils ont tous deux redonné la liberté à leur pays et sont
honorés comme grands patriotes, stratèges politiques lucides et hommes
de culture.
Jean Lacouture, biographe de de Gaulle et de
Hô Chi Minh, pense que ces deux éminentes figures de l'histoire
mondiale du 20e siècle nourrissaient l'un pour l'autre une profonde
estime bien qu'ils ne se soient jamais rencontrés et qu'au début leurs
positions politiques soient diamétralement opposées.
En
janvier 1944, à la conférence de Brazzaville, réunissant les gouverneurs
des colonies françaises d'Afrique Noire, de Gaulle définit un nouveau
statut des territoires de l'Empire tout en affirmant la nécessité pour
son pays de préserver l'intégrité de cette immense base coloniale.
En juillet 1945, il achève de créer le CEFEO (Corps expéditionnaire
français en Extrême-Orient) commandé par Leclerc, destiné à libérer
l'Indochine française occupée par les Japonais. Mais au début d'août, il
y a eu la reddition japonaise. Leclerc n'a plus que la mission de
rétablir la souveraineté française en Indochine.
En
route pour l'Indochine, il fait écale le 22 août à Ceylan où le vice-roi
des Indes Lord Mountbatten lui donne un conseil : "Reconquérir
l'Indochine, ce n'est pas sérieux. Le monde a changé !" (d'après J.M.
Gaillard).
Leclerc arrive à Saigon le 5 octobre. Il
occupe rapidement le Vietnam au Sud du 16e parallèle. Mais se rendant
compte du prestige national de Hô Chi Minh qui a rassemblé son peuple
depuis la révolution d'Août et la proclamation de l'Indépendance (2
septembre), il est décidé à négocier avec lui. Les pourparlers échouent ;
le haut-commissaire en Indochine d'Argenlieu ayant obtenu le limogeage
de Leclerc dont le patron de Gaulle avait quitté le pourvoir en janvier
1946. C'est ainsi que la guerre franco-vietnamienne éclate la nuit du 19
décembre 1946. Hô Chi Minh rédige alors un Appel à la résistance
nationale, message diffusé le 20 décembre par la Voix du Vietnam :
"Compatriotes dans tout le pays
Par amour de la paix, nous avons fait des concessions. Mais plus nous
en faisons, les colonialistes en profitent pour empiéter sur nos droits.
Leur intention évidente est de reconquérir à tout prix notre pays.
Non ! Plutôt tout sacrifier que perdre notre pays, retomber dans l'esclavage !
Compatriotes, debout !
Que tous les Vietnamiens, hommes et femmes, jeunes et vieux, sans
distinction de religion, de parti, de nationalité, se dressent pour
combattre les colonialistes français, pour sauver la patrie !
Entrez dans la lutte avec tous les moyens dont vous disposez. Que celui
qui a un fusil se serve de son fusil, que celui qui a une épée se serve
de son épée, et si l'on n'a pas d'épée, qu'on prenne des pioches et des
bâtons ! Que chacun mette soutes ses forces à combattre le colonialisme
pour sauver la patrie !
Combattants de l'armée régulière, des formations de l'autodéfense, des milices populaires !
L'heure est venue de nous lever ! Nous devons sacrifier jusqu'à la dernière goutte de sang pour défendre le pays.
Puissions-nous subir les plus dures privations et les pires souffrances, soyons prêts à tous les sacrifices.
Nous vaincrons.
Vive le Vietnam indépendant et unifié. Vive la résistance victorieuse !".
Cet appel vibrant, pathétique de Hô Chi Minh, qui respire la fermeté et
la confiance en soi et en son peuple, nous fait penser à l'Appel à tous
les Français du général de Gaulle, diffusé le 18 juin 1940 par la BBC,
deux jours, après la reddition pétainiste.
"À tous les Français
La France a perdu une bataille ! Mais la France n'a pas perdu la guerre !
Des gouvernants de rencontre ont pu capituler, cédant à la panique,
oubliant l'honneur, livrant le pays à la servitude. Cependant, rien
n'est perdu ! Rien n'est perdu, parce que cette guerre est une guerre
mondiale. Dans l'univers libre, des forces immenses n'ont pas encore
donné. Un jour, ces forces écraseront l'ennemi. Il faut que la France,
ce jour-là, soit présente à la victoire. Alors, elle retrouvera sa
liberté et sa grandeur. Tel est mon but, mon seul but !
Voilà pourquoi je convie tous les Français, où qu'ils se trouvent, à
s'unir à moi dans l'action, dans le sacrifice et dans l'espérance. Notre
patrie est en péril de mort. Luttons tous pour la sauver ! Vive la
France !".
Le résistant anti-nazi de Gaulle ne pourrait ne pas apprécier le résistant anti-colonialeste Hô Chi Minh.
De Brazzaville à Phnom Penh, la conviction décolonisatrice chez de
Gaulle s'affirme et se renforce avec les événements et le temps.
La Déclaration au gouvernement provisoire de la République française
présidé par de Gaulle (24 mars 1945) est, selon Messmer, "un programme
inacceptable de recolonisation", puisqu'il envisage un Vietnam au sein
d'une Indochine française coiffée par un gouverneur général. Il semble
que de Gaulle s'est ravisé, puisqu'il a l'intention de faire revenir au
Vietnam le roi exilé Duy Tân : le projet ne sera pas réalisé, car ce
dernier a trouvé la mort dans un accident d'avion.
C'est
à Phnom Penh le 2 septembre 1966, lors de l'intervention accrue de
Washington au Vietnam et au Cambodge, que de Gaulle exprime clairement
sa conversion anti-colonialiste : "Il n'y a d'autre part aucune chance
pour que les peuples d'Asie se soumettent à la loi de l'étranger venu de
l'autre rive du Pacifique, quelles que puissent être ses intentions et
si puissantes que soient ses armes". -AVI