Selon le chercheur Huu Ngoc, De Gaulle et Hô Chi Minh ont vu le jour la même année, en 1890.

Le premier a quitté le monde en 1970, un an après le Président du Vietnam. Ils ont tous deux redonné la liberté à leur pays et sont honorés comme grands patriotes, stratèges politiques lucides et hommes de culture.

Jean Lacouture, biographe de de Gaulle et de Hô Chi Minh, pense que ces deux éminentes figures de l'histoire mondiale du 20e siècle nourrissaient l'un pour l'autre une profonde estime bien qu'ils ne se soient jamais rencontrés et qu'au début leurs positions politiques soient diamétralement opposées.

En janvier 1944, à la conférence de Brazzaville, réunissant les gouverneurs des colonies françaises d'Afrique Noire, de Gaulle définit un nouveau statut des territoires de l'Empire tout en affirmant la nécessité pour son pays de préserver l'intégrité de cette immense base coloniale.

En juillet 1945, il achève de créer le CEFEO (Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient) commandé par Leclerc, destiné à libérer l'Indochine française occupée par les Japonais. Mais au début d'août, il y a eu la reddition japonaise. Leclerc n'a plus que la mission de rétablir la souveraineté française en Indochine.

En route pour l'Indochine, il fait écale le 22 août à Ceylan où le vice-roi des Indes Lord Mountbatten lui donne un conseil : "Reconquérir l'Indochine, ce n'est pas sérieux. Le monde a changé !" (d'après J.M. Gaillard).

Leclerc arrive à Saigon le 5 octobre. Il occupe rapidement le Vietnam au Sud du 16e parallèle. Mais se rendant compte du prestige national de Hô Chi Minh qui a rassemblé son peuple depuis la révolution d'Août et la proclamation de l'Indépendance (2 septembre), il est décidé à négocier avec lui. Les pourparlers échouent ; le haut-commissaire en Indochine d'Argenlieu ayant obtenu le limogeage de Leclerc dont le patron de Gaulle avait quitté le pourvoir en janvier 1946. C'est ainsi que la guerre franco-vietnamienne éclate la nuit du 19 décembre 1946. Hô Chi Minh rédige alors un Appel à la résistance nationale, message diffusé le 20 décembre par la Voix du Vietnam :

"Compatriotes dans tout le pays

Par amour de la paix, nous avons fait des concessions. Mais plus nous en faisons, les colonialistes en profitent pour empiéter sur nos droits. Leur intention évidente est de reconquérir à tout prix notre pays.

Non ! Plutôt tout sacrifier que perdre notre pays, retomber dans l'esclavage !

Compatriotes, debout !

Que tous les Vietnamiens, hommes et femmes, jeunes et vieux, sans distinction de religion, de parti, de nationalité, se dressent pour combattre les colonialistes français, pour sauver la patrie !

Entrez dans la lutte avec tous les moyens dont vous disposez. Que celui qui a un fusil se serve de son fusil, que celui qui a une épée se serve de son épée, et si l'on n'a pas d'épée, qu'on prenne des pioches et des bâtons ! Que chacun mette soutes ses forces à combattre le colonialisme pour sauver la patrie !

Combattants de l'armée régulière, des formations de l'autodéfense, des milices populaires !

L'heure est venue de nous lever ! Nous devons sacrifier jusqu'à la dernière goutte de sang pour défendre le pays.

Puissions-nous subir les plus dures privations et les pires souffrances, soyons prêts à tous les sacrifices.

Nous vaincrons.

Vive le Vietnam indépendant et unifié. Vive la résistance victorieuse !".

Cet appel vibrant, pathétique de Hô Chi Minh, qui respire la fermeté et la confiance en soi et en son peuple, nous fait penser à l'Appel à tous les Français du général de Gaulle, diffusé le 18 juin 1940 par la BBC, deux jours, après la reddition pétainiste.

"À tous les Français

La France a perdu une bataille ! Mais la France n'a pas perdu la guerre !

Des gouvernants de rencontre ont pu capituler, cédant à la panique, oubliant l'honneur, livrant le pays à la servitude. Cependant, rien n'est perdu ! Rien n'est perdu, parce que cette guerre est une guerre mondiale. Dans l'univers libre, des forces immenses n'ont pas encore donné. Un jour, ces forces écraseront l'ennemi. Il faut que la France, ce jour-là, soit présente à la victoire. Alors, elle retrouvera sa liberté et sa grandeur. Tel est mon but, mon seul but !

Voilà pourquoi je convie tous les Français, où qu'ils se trouvent, à s'unir à moi dans l'action, dans le sacrifice et dans l'espérance. Notre patrie est en péril de mort. Luttons tous pour la sauver ! Vive la France !".

Le résistant anti-nazi de Gaulle ne pourrait ne pas apprécier le résistant anti-colonialeste Hô Chi Minh.

De Brazzaville à Phnom Penh, la conviction décolonisatrice chez de Gaulle s'affirme et se renforce avec les événements et le temps.

La Déclaration au gouvernement provisoire de la République française présidé par de Gaulle (24 mars 1945) est, selon Messmer, "un programme inacceptable de recolonisation", puisqu'il envisage un Vietnam au sein d'une Indochine française coiffée par un gouverneur général. Il semble que de Gaulle s'est ravisé, puisqu'il a l'intention de faire revenir au Vietnam le roi exilé Duy Tân : le projet ne sera pas réalisé, car ce dernier a trouvé la mort dans un accident d'avion.

C'est à Phnom Penh le 2 septembre 1966, lors de l'intervention accrue de Washington au Vietnam et au Cambodge, que de Gaulle exprime clairement sa conversion anti-colonialiste : "Il n'y a d'autre part aucune chance pour que les peuples d'Asie se soumettent à la loi de l'étranger venu de l'autre rive du Pacifique, quelles que puissent être ses intentions et si puissantes que soient ses armes". -AVI