Le chant khmer Châm riêng Chà pây reconnu patrimoine national
Contrairement à d’autres arts traditionnels du Vietnam, le Châm riêng
Chà pây est encore très vivant dans la communauté minoritaire des Khmers
du delta du Mékong. Dans la langue de l'ethnie, Châm riêng veut dire
chant, et Chà pây, sorte de luth en forme de feuille de styrax à deux
cordes. Concrètement, il s'agit de narration chantée alternée avec de la
musique.
Selon le musicologue Son Ngoc Hoàng, Chà
pây est d’origine indienne. Il s’agit d’une sorte de luth à deux cordes,
avec une grande caisse et un long manche. La caisse peut être de forme
variée, trapèze isocèle (40 cm de longueur, 37 cm de largueur et 6 cm de
hauteur), en feuille de styrax, ou en ananas. Le manche en bois dur,
d’une longueur de 120 cm, compte douze touches, courbées à l’extrémité
avec deux chevalets. Les motifs qui y sont sculptés font la
particularité de ce luth propre aux Khmers.
La
communauté khmère totalise plus de 1,3 million de personnes habitant
pour l’essentiel dans les provinces occidentales du Sud, notamment à Trà
Vinh et Soc Trang. Elle est l’une des seules des 54 ethnies du Vietnam à
posséder sa propre langue vivante, son écriture et sa culture. Par
ailleurs, les Khmers disposent d'un trésor artistique original et
inestimable, à savoir les danses traditionnelles Rô bam, le théâtre
chanté Du kê, le Châm riêng Chà pây, la sculpture sur bois, l’art
décoratif, la peinture, la musique, la littérature, etc., sans oublier
une collection unique d’instruments de musique.
Artistes polyvalents
C’est notamment lors des fêtes rituelles, à Trà Vinh et Soc Trang, que
l'on peut rencontrer ces talents qui perpétuent les traditions. Comme
le xâm (chant des aveugles) au Nord, le Châm riêng Chà pây exige que
l’artiste sache à la fois chanter et jouer. Les paroles sont des poèmes
en strophes de quatre vers, ou des vers improvisés abordant de manière
récurrente les valeurs morales de la vie humaine. Ainsi, chaque quatrain
est interprété en alternance avec des parties instrumentales. Ces
spectacles peuvent durer de longues heures, et conter plusieurs
histoires.
«Le +Châm riêng Chà pây+, qu’il soit
joué ou non à un niveau professionnel, demande une certaine pratique.
L’artiste doit être capable de chanter, jouer du +Chà pây+, mémoriser
des poèmes mis en musique, créer et improviser», insiste Thach Mâu, 80
ans, amateur.
Originaire de Trà Vinh, l’octogénaire
a consacré toute sa vie à la conservation du Châm riêng Chà pây.
Pendant la guerre, avant 1975, «c’est par ce moyen que j'ai réussi à
exhorter la population locale à la lutte patriotique, et que j'ai incité
les soldats de l’armée saïgonnaise à revenir dans le droit chemin. Par
la suite, pour sensibiliser la jeune génération, j’ai créé et chanté des
airs avivant les nobles vertus comme l’amour de la terre natale, la
piété filiale, la bonne conscience, la sincérité, le savoir-vivre. Sans
oublier des airs critiquant les vices et les défauts», affirme-t-il.
Un tremplin pour le Châm riêng Chà pây
Dans les yeux des Khmers, le Châm riêng Chà pây est indispensable à
toute cérémonie cultuelle ou culturelle. Très développé pendant le XIXe
et le début du XXe siècle, cet art vocal a toutefois, malgré sa
popularité, tendance aujourd’hui à décliner, face au développement de la
musique moderne. Par ailleurs, la rigueur de cette technique et le
manque de formation réduisent au fil du temps le nombre de ces
«narrateurs chantants».
«Si autrefois, chaque
village khmer disposait d'au moins un ou deux interprètes, il n'en reste
que quelques uns dans toute la région du delta du Mékong. Et tous sont
d'âge avancé», indique Thach Mâu. Et de citer ses confrères Ly Sêm (à
Soc Trang), Chau Nung (à An Giang), et Danh Xà Râm (à Bac Liêu), qu’il
appelle à se battre pour transmettre cet art centenaire aux jeunes
générations.
Pour lui, la décision du ministère de
la Culture, des Sports et du Tourisme d’introduire en 2013 le Châm riêng
Chà pây dans la liste des patrimoines culturels immatériels du pays
correspond à l’attente de la communauté locale. «C’est vraiment une
reconnaissance de la valeur inestimable de cet art propre aux Khmers,
pour ne pas dire un tremplin pour le réveiller», ajoute-il. – VNA