Ils tiennent à la forêt du général Vo Nguyên Giap
Dans la commune de Gia Phù,
district de Phù Yên, province de Son La (Nord), une forêt vénérable
jonchée de grands arbres offre un paysage devenu rare de nos jours dans
le Nord-Ouest. Bienvenue dans la «Forêt du général Vo Nguyên Giap».
Cette sylve protégée couvre 247 ha, et abrite beaucoup d’arbres
centenaires qui, ailleurs, auraient immanquablement subi la cognée du
bûcheron. C’est un patrimoine naturel du Nord-Ouest et aussi un élément
du monde spirituel des locaux, d’ethnie Muong. Depuis des générations,
ils protègent la forêt qui limite l’impact des crues et des sécheresses,
et aussi pour s’attirer les bonnes grâces des génies qui la peuplent.
Avant la bataille de Diên Biên Phu (1954), le général
Vo Nguyên Giap et une troupe de soldats s’installèrent ici, pour se
préparer au combat et recruter des soldats. Les jeunes des environs
furent nombreux à se présenter. Durant son séjour, le général conseilla
aux locaux de protéger ce lieu. C’est ainsi qu’ils dressèrent le panneau
«Forêt du général Vo Nguyên Giap» et protègent la forêt depuis.
Ils ont divisé la forêt en deux zones, chacune sous le contrôle d’un
groupe de gardiens, de deux villages limitrophes: Nhot 1 et Nhot 2. Ils
effectuent des patrouilles régulières et réprimandent les personnes qui
coupent du bois, fusse-t-il sec.
Sous la double protection des génies et du général
«Deux types de personnes menacent notre forêt, explique Dinh Van Huy,
45 ans, chef du groupe de gardiens de Nhot 1. Les premiers, ce sont les
H’mông qui habitent plus haut dans la montagne. Parfois ils descendent
ici pour couper de grands arbres afin de construire leurs importants
ouvrages. Les seconds, ce sont ceux qui veulent s’enrichir
illégalement».
Le Nouvel An des Muong et des Kinh
ne coïncide pas avec celui d’autres ethnies. «Certains profitent de nos
périodes de fête pour entrer dans la forêt et couper de grands arbres,
déplore Dinh Van Huy. C’est pourquoi, pendant ces journées de fête,
alors que nos villageois s’amusent, nous sommes obligés d’intensifier
les patrouilles».
«Nous réussissons à protéger la
forêt grâce à la réputation du général», déclare Dinh Van Huy. Les
gardiens sensibilisent les récalcitrants avec des mots qui font mouche :
«C’est la forêt du général Vo Nguyên Giap. Respectez-vous le général
quand vous coupez du bois ?». Ceux qui sont pris pour la première fois
subissent une sanction légère sous la forme d’une confiscation de leur
matériel (couteau, hache, hotte voire buffle). Pour les récupérer, le
gardien les invite à venir chez lui... boire un coup!
Chez Dinh Van Huy, il y a beaucoup de couteaux et haches. «Celui qui
souhaite récupérer ses outils peut venir ici, je les lui rendrai, assure
Dinh Van Huy. Mais avant, nous aurons une franche discussion sur la
forêt. Ceux qui sont venus récupérer leurs biens n’ont jamais récidivés.
Mais certains sont honteux et n’osent pas venir chez moi».
Ceux qui poitent atteinte à la forêt, et donc aux gens des alentours
et aux génies qui la peuplent, auront à subir leur courroux. Les
habitants de Nhot 1 et 2 leur organisent chaque année une cérémonie de
culte. Ils tuent des boeufs et buffles pour préparer des offrandes
qu’ils déposent au pied des arbres, puis se prosternent dans toutes les
directions.
Ils promettent de ne jamais porter
atteinte à la forêt. Enfin, les villageois partagent ensemble un festin
considéré comme bénie par les génies sylvestres. C’est ce qui explique
pourquoi elle a été protégée par plusieurs générations, avant de devenir
la fameuse «Forêt du général Vo Nguyên Giap». – AVI