Chaque séance d’entraînement«démarre» selon le même rituel : 20 minutes à balayer la piste d’élan dusautoir du stade Thông Nhât, à Hô Chi Minh-Ville, et à lisser le bac àsable pour éviter toute mauvaise surprise. Viennent ensuite une heure demise en jambe avec divers exercices physiques, puis la séance àproprement parler, exigeante, éreintante, lorsque le soleil est déjàhaut dans le ciel.
Cette exigence, Trân Huê Hoa laconnaît bien, elle qui a été la seule «rescapée» de l’entraînementcommando qu’on lui a fait subir aux côtés de ses jeunes camarades de laclasse des jeunes athlètes saïgonnais prometteurs. Sur les plus de dixapprenants, elle a été la dernière après un an soumise à ce régime, biendéterminée à faire carrière dans l’athlétisme.
Une course d’obstacles
Levisage impassible en dépit de la chaleur étouffante qui accablel’enceinte du stade Thông Nhât, Trân Huê Hoa est concentrée sur saséance, sous les consignes de son coach Nguyên Nam Nhân. Au programme,exercices en fractionné, puis répétitions de triples sauts. Les traitstirés par l’effort, l’athlète enchaîne les sauts sans broncher. Vientensuite la délivrance, avec les indispensables étirements pour soulagerson corps meurtri et faciliter d’autant la récupération.
Huê Hoaa surpris tout le monde en prenant la décision de devenir athlète dehaut niveau. À commencer par sa famille à Saigon. Mais à y regarder deplus près, ce choix s’inscrit dans une forme de logique, elle qui atoujours été très remuante et plus encline à s’amuser avec les jeux«réservés» aux garçons qu’à jouer à la poupée...
À l’école déjà,elle participe à presque tous les concours sportifs scolaires, avec àchaque fois ou presque la même réussite : le premier prix, notamment enathlétisme - il n’y a pas de secret. À 14 ans, la jeune fille décrocheson premier titre national en 2005, chez les juniors en saut en hauteur.Ce qui prête à sourire aujourd’hui est de voir qu’à l’époque, la jeunefille, au lieu de célébrer cette première perf de choix dans uneallégresse somme toute légitime, était très inquiète à l’idée que sesparents l’apprennent, elle qui leur avait caché qu’elle faisait del’athlétisme. Entrepreneur en génie civil, son père était totalementréfractaire à l’idée de voir sa fille emprunter cette voie qui, selonlui, ne pouvait rien lui apporter de bon - blessures et précarité, entreautres. « Mon père souhaitait que je passe un concours d’entrée àl’université pour assurer mon avenir. Après chaque séanced’entraînement, j’essayais de cacher tant bien que mal la fatigue pourqu’il ne se doute de rien...», nous raconte l’athlète.
Cettemédaille d’or lui vaut une convocation en sélection des jeunes sportifsprometteurs de la mégapole du Sud, avec une allocation mensuelle dequelques centaines de milliers de dôngs. Il faudra toute la persuasionde ses entraîneurs pour convaincre son père de la laisser poursuivre,même si le cœur n’y est pas.
Ce premier obstacle levé, Huê Hoan’est cependant pas au bout de ses peines. La hauteur - puis le triplesaut ensuite - met à contribution ses genoux, ses chevilles, douxeuphémisme. Le spectre de la blessure la hante continuellement. « S’iln’y avait pas cette flamme qui brûle en moi, je pense que j’aurais lâchél’affaire depuis bien longtemps », confie la sauteuse dans un sourire.
L’audace récompensée
Spécialisteà ses débuts du saut en hauteur, elle décroche une médaille d’argent endeux participations (2008 et 2009) aux championnats du Vietnamd’athlétisme. Une belle performance au vu de la concurrence qui règnedans la discipline, avec notamment Bùi Thi Nhung et Duong Thi Viêt Anh.Affamée de victoires, elle décide de troquer la hauteur pour le triplesaut. Un pari risqué.
Cette volte-face s’avèrepayante, puisqu’elle décroche son premier titre national dans ladiscipline en 2011. Elle récidive, toujours en 2011 mais aux SEA Games(Jeux sportifs d’Asie du Sud-Est) cette fois-ci en Indonésie, recordnational à la clé (dont elle est déjà la détentrice), en retombant à13,76 m.
Ses performances font que l’argent n’est plus (trop) unproblème pour elle. Autonome financièrement, Huê Hoa peut même aider sapetite sœur à couvrir ses dépenses universitaires. Elle-même se lanceradans des études à l’université afin d’assurer sa reconversionprofessionnelle une fois sa carrière terminée. « J’aimerais entraînerdans l’athlétisme afin de ne jamais rester éloignée de la piste. Maisj’ai le temps avant d’y penser. Dans l’immédiat, je veux aller chercherune médaille sur l’arène régionale », nous dévoile, déterminée,l’athlète. Une jeune femme qui, malgré ses désirs d’envol, garde lespieds bien ancrés dans le sol. Serait-ce la meilleure façon de marcher ?- VNA