Delta du Mekong : deux ouvrages formidables de fabrication paysanne hinh anh 1Le câu khi est constitué d’un long tronc de bambou ou de bois soutenu par une dizaine de tronçons enfoncés obliquement dans le lit du cours d’eau, et relié à une petite rampe en bambou. Photo : BBL/CVN

Hanoï (VNA) - La créativité des paysans est admirable. Dans la perspective d’améliorer la vie quotidienne, des ouvrages insolites ont vu le jour, parmi lesquels le «pont de singe» et la «tyrolienne commerçante».

Le delta du Mékong est une basse région où les cours d’eau - fleuves, rivières, arroyos, canaux... - abondent et s’entrecroisent. À la campagne, il existe depuis longtemps des câu khi, littéralement «ponts de singe», construits à partir de simples troncs de bambou ou de bois, enjambant des arroyos, pour faciliter la circulation des habitants locaux. Plus d’une fois, l’image gracieuse d’un pont de singe a inspiré un poème, une œuvre picturale ou une photographie. En effet, tout comme le cocotier, le câu khi fait partie des symboles du delta du Mékong.

Créé à l’initiative des paysans des régions fluviales, d’une manière générale, le câu khi est constitué d’un long tronc de bambou ou de bois (ou quelques fois de plusieurs longs troncs reliés) soutenu par une dizaine de tronçons enfoncés obliquement dans le lit du cours d’eau, et relié à une petite rampe en bambou. Cependant, certains sortent de l’ordinaire.

Le câu khi à cent piliers

C’est le cas de celui situé sur l’arroyo Lô Da, commune de Trinh Phu, district de Kê Sach, province de Soc Trang, dont la structure unique est particulièrement remarquable. Un «ouvrage» formidable dont le constructeur est Ba Hao, un paysan local. 

Le pont est construit à partir de troncs d’eucalyptus, d’une longueur totale de 35 m, situé à 4,5 m de la surface de l’eau. Son originalité : il est supporté par pas moins d’une centaine de tronçons de bambou (soit dix fois plus que la normale) plantés obliquement dans le lit de la rivière, autour de dix grands piliers en bois.

«Il y a dans notre quartier un pont en ciment, situé à presque un kilomètre de chez moi, mais le chemin pour s’y rendre est toujours boueux. J’ai construit ce pont de singe il y a une vingtaine d’années, au service de ma famille, raconte le créateur. Désormais, une quinzaine de familles locales l’utilisent, en faisant environ une centaine d’allers-retours par jour. Avec le temps, le pont se détériore. Ces dernières années, j’ai dû le renforcer régulièrement en ajoutant des pieux en bambous».   

L’ouvrage de Ba Hao compte trois «travées» soutenues par dix piliers en bois enfoncés solidement dans le lit de l’arroyo. Chacun des piliers se trouve rattaché à des dizaines de tronçons de bambou fixés dans l’eau. C’est «le pont de Cân Tho en miniature», plaisantent quelques observateurs présents, en se référant aux nombreux piliers du pont moderne qui enjambe le Sông Hâu (bras postérieur du Mékong).  

Outre un grand nombre de piliers, le pont de singe de Ba Hao se singularise davantage par un garde-fou atypique. Il s’agit de deux parapets à trois étages, faits de bois d’eucalyptus et placés des deux côtés du pont, qui servent de main courante pour les passants de tout âge.

Ce câu khi extraordinaire peut supporter une personne portant sur l’épaule une palanche chargée de deux paniers de fruits comme des bananes, des pamplemousses, des mangues, ou encore des longanes …

«En attendant un nouveau pont en dur, nous empruntons toujours ce pont de singe qui doit néanmoins être renforcé en permanence. En tout cas, je suis fier d’être le créateur d’un pont à triple parapet et à cent piliers», admet Ba Hao avec un large sourire. 

La tyrolienne commerçante   

Depuis trois ans, sur la rivière traversant la commune de Phung Hiêp, district du même nom, province de Hâu Giang, quelques tyroliennes minuscules, reliant les deux côtés de la rivière, ont vu le jour. On les appelle «tyrolienne commerçante», car elles transportent diverses marchandises, livrées par les petits commerçants d’une rive aux habitants de l’autre rive. «Ma famille utilise la livraison de marchandises par tyrolienne depuis trois ans. C’est pratique. Auparavant, nous perdions au moins 15 minutes en ramant. Cette petite tyrolienne nous permet à présent de traverser en seulement 2 minutes», déclare Ngô Van Tân, petit commerçant et créateur de cet étrange moyen de transport. Sa famille commercialise des articles du quotidien tel que des friandises, des condiments, des épiceries, du riz,  des boissons en conserve, de la lessive, des serviettes… Et nombreux sont les clients de l’autre côté du cours d’eau. En effet, on y trouve un village réunissant une quarantaine de familles. 

«Après plusieurs nuits blanches, j’ai enfin trouvé ce moyen de livraison pour nos marchandises. De longs jours ont été nécessaires pour sa conception et sa construction. Bien sûr, j’ai essuyé plusieurs échecs, avant de réussir à créer cette tyrolienne ingénieuse», se rappelle-t-il. L’ouvrage comprend, entre autres une jante de roue, deux poulies, et un long câble en zinc relié à un seau en plastique (pour contenir les produits commandés). La construction est soutenue par deux piliers en béton plantés sur chacune des deux rives. Le tout a coûté seulement 500.000 dôngs. «Quand je tourne la jante de vélo, le seau suspendu sur le câble se déplace lentement dans l’air pour arriver sur l’autre côté du cours d’eau. Le client y met de l’argent et transmet sa commande. Le seau retourne chez nous pour recevoir les marchandises puis est de nouveau envoyé vers le client. Il peut transporter jusqu’à 15 kilos», explique le commerçant créatif,  ajoutant qu’il effectue quotidiennement une centaine de transactions. 

La vision du seau glissant sur la surface de l’eau est devenue habituelle pour les habitants de cette région  privée de pont. Maintenant, on y trouve six petites tyroliennes en fonctionnement. «C’est pratique ! Presque tous les jours, j’achète des produits quotidiens chez les petits commerçants logés sur l’autre rive, sans avoir besoin de ramer. On peut servir les +Dieux+, mais aussi ravir les enfants qui souhaitent acheter un sachet de bonbon», se réjouit Nguyên Yên Ngoc, une vieille paysanne locale. -CVN/VNA