Une demoiselle qui vient avec un accroc à sa toute nouvelle robe, un couple qui cherche à redonner de la fraîcheur à ses tuniques de mariage, un homme qui souhaite faire restaurer une ancienne chemise, cadeau auquel il est très attaché…, les clients ne manquent pas à Hanoi.

Le stoppage est une opération délicate qui consiste à restaurer un tissu détérioré par une déchirure, un accroc, une brûlure de cigarette... C'est une intervention experte qui consiste à reconstruire manuellement la chaîne et la trame d'un tissu à l'aide d'outils et de savoir-faire spécifiques. Si la restauration est indécelable, le stoppage est réussi ! L’image des rapiéçages rappelle le temps de l’économie subventionnée où chaque famille vietnamienne disposait d’une boîte pour conserver des morceaux de tissu élimés, des aiguilles et des fils de couleurs diverses. Les gens ne connaissaient alors pour la plupart qu’une fois par an la joie d’avoir un nouvel habit. De nos jours, il devient tout aussi facile de se procurer des vêtements que d’acheter son quotidien de provisions alimentaires.

Malgré la tendance à jeter les vêtements usagés ou endommagés, le stoppage n’a pas disparu. Dans la ruelle Thanh Miên (rue Nguyên Thai Hoc, Hanoi), c’est même devenu une spécialité. Le prix du service varie entre 10.000 à 15.000 dôngs par centimètre carré. S’il est facile de rapiécer ou repriser, stopper demande un savoir-faire spécifique. Parmi les stoppeurs de Thanh Miên, Madame Ta Huê Diêp, 94 ans, est connue pour être la plus expérimentée. Hanoïenne de naissance, elle a fait son apprentissage chez un tailleur chinois avant d’ouvrir elle-même une boutique de stoppage.

Du temps de la colonisation française, ses clients n’étaient que des Français et leurs compagnes. Depuis, le secret du métier ne s’est transmis qu’aux belles-filles et aux garçons de la famille. Du coup, les trois boutiques de stoppage que l’on compte actuellement à Thanh Miên ont toutes comme propriétaires les enfants de cette dame.

Sa boutique a été reprise par sa belle-fille Nguyên Thi Hông. Cela fait déjà plus de 30 ans, depuis son arrivée dans cette famille comme belle-fille, que madame Hông travaille comme stoppeuse. «À mes débuts, les gens s’occupaient eux-mêmes des vêtements de tous les jours et ne faisaient appel à nous que pour les vêtements précieux», se souvient-elle.

Dès le matin, les clients sont déjà quelques-uns à venir dans cette maison d’une vingtaine de mètres carrés. Les vêtements qu’ils amènent sont aussi bien du jean que de la soie ou de la laine, des produits «ordinaires» que des vestons de cérémonie ou robes de soirée. La plupart sont cependant des vêtements d’un certain prix, faits sur mesure. Ces costumes ont une grande valeur, matérielle ou sentimentale.

Il y a une dizaine d’années, lorsque les collections de haute couture firent leur entrée au pays, certaines boutiques de Hàng Gai et Hàng Hom pratiquaient encore aussi le stoppage. Mais comme l’opération exige une minutie et une habileté manuelle extrêmes sans pour autant rapporter beaucoup, la plupart de ces boutiques ont aujourd’hui changé d’activités même si la demande reste élevée.

Le travail ne demande pas d’outils sophistiqués ou coûteux mais simplement des fils, des aiguilles (de dimensions différentes) et des morceaux de tissu. Plus un stoppeur a de l’ancienneté, plus sa collection de tissus est riche, tant en couleur qu’en matière. À première vue, on pourrait croire qu’il s’agit d’un métier plutôt facile mais, en réalité, il faut trois ou quatre ans minimum pour faire un stoppeur digne de ce nom.

Par exemple, pour restaurer une veste trouée par une brûlure de cigarette, Madame Hông doit d’abord aller récupérer la gamme des fils dans les ourlets ou dans les poches. Ensuite c’est avec ces mêmes fils qu’elle fait le stoppage. Le plus difficile est de travailler la soie, dont la douceur et la finesse rendent la restauration difficile à dissimuler. Pour un petit trou sur une chemise de soie, il arrive à Madame Hông de devoir défaire puis refaire pendant toute une journée avant d’obtenir un résultat satisfaisant.

Comme c’est un métier héréditaire, Madame Hông n’a enseigné son savoir qu’à ses descendants, avec le souhait qu’il y ait parmi eux des repreneurs de la boutique à sa retraite afin de conserver ce métier lié à la famille depuis trois générations. Le métier de stoppeuse a presque disparu depuis l'arrivée du prêt-à-porter et du changement des habitudes de consommation qui a suivi. Les gens ont perdu le réflexe de faire appel aux stoppeuses, mais que ce soit dans le domaine de l'habillement, de l'ameublement, des arts ou encore de celui de la décoration, le besoin de réparer existe toujours et le travail de stoppage reste indispensable. En effet, qui ne dispose pas d'un costume ou d'une robe à restaurer... D'un vêtement de prix à sauvegarder... D'un meuble ancien à ressusciter ?

Nous avons oublié ce geste simple de faire réparer nos effets au lieu de les jeter. Pourtant, à y regarder de plus près, il serait souvent plus facile et économique de faire restaurer une veste que d'en acheter une neuve. -VNA