L’article auquel vous avez échappé la semaine dernière
La petite maison de Hoàng Van
Châu est nichée sur le flanc d’une colline isolée de la commune de Hông
Son (district de Dô Luong). Région montagneuse couverte de jungle, le
district et ses alentours grouille de serpents venimeux. Dès sa prime
jeunesse, M. Châu a souvent vu des gens se faire mordre, et certains en
sont morts. Benjamin d’une famille de sept enfants, il n’a suivi aucune
formation en médecine, ni moderne, ni traditionnelle. Mais dans sa
région, il est connu comme un guérisseur de génie car il a hérité de son
père la recette d’un anti-venin qui a déjà sauvé la vie d’une centaine
de personnes. M. Châu est la 4 e génération de sa lignée Hoàng Van
réputée pour ce remède miraculeux.
L’héritier responsable
Âgé
de 44 ans, M. Châu est un paysan simple et très ouvert. Il amorce la
conversation par l’histoire de sa famille, très fière du bisaïeul qui a
trouvé le fameux remède. Celui-ci a été transmis de génération en
génération, à son grand-père, à son père et puis à lui, le seul de la
fratrie à en être dépositaire. Une vraie responsabilité…« À l’âge de 15
ans, j’ai commencé à suivre mon père en forêt pour chercher des
feuilles. Au début, l’identification était difficile car elles se
ressemblent toutes, au moins en apparence, raconte-t-il. Trois ans
après, j’étais capable de bien les distinguer et mon père m’a alors
laissé les cueillir seul ». Mais prudent, ce dernier ne l’a autorisé à
traiter des patients qu’après ses 18 ans.
« Un jour que mon père
était absent, on m’a emmené un homme mordu par un cobra royal, se
rappelle Châu. Dans l’urgence, j’ai décidé de remplacer mon père. J’ai
broyé quelques feuilles conservées chez moi, extrait le liquide puis
l’ai fait boire à la victime. Le résidu a été placé sur la morsure. Une
demi-heure après, il a montré des signes positifs. Dix jours après, il
était rétabli ».
D’après lui, dix sortes de feuilles sont
nécessaires. « Pas besoin de les faire bouillir ou de les sécher sous le
feu, il suffit de les piler fraîches pour extraire le liquide puis de
le faire boire aux victimes toutes les trois heures. Le broyat est placé
sur la morsure », précise-t-il, ajoutant que ce remède marche aussi
avec les femmes enceintes. Mais pas question de dévoiler les noms des
feuilles. Secret de famille.
Le bongare annelé est une des espèces de serpents les plus venimeuses.
Des cas miraculeux
Selon
le guérisseur de génie, 99% des personnes qu’il a traitées s’en sont
sorties. Pour les morsures de reptiles les plus dangereux comme le
bongare annelé ( Bungarus fasciatus, une espèce très venimeuse de la
famille des Elapidae), les réussites sont d’environ 95%. « Dans cette
région montagneuse vivent de nombreuses espèces de serpents. Les
victimes ont besoin d’un traitement urgent, et ne peuvent pas attendre
d’être transportées à l’hôpital, trop loin d’ici. Châu et son père ont
sauvé la vie de centaines de personnes », affirme Hoàng Công Du,
responsable des activités culturelles de la commune de Hông Son.
Nguyên
Quôc Du, 50 ans, voisin de M. Châu, a été mordu par un bongare annelé. «
Ce remède est miraculeux. Pour les morsures de serpents peu venimeux,
il ne faut prendre que trois à cinq doses. Pour les plus graves, sept
sont nécessaires », confie-t-il. Châu a cité deux cas marquants. M me
Nga, de sa commune, s’est faite mordre il y a une dizaine d’années par
un mamba vert. Transportée chez Châu, elle était dans un état critique:
visage livide, hématémèse (vomissement de sang), larmes de sang. Mais
grâce au breuvage de Châu, elle fut sauvée in extremis. Le second cas,
c’est M. Thuy, d’une région voisine. Attaqué par un serpent et sauvé par
un tradipraticien d’une ethnie minoritaire, il s’était mal remis. Une
nécrose était apparue sur le doigt et une douleur lancinante avait gagné
tout le corps, et ce plusieurs années après la morsure. Il s’est rendu
chez Châu. Après quelques semaines de traitement, il retrouva la santé.
"Le
génie-médecin" s’inquiète de la difficulté croissante qu’il a pour
trouver ses fameuses feuilles, pour des raisons qu’il a du mal à
expliquer, peut-être le réchauffement climatique. « Maintenant, je dois
aller de plus en plus profond dans la forêt. J’ai peur qu’elles
disparaissent ces prochaines années ». Il voudrait que des
scientifiques, des experts, des médecins se penchent sur sa précieuse
recette et réussissent à en percer le mystère. Cela permettrait d’en
isoler les principes actifs pour faire des médicaments utilisés plus
largement. - VNA