Dans son bel album Hanoï éternel, Renaut Hoàng a noté non sansperspicacité: «Avec ses îlots de verdure, ses lacs aux berges envahiesde lotus, ses boulevards plantés de tamariniers et de flamboyants qui jettentune ombre apaisante sur les façades des anciens édifices coloniaux, Hanoïdiffuse un charme subtil, discret, voire secret et profondément envoûtant. Onn’admire pas Hanoï, on ne s’entiche pas pour un temps de la ville. On s’yattache».
Je voudrais ajouter : l’un des charmes de Hanoï, ce sont ses arbres verts toute l’année, été comme hiver. Leur présence sur les trottoirs de la capitale est unapport de l’urbanisation occidentale, le fruit d’une acculturation Ouest-Est.Les espèces sont très variées. Chacune a son caractère unique, son histoire etses connotations culturelles. Il en est de même pour chaque arbre au regard dela population locale.
Les plus beaux arbres de la capitale
Je n’ai pas le chiffre exact du nombre d’arbres à Hanoï. Dans son livre Les fleurs de Hanoï,le poète et essayiste Trân Lê Van a avancé le chiffre de 10.000 au lendemain dela libération de la capitale après Diên Biên Phu en 1954, de 200.000 en 1980.Ce chiffre a quintuplé ou décuplé – que sais-je ? – deux décennies après lescampagnes annuelles de plantation déclenchées par Hô Chi Minh. Signalons unepratique très courante des Hanoïens. Comme la vie familiale se déroule enpartie sur les trottoirs, surtout dans l’ancien quartier remontant au XVe siècle,les habitants de chaque maison soignent l’arbre planté devant leur porte, commes’il s’agissait d’un arbre de leur jardin.
La coutume de planter des arbres au bord de la route semble très ancienne. Certainsnoms de rue nous le rappellent : Hòe Nhai (route plantée de saforas), Liêu Giai(route de saules pleureurs), etc.
À l’heure actuelle, bien des rues de Hanoï présentent un visage particulier,grâce à une espèce d’arbre déterminée.
Les plus beaux arbres de la capitale sont sans doute les sao (Hopeaodorata) de la rue Lò Dúc (anciennement Armand Rousseau). Leurs troncsdroits, réguliers, s’élancent vers le ciel comme des colonnes d’église. Leursfruits munis de deux ailes brun clair planent dans l’air avec le vent.
Les fleurs d’alstonia (hoa sua = fleur de lait) d’un blanc laiteuxenivrent les nuits d’automne des rues Bà Triêu (anciennement rue Gia Long) etNguyên Du (anciennement les trois rues Riquier, Halais, Dufourcq). Lerougeoiement écarlate des flamboyants, au bord de la rue Thanh Niên(anciennement Cô Ngu, - Maréchal Lyautey), séparant les lacs de l’Ouest et TrúcBach, annonce, avec les stridulations des cigales, au élèves la venue de l’été,des examens et des vacances. Dans le concert estival, les fleurs mauvesdes bang lang(Lagerstroemia flos-reginae) de la rue ThoNhuôm (anciennement rue des Teinturiers et Jean Soler) apportent une note detendresse. Leur feuillage est épais et luisant.
Au début de l’automne, les touffes de jeunes feuilles pendant comme de la soieondoyante, à la base des vieilles feuilles.
Quid des arbres fruitiersde Hanoï
Deux arbres fruitiers retiennent notre attention : le pancovieret le badamier. Les pancoviers (cây sâu : Dracontomelumduperreanum), très hanoïens, peuplent la rue Phan Dình Phùng (anciennementBoulevard Carnot), la rue Trân Hung Dao (Boulevard Gambetta) et bien d’autres.Le fruit vert sert à la confection d’un bouillon acide, à pimenter le bouillonde viande et celui de liseron d’eau si rafraîchissant en été, à préparer uneconfiture sèche. Le fruit même a une saveur aigre-douce très agréable.
Les fruits des badamiers (Terminalia catappa), assez âcres, sontpourtant très prisés des écoliers. L’arbre à rameaux horizontaux et à grandesfeuilles est planté dans les cours d’école, à l’entrée des impasses et dansmaintes rues. Le gâteau traditionnel bánh bàng imite la formedu fruit elliptique et aplati.
Si presque tous les arbres de Hanoï gardent leurs feuilles en hiver, les cây sêu (Seltis australis) de larue Lý Thuong Kiêt (anciennement Carreau), impriment leurs branches dénudéessur un fond de ciel blafard, évoquant un coin d’Europe.
On ne peut terminer cette brève énumération des arbres de Hanoï sans mentionner le banian (cây da : Ficusbenghalensis), l’arbre souvent séculaire aux longues racines adventivespendant comme des cheveux de quelque génie et dont la vue fait penser auxtemples, aux pagodes, aux embarcadères du village traditionnel. Sa présencedans beaucoup d’endroits de la ville est évidente, Hanoï étant à l’origine ungroupement de villages. Le plus beau banian, celui du temple de Cô Loa(banlieue de la ville) qui, dit-on, a vécu plusieurs milliers d’années, amalheureusement dépéri. – CVN/VNA