Charlotte Aguttes-Reynier, l’oeil d’une experte en art moderne en Indochine

À l’aube du centenaire de la création de l’École des beaux-arts de l’Indochine à Hanoi, un livre intitulé "L’Art moderne en Indochine" de l’experte française Charlotte Aguttes-Reynier lève le voile sur un pan complet de l’histoire des beaux-arts du Vietnam et au-delà de ses frontières.
Charlotte Aguttes-Reynier, l’oeil d’une experte en art moderne en Indochine ảnh 1La chercheuse française Charlotte Aguttes-Reynier (à droite) lors de la parution de son livre à Hanoi. Photo : VietnamPlus

Hanoi (VNA) – À l’aube du centenaire de la création de l’École des beaux-arts de l’Indochine à Hanoi, un livre intitulé "L’Art moderne en Indochine" de l’experte française Charlotte Aguttes-Reynier lève le voile sur un pan complet de l’histoire des beaux-arts du Vietnam et au-delà de ses frontières.

D’Inguimberty à Alix Aymé, de Nguyên Phan Chanh à Vu Cao Dàm, en passant par Mai Trung Thu et Lê Phô, professeurs ou élèves, ils dessinent, peignent, sculptent, travaillent la laque, exposent… Dirigée par Victor Tardieu puis Évariste Jonchère, cette école connaît entre 1925 et 1945 une période d’émulation artistique d’une grande richesse à l’origine du renouveau de l’art moderne au Vietnam.

Forte de dix années de recherches et d’expertises, Charlotte Aguttes-Reynier retrace le parcours des acteurs principaux de cette période dans ce volume abondamment illustré et documenté. Elle a accordé une interview à l’Agence vietnamienne d’information (VNA).

- Qu’est-ce qui vous a inspiré à étudier les arts indochinois ?

Depuis mon enfance, j’ai accompagné mon père, commissaire-priseur, dans les musées et chez les collectionneurs. Installé en 1974 à Clermont-Ferrand, Claude Agusttes sillonnait chaque jour les routes de France et nous racontait le soir avec passion ses péripéties. En 1995, comprenant que le marché devient de plus en plus international, il décide de s’implanter à Paris. C’est à cette époque que j’intègre la société familiale éponyme. J’ai été initié aux arts orientaux et à l’impressionnisme. Finalement, j’ai développé mon intérêt pour les arts modernes.

Charlotte Aguttes-Reynier, l’oeil d’une experte en art moderne en Indochine ảnh 2Charlotte Aguttes-Reynier et les œuvres indochinoises. Photo fournie par Charlotte Aguttes-Reynier 


J’ai commencé à étudier les arts indochinois et les artistes asiatiques depuis 2013. Ces dernières années, au sein d’Aguttes, ce sont environ 150 peintures réalisées part Lê Phô, plus de 115 oeuvres par Mai Trung Thu, et près de 100 oeuvres exécutées par Vu Cao Dàm qui m’ont été données à expertiser et à vendre. Naturellement, au fil des ventes et en contact avec de nombreuses relations proches des peintres ou de leurs familles, j’ai acquis une connaissance accrue de leur travail. Mes années d’expertise au service de la connaissance de cette école me permettent un discernement historiographique et technique largement éprouvé et averti.

- Vous êtes à la fois chercheuse et commissaire-priseuse. Une commissaire-priseuse, d’une part, souhaite que les œuvres d’art soient vendues au prix le plus élevé possible. Une chercheuse, en revanche, doit être objective. Pensez-vous que vos rôles sont en conflit les uns avec les autres ?

Laissez-moi vous raconter une histoire pour répondre à votre question. En 2014, lors d’une rencontre fortuite un soir pluvieux dans le 17e arrondissement de Paris, je me suis retrouvée devant "Thuong trà" (Prendre du thé) de Lê Phô, une belle peinture sur soie de très haute qualité. J’ai commencé à faire des recherches approfondies sur ce tableau, sur l’artiste, sa carrière. J’ai découvert une passion profonde dans ses peintures. J’ai ensuite été surpris de constater une disparité importante entre les prix des enchères entre les événements organisés en Asie et ceux organisés dans d’autres parties du monde.

Ce tableau méritait une meilleure reconnaissance et c’est ce qu’ont fait les Aguttes. Le prix adjugé aux Aguttes a dépassé les précédentes estimations en Europe.

J’ai ressenti le besoin de lever les voiles d’obscurité qui enveloppaient l’œuvre, mettant en lumière l’art de l’Indochine et les artistes talentueux du Vietnam.

En 2019, j’ai fondé l’Association des artistes d’Asie à Paris. Il s’agit d’une société savante qui vise à mettre en valeur et à promouvoir la connaissance du travail d’artistes d’origines culturelles à la fois orientales et occidentales. Depuis, mon aspiration est de créer une œuvre sur le Vietnam durant la période 1925-1945, dans l’espoir d’éclairer les 20 années charnières de l’histoire de l’art indochinois. Cette démarche a abouti à la publication du livre "L’art moderne en Indochine".

Charlotte Aguttes-Reynier, l’oeil d’une experte en art moderne en Indochine ảnh 3L’auteure dédicace des livres à Hanoi. Photo: VietnamPlus

 
- Le processus de décryptage de l’art indochinois vous a-t-il réservé des surprises ?

Le point central de mon livre tourne autour de l’École supérieure des beaux-arts de l’Indochine, créée en 1924 par son premier directeur français Victor Tardieu, en collaboration avec l’artiste Nguyên Nam Son. Aujourd’hui, cette institution s’appelle l’Université des beaux-arts du Vietnam à Hanoi.

Dans ma quête d’informations et d’œuvres originales, j’ai méticuleusement exploré les contributions de peintres vietnamiens renommés à travers différentes époques de l’histoire des beaux-arts indochinois. Des personnalités telles que Lê Phô, Mai Trung Thu, Vu Cao Dàm, Lê Thi Luu, Tô Ngoc Vân, Nguyên Gia Tri et d’autres ont laissé une marque indélébile dans le paysage artistique.

Une révélation intrigante fait surface dans le chef-d’œuvre de Lê Phô, "Le Peigne blanc". Malgré le thème prédominant des femmes symboliques dans l’œuvre de Lê Phô, "Le Peigne blanc" fait figure d’exception. La représentation de la femme avec seulement la moitié de son visage visible constitue un témoignage convaincant de l’impact de l’esthétique de la Renaissance italienne. Cette influence s’est accentuée après la visite de Lê Phô en Italie au début des années 1930.

Charlotte Aguttes-Reynier, l’oeil d’une experte en art moderne en Indochine ảnh 4Le "Portrait de Mademoiselle Phuong" du peintre Mai Trung Thu a été vendu pour 3,1 millions de dollars


Une autre artiste remarquable est Lê Thi Luu, dont la démarche artistique la distingue de ses contemporains. Contrairement aux représentations répandues de femmes élégantes engagées dans la musique ou la littérature, Lê Thi Luu apporte une touche personnelle distinctive en les représentant dans des scènes printanières ou immergées dans le travail des rizières. Sa perspective unique ajoute de la profondeur et des nuances à la tapisserie artistique de l’époque.

Vigilance requise pour distinguer le vrai du faux

- Que pensez-vous de la place actuelle de la peinture vietnamienne dans le monde ?

Je pense que les œuvres des artistes français et vietnamiens attirent à peu près autant de collectionneurs. Depuis une dizaine d’années, les œuvres des artistes diplômés de de l’École supérieure des beaux-arts de l’Indochine ne cessent de battre des records de prix.

Charlotte Aguttes-Reynier, l’oeil d’une experte en art moderne en Indochine ảnh 5"Thuong trà" (Prendre du thé) de Lê Phô (1907-2001). Photo fournie par Charlotte Aguttes-Reynier:


Les œuvres des fondateurs, professeurs et directeurs de l’École des beaux-arts d’Indochine, comme Victor Tardieu, Evariste Jonchère ou Joseph Inguimberty, sont indispensables dans les collections, aux côtés des œuvres d’artistes phares qu’ils ont formés, notamment Lê Phô, Nguyên Phan Chanh, Nguyên Gia Tri, Vu Cao Dàm, Mai Trung Thu, etc.

Selon notre enquête, le taux de croissance annuel moyen des prix de vente des œuvres d’art de Vu Cao Dàm, Lê Phô et Mai Trung Thu de 2000 à 2022 est respectivement de 21%, 21% et 26%. La croissance a été limitée de 2000 à 2014, mais à partir de 2014, elle a augmenté de manière significative. En 2022, la valeur totale des transactions de leurs œuvres dépassait 38,3 millions d’euros, une augmentation substantielle par rapport aux 4,2 millions d’euros de 2014.

Nous prévoyons d’organiser une vente aux enchères d’œuvres d’artistes asiatiques le 7 mars à Paris.

- Comment évaluez-vous l’art contemporain vietnamien ?

L’art contemporain vietnamien continue de susciter l’attention et la demande dans le monde entier. Cependant, le marché de l’art national reste confronté à de nombreux défis.

Premièrement, la plupart des transactions se déroulent actuellement dans des cercles privés, ce qui signifie que les acheteurs et les vendeurs négocient directement. Il existe un phénomène selon lequel les adjudicataires abandonnent parfois leurs œuvres sans paiement. Pendant ce temps, certains vendeurs ne sont pas sérieux et fournissent de faux certificats. Le marché vietnamien partage des similitudes avec le marché de Hong Kong, notamment en ce qui concerne la prévalence des peintures contrefaites.

Deuxièmement, à l’ère du numérique, l’achat et la vente d’œuvres d’art sont devenus un investissement durable et transférable, au même titre que l’immobilier. C’est un fil qui relie le passé et la réalité. Cependant, il manque au Vietnam une réglementation spécifique à cet égard.

D’après mes expériences, je pense que les collectionneurs doivent rester vigilants, approfondir leurs connaissances et ne pas s’appuyer sur des certificats mais plutôt sur une authentification professionnelle.

Nous avons également une solution aux problèmes de non-paiement, qui consiste à exiger un acompte lors de la participation aux enchères.

- Je vous en remercie. – VNA

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