La conférence de Genève a été un succès en ce qu’elle a mis fin à une guerre qui opposait la France au Vietnam et que les pays participants ont reconnu les droits fondamentaux du Vietnam, à savoir l’indépendance, la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriales.

Tel a été le constat établi communément par Alain Ruscio, historien, directeur du Centre d’information et de documentation sur le Vietnam contemporain, et Daniel Roussel, réalisateur qui a fait plusieurs films sur l’histoire du Vietnam.

Lors d'entretiens accordés à l’Agence vietnamienne d’information à l’occasion du 60 e anniversaire de la signature des Accords de Genève sur l’armistice au Vietnam (20/7/1954-20/7/2014), l’historien Alain Ruscio a estimé que la conférence de Genève, tenue du 8/5/1954 au 21/7/1954, avait été une conférence internationale marquée par des négociations très tendues.

D’après lui, la guerre de l’Indochine dans un premier temps opposait seulement la France à la République démocratique du Vietnam, mais elle est rapidement devenue une guerre internationale qui opposait d’un côté le Vietnam, soutenu par l’Union soviétique et la Chine, et de l’autre la France, soutenue par les Etats-Unis. « Donc, il y avait un enjeu international. Et puis, il y avait la guerre de Corée, au Nord de l’Asie et le risque d’une nouvelle guerre mondiale suite à une véritable Guerre froide dans toute l’Asie. Ce sont les raisons qui ont amené les grandes puissances - les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Union soviétique-, à se décider de participer à la conférence de Genève, aux côtés des principaux interlocuteurs », a-t-il insisté.

Alain Ruscio a aussi souligné les deux revendications principales du Vietnam durant les négociations, à savoir l’indépendance et l’unité du pays. Il a précisé que les combattants du Vietnam étaient toujours derrières Ho Chi Minh et leur gouvernement, qu’ils faisaient de leur mieux pour maintenir l’unité du pays parce que les Français voulaient couper le Vietnam en plusieurs morceaux.

Selon lui, les autres délégations n’accordaient pas la même importance à ce problème, considérant qu’il fallait d’abord mettre fin à la guerre du Vietnam et ensuite penser à l’avenir. C’est pourquoi, il y a eu un compromis à Genève qui consistait à scinder le Vietnam en deux parties. Un compromis inévitable dans les conditions de l’époque mais qui a gravement porté préjudice aux intérêts du Vietnam, alors que le rapport de force sur le terrain était très favorable à l’Armée populaire du Vietnam qui contrôlait une très grosse majorité du territoire, bien au-delà du 17e parallèle. La partition aurait dû être plutôt au niveau du 13 e parallèle. Cependant, les délégations française, américaine, britannique ont joué le jeu de l’Occident et la délégation dirigée par Pham Van Dong alors vice-Premier ministre, n’a pas bénéficié d’une solidarité sans faille à l’égard de l’unité du Vietnam.

Sur les succès de la conférence de Genève, Alain Ruscio a souligné que la France a dû reconnaître sa défaite, en particulier après Dien Bien Phu, car il n’était plus possible pour l’Armée française et l’Armée du régime fantoche de Bao Dai de garder du terrain et de continuer la guerre. Cette « sale guerre » a été militairement perdue par la France, donc, il était normal dans l’intérêt général qu’elle cesse et la conférence de Genève a été une étape importante.

Alain Ruscio a rappelé également que la conférence de Genève avait prévu des élections générales dans les deux années qui suivaient, que tous les observateurs de l’époque savaient que Ho Chi Minh était extrêmement populaire, et que donc dans ces conditions, si les Accords de Genève avaient été respectés, ils auraient abouti à une réunification pacifique du Vietnam en 1956. A ce propos, il a estimé que les dirigeants français de l’époque étaient tenus responsables de la politique de relais avec la politique américaine dans l’agression du Vietnam.

Il a aussi mis en avant les contributions des Accords de Genève à la chute du système colonial français : « Pour les peuples colonisés, la lutte du peuple vietnamien a été un moment fort pour affaiblir le colonialisme français. Les peuples colonisés ont observé ce qui se passait à la conférence de Genève, puis ils se sont dit qu’il était possible de vaincre le colonialisme, pas toujours par des formes militaires, mais peut-être par des formes militaro-politiques, ou des formes politiques ».

Pour sa part, le réalisateur Daniel Roussel a dénoncé la doctrine américaine visant à endiguer le communisme : « Les Etats-Unis voulaient que la guerre s’arrête mais à leurs conditions. Ils veulent que le pouvoir de Hanoi soit limité le plus possible, que le territoire du Nord Vietnam soit plus étroit encore. Ils voulaient faire un barrage pour empêcher que le communisme de gagner le Sud du Vietnam et le Sud-Est asiatique, c’est pourquoi les discussions sur le 17 e , 16 e , 13 e parallèles étaient au cœur des négociations.

Daniel Roussel a estimé que le Vietnam a tiré tous les enseignements de ces Accords de Genève, qu’il les a appliqués avec créativité et efficacité dans les périodes suivantes : « Après la conférence de Genève, le Vietnam a compris qu’il faut combiner toujours la lutte du terrain et la diplomatie, les négociations. Si il n’y a pas de lutte sur le terrain, les négociations se font à votre détriment ; s’il y a des négociations sans qu’il y ait un bon rapport de force, les négociations ne sont pas bonnes ». Il a expliqué que c’est à cause de la présence de quatre grandes puissances avec leurs intérêts différents que le Vietnam n’a pas eu totalement satisfaction. C’est pourquoi, pendant la guerre américaine, Hanoi a mené des négociations directes avec Washington, ce qui est illustré par les face-à-face entre le dirigeant Lê Duc Tho et le conseiller Henry Kissinger.

Il a en outre apprécié le fait que le Vietnam a persisté dans son objectif stratégique d’indépendance et d’unité du pays et adopté un comportement flexible dans les tactiques concrètes devant ses interlocuteurs internationaux. Pour lui, ce comportement s’adapte bien à la situation actuelle marquée par les violations chinoises de la souveraineté du Vietnam en mer Orientale : « L’intelligence de la diplomatie vietnamienne est de tisser des relations y compris avec les ennemis d’hier avec qui il coopère comme les Etats-Unis, la France… Le Vietnam est un pays qui fait partie de la communauté internationale et qui est apprécié dans le monde. Il sait laisser la diplomatie qui parle pour lui, et cherche à ne pas se retrouver seul face-à-face dans un conflit avec la Chine. « Tout cela fait partie des enseignements du passé, en particulier de la conférence de Genève », a-t-il conclu. -VNA